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mots heureux, épars dans tous les autres livres. Nous nous bornerons à deux citations, dont l'une même est assez courte. On verra du moins combien le poëte valait mieux que son système.

Voici, par exemple, une de ces oasis qu'on trouve à tra¬ vers les déserts les plus arides de la philosophie de Lucrèce. Il s'agit des diverses figures des atomes, et, par suite, de la diversité des êtres mêmes qui se ressemblent le plus : « Car souvent, au pied des images splendides des dieux, près des autels où brûle l'encens, un veau est tombé en sacrifice, versant de sa poitrine une chaude source de sang; mais la mère à qui on l'a ravi parcourt à grands pas les vertes campagnes, et laisse sur la terre la profonde empreinte de ses pieds fourchus. Elle porte ses regards inquiets dans tous les lieux d'alentour, tâchant d'apercevoir quelque part le nourrisson qu'elle a perdu. Elle s'arrête au bord de la forêt ombreuse, qu'elle remplit de ses plaintes. A chaque instant elle retourne examiner dans l'étable, uniquement occupée de ses regrets. Ni les tendres saules, ni les herbes ranimées par la rosée, ni les ruisseaux coulant à pleines rives, ne peuvent charmer son cœur, ni détourner le souci qui l'a tout à coup saisie. Les figures des autres veaux qu'elle aperçoit dans les gras pâturages ne peuvent faire illusion à ses yeux et calmer sa douleur: tant ce qu'elle cherche est chose à elle propre et qu'elle connaît bien1! »

Lucrèce parle de l'amour en physiologiste plus qu'en philosophe, mais toujours en poëte. Plus d'une fois il échappe, là aussi, des chaînes de son matérialisme. C'est au IV livre de Lucrèce que Molière a emprunté les vers charmants d'Éliante sur les illusions de l'amour; c'est dans ce même livre que Lucrèce dépeint comme il suit les tourments de l'amour, non pas seulement de l'amour malheureux, mais de l'amour qui semble le plus fortuné : « Vous passez votre vie sous le commandement d'autrui. Cependant le patrimoine s'en va, et les dettes se contractent; les devoirs sont délaissés, et la réputation vacille et périt.

1. Livre II, vers 352 et suivants.

Prodiguez les parfums; qu'à vos pieds rient les magnifiques chaussures de Sicyone; soit; enchâssez dans l'or de grandes émeraudes d'un vert éclatant... Les trésors bien acquis par vos pères deviennent des bandelettes et des ornements de tête; ils se changent en robes de femme, en étoffes de Mélite ou de Céos. Vous avez les riches ameublements, les festins, les jeux, les coupes sans cesse vidées, les parfums, les couronnes, les guirlandes vains apprêts! car, du sein même de la source des délices, il monte quelque chose d'amer, qui vous suffoque dans les fleurs mêmes; soit que la conscience vous reproche une vie oisive, de longues années perdues dans la mollesse; soit qu'un mot équivoque de l'objet aimé pénètre votre cœur comme un trait, et s'y conserve brûlant, comme le feu sous la cendre; soit que vous croyiez remarquer, dans ses yeux, trop de distraction pour vous, trop d'attention pour un autre, ou, sur son visage, les traces d'un sourire moqueur. Oui, ce sont là les maux qui accompagnent l'amour le plus heureux; mais, dans un amour rebuté et sans espoir, il y en a d'innombrables, et qu'on saisit tous du premier regard. Aussi vaut-il mieux, comme je l'ai dit, veiller d'avance et se garder du piége. Car il n'est pas si malaisé d'éviter de se prendre dans les filets de l'amour, que d'en sortir quand on est pris, et de briser les nœuds puissants de Vénus 1. »

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Caractères de la véritable épopée.

On se rappelle ce qu'avait été l'épopée, aux mains de Névius et d'Ennius. Le chantre des guerres puniques avait fait

1. Livre IV, vers 1115 et suivants.

de l'histoire en vers; l'auteur des Annales et du Scipion, de même. Leurs poëmes, à proprement parler, n'étaient qu'à moitié ce que nous entendons par le mot épopée. C'étaient des récits épiques; c'était le ton et le style de l'épopée; c'en était quelquefois le merveilleux; mais on y eût cherché en vain une unité véritable : les parties se suivaient, mais elles n'étaient pas solidaires les unes des autres; rien n'était ordonné ni construit, sinon dans les détails; il n'y avait enfin ni plan général ni ensemble. Ce n'est pas ainsi qu'Homère avait conçu ses ouvrages. Il n'avait songé ni à raconter la guerre de Troie depuis ses origines, ni à retracer la vie entière du fils de Laërte. Un épisode de la guerre de Troie, la colère d'Achille et ses conséquences, voilà toute l'Iliade; le retour d'Ulysse de Troie à Ithaque, voilà toute l'Odyssée. Une épopée est une histoire; mais c'est quelque chose de plus encore. C'est le tableau d'une époque, mais d'une époque qui se résume dans un fait, ou dans un homme, ou dans une idée. Le poëte, celui qui crée et qui invente, n'est point tenu à nous donner le passé tel qu'il a été réellement, et à se réduire au rôle de chroniqueur. Il raconte les choses telles qu'elles ont dû, ou telles qu'elles ont pu se passer; il met en lumière les plus secrètes pensées des hommes; il dispose de la nature; il soumet à ses volontés les puissances divines elles-mêmes. Ce n'est pas tout d'avoir le poëte, il faut le sujet. Toute époque quelconque peut être plus ou moins matière à chants épiques: toute époque quelconque n'est pas matière à épopée. Il faut le fait mémorable qui la caractérise; ou l'homme en qui, pour ainsi dire, elle s'incarne; ou l'idée qui est son originalité et sa grandeur. Névius et Ennius avaient le talent; ils n'ont manqué ni d'inspiration ni de verve: donnez-leur un sujet bien circonscrit; faites qu'ils nous peignent une époque placée dans un majestueux lointain, et qui paraisse, à cette distance, toute pleine de merveilles; faites qu'ils aient un vrai sujet d'épopée : je ne dis pas qu'ils seront des Homères; mais nous ne contesterons plus à leurs poëmes un titre que les anciens attribuaient en général à la narration versifiée. Névius et Ennius sont des épiques à la manière de la plu

part des héritiers d'Homère, de ceux qui prenaient pour sujet l'histoire entière des exploits d'un héros, toute la vie d'Hercule, par exemple, ou de Thésée.

Successeurs épiques d'Ennius.

Il n'est guère douteux que Névius et Ennius n'aient eu des émules parmi leurs contemporains, et qu'après eux, plus d'un poëte n'ait essayé de marcher sur leurs traces. Mais nous ne pouvons citer avec certitude aucun nom de poëte épique, aucun titre d'épopée, ni dans leur siècle, ni dans le siècle qui les suivit. Nous pourrions du moins nommer quelques hommes qui travaillèrent à perfectionner le style et la versification de l'épopée. Ce sont ces traducteurs d'Homère qui reprirent l'œuvre autrefois tentée par le vieux Livius Andronicus ainsi ce Lévius, dont les vers sont cités fréquemment sous le nom du poëte de Tarente.

Contemporains de César.

Même en descendant jusqu'au temps où vivait César, que trouvons-nous? tout d'abord deux traducteurs : Matius, ce même Matius que nous connaissons déjà, qui avait mis l'Iliade en vers ïambiques; Varron d'Atace, que nous connaissons aussi, qui avait mis en latin les Argonautiques d'Apollonius de Rhodes. Il est vrai que Varron essaya de l'épopée originale: il écrivit un poëme sur la guerre de César contre les Séquanais. Nous ignorons ce qu'était précisément ce poëme; mais il est assez probable que Varron, imitateur d'Homère, ou plutôt d'Ennius, ne valait pas beaucoup mieux que Varron imitateur de Lucilius, ou que Varron dissertant en vers sur les marées. Hostius chanta la guerre d'Istrie, avec quelque talent, dit-on; quelques-uns veulent que Virgile fit cas de cet ouvrage, et qu'il en ait même tiré parti.

Contemporains d'Auguste.

Un seul des contemporains d'Auguste et de Virgile semble avoir excellé dans la narration épique. C'est Lucius Varius.

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Varius avait raconté en beaux vers les conquêtes d'Auguste et d'Agrippa. Il n'en reste rien, non plus que du poëme sur la mort de César, qu'on attibue au même auteur. Horace disait de Varius : « Il mène l'épopée comme personne. » Horace caractérise le poëte par l'épithète d'impétueux, et semble dire, par conséquent, que son style était plein de feu et d'énergie. Les anciens nomment avec quelque distinction Titus Valgius Rufus. Velléius Paterculus place Caïus Rabirius à côté de Virgile. Ce jugement ne faisait peut-être pas beaucoup d'honneur au goût de Velléius; mais Rabirius avait donné des preuves de talent, dans son poëme sur la bataille d'Actium. Je dois avouer pourtant que des vers retrouvés dans les papyrus d'Herculanum, et que plusieurs critiques reconnaissent pour des vers du poëme de Rabirius, sont d'une grande médiocrité, et qu'ils ne rappellent guère le style ni l'harmonie de l'Enéide. Parlerons-nous de Marcus Furius Bibaculus, de ce poëte détestable dont Horace s'est moqué, et qui était l'exagération et l'enflure même ? Parlerons-nous d'Aulus Furius d'Antium et de ses Annales? Parlerons-nous d'Anser, le parasite d'Antoine, le détracteur de Virgile? A ce compte, il nous faudrait ne point passer sous silence Bavius et Mévius, ces deux ennemis de Virgile, qu'un vers de Virgile a couverts d'un immortel ridicule. Cornélius Sévérus était un autre homme ses vers sur la mort de Cicéron prouvent qu'il avait du cœur et du talent; mais il n'est point. de ceux que Virgile a connus. Bien loin d'avoir rien fourni à Virgile, c'est lui qui a dû en partie à Virgile ce qu'il a été : son poëme sur la guerre de Sicile est postérieur à la publication de l'Énéide; son autre poëme, celui dont on a admiré ailleurs les magnifiques restes, était aussi une œuvre que Virgile n'avait pu lire. Quoi qu'il en soit, nous transcrirons ici, pour terminer ce chapitre, le jugement de Quintilien sur Cornélius Sévérus: « Cornélius Sévérus est plutôt un bon versificateur qu'un bon poëte. Pourtant, s'il eût écrit jusqu'au bout sa Guerre de Sicile dans le style du premier livre, il prétendrait à bon droit à la seconde place. Mais une mort prématurée ne lui permit pas d'atteindre à la perfection néanmoins les œuvres de son enfance montrent un

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