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vons quelles colères s'allumèrent dans l'âme des Métellus, et comment Névius paya sa franchise, ou, si l'on veut, sa malicieuse audace. Au vers satirique répondit un vers comminatoire : « Les Métellus châtieront le poëte Névius1; » et la vengeance ne se fit pas longtemps attendre. Névius fut livré aux tribunaux, et condamné à une prison fort dure, en vertu de la loi sur les chants diffamatoires. Plaute nous le représente tristement assis, le menton appuyé sur sa main, et avec deux gardes qui ne quittent pas un instant, c'est-àdire, comme le prouve fort bien Klussmann, les deux pieds retenus par des chaînes. Il recouvra la liberté; mais il ne tarda pas à blesser de nouveau les Métellus, ou d'autres personnages non moins puissants. Il finit par se faire exiler de Rome, vers l'an 205. Il se retira à Utique, et c'est là, dit-on, qu'il mourut, deux ans après son départ de Rome. Voici la fière épitaphe 2 rapportée par Aulu-Gelle : « S'il était permis aux immortels de pleurer des mortels, les Camènes 3 pleureraient Névius le poëte. Oui, depuis qu'il est enfermé dans le trésor de l'Orcus, on ne sait plus à Rome parler la langue latine. »

Versification de Névius.

3

Ce qui frappe, au premier coup d'œil, dans les fragments des œuvres dramatiques de Névius, c'est l'apparition de vers véritables, de vers qui se sentent et se mesurent, et particulièrement celle des mètres ïambiques. Névius a introduit dans la tragédie et dans la comédie le vers dramatique par excellence, le mètre né pour l'action, comme le nomme si bien Horace. La plupart des vers ïambiques de Névius sont trimètres ou senaires; et ces vers ont chez lui une sévérité métrique qu'ils n'ont pas toujours conservée chez les poëtes dont Névius était le devancier. Il est probable que Névius se conforma rigoureusement à l'exemple des Grecs, et que le dialogue, dans ses pièces, était en vers

1. C'est le vers que Térentianus Maurus cite comme le type du vers saturnien : << Dabunt malum Metelli Nævio poetæ. >>

2. Elle est en vers saturniens réguliers, sauf les permutations analogues à celles qu'admettaient les vers ïambiques.

3. C'est le vieux nom latin des Muses.

ïambiques, sauf les scènes passionnées où d'autres mètres plus vifs pouvaient mieux servir son dessein. Il ne s'interdisait pas, à l'occasion, l'emploi du vers trochaïque, si bien fait pour exprimer l'indignation et la colère. Quant à la partie lyrique, et à tout ce que les Latins désignaient par le mot de cantique, Névius ne s'était pas fait défaut des ressources qui abondaient sous sa main. On constate aisément chez lui la présence de vers qui diffèrent et de l'ïambique senaire, et du tétramètre trochaïque écourté : il y a des vers ïambiques et des vers trochaïques de longueurs variables; il y a des mètres chorïambiques, des mètres anapestiques, et presque tout l'appareil de la savante versification des poëtes de la Grèce.

Œuvres dramatiques de Névius.

On ne trouverait pas beaucoup à citer, parmi les fragments des tragédies de Névius, sinon peut-être un mot ici ou là, comme ceux que nous avons aperçus dans les fragments des tragédies de Livius Andronicus. Ainsi ce passage de la pièce intitulée Hector : « Je suis joyeux d'être loué par toi, mon père, par un homme loué de tous. » Mais ce n'est pas comme traducteur ou imitateur d'Euripide et d'Eschyle, que Névius avait acquis le renom de grand poëte. C'est son génie comique que prisaient plutôt les Romains. On ne faisait pas de difficulté pour le mettre sur la même ligne que Plaute. Térence le nomme, avec Plaute et Ennius, comme un des auteurs dont il se fait gloire d'imiter les exemples. Livius Andronicus s'était borné à transporter des comédies grecques sur son théâtre, sans y rien changer, ou sans y changer que fort peu ses personnages parlaient latin, mais c'étaient des Grecs; on était en Grèce; c'étaient des mœurs grecques, des habits grecs; c'était la comédie à manteau, comme disaient les Romains. Névius se borna, en général, à suivre ces errements; mais il sut aussi s'ouvrir une voie plus originale. Il composa des pièces latines de mœurs comme de langue, et il créa la comédie romaine, ou, selon l'expression consacrée, la comédie à toge, celle dont les personnages étaient des Romains, et dont l'action se

passait à Rome. Sans doute tout n'était pas invention dans ces pièces. Le cadre dramatique venait encore d'Athènes; mais ce n'était plus Athènes qui le remplissait : le plus libre génie pouvait, dans un tel champ, se déployer à l'aise; et je ne doute pas que Névius ne s'y soit livré à tout son essor. Il dut exceller dans la peinture des vices et des ridicules contemporains; et la satire personnelle plus ou moins directe était un moyen de succès dont nul plus que lui ne fut jamais en état de se servir. Mais nous sommes réduits, sur ce point, à de simples conjectures. C'est à peine si nous connaissons les titres de deux ou trois de ses comédies à toge. Les fragments des comédies à manteau sont nombreux, et souvent fort remarquables, par le mérite de la pensée ou celui de l'expression. Ainsi ce vers où Névius résume tous les manéges d'une courtisane: « A l'un un signe de tête, à l'autre un clin d'œil, à un autre son amour, à un autre la main. » Ainsi ce passage, qui provoqua sans doute des applaudissements: « Pour moi j'ai toujours prisé davantage, j'ai toujours cru meilleure cent fois la liberté que l'argent. » Ainsi encore ce dialogue si vif et si bien coupé « Holà! est-ce victoire? Victoire! Bravo! et comment? Je vais te dire. »>

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Poëme sur la première guerre punique.

J'ai parlé, à propos de Stasinus, du poëme intitulé Chants cypriens, qui était, pour ainsi dire, une sorte de préface ou de prologue ajouté après coup à l'Iliade. Il existait une ancienne traduction latine de cette épopée, que quelquesuns attribuaient à Névius. Mais cette traduction était en vers héroïques, circonstance qui suffit à prouver que Névius n'en était point l'auteur. On croit avec raison que c'était l'ouvrage de quelque contemporain d'Ennius, ou même de quelque poëte plus récent encore, de ce Lévius, par exemple, dont le nom est si souvent confondu, chez les anciens, avec ceux de Névius et de Livius Andronicus. D'ailleurs, il ne reste rien, ou à peu près, de l'Iliade cyprienne, selon le titre que portait en latin l'épopée de Stasinus.

Mais Névius avait fait mieux que transcrire dans sa langue

les vers du poëte cyprien. Il avait composé un grand poëme tout romain, dont la première guerre punique était le sujet. Ce poëme était écrit en vers saturniens; non pas seulement dans ce mètre mal déterminé qu'on cherche en vain à saisir chez Livius Andronicus, mais en vers d'une facture régulière et savante, et conformes, en général, à celui dont Térentianus Maurus a rédigé la formule sévère. Le poëme était continu d'un bout à l'autre, sans aucune division en chants ou en livres; mais un grammairien, nommé Lampadion, le divisa plus tard en sept parties. Ce poëme était autre chose qu'une chronique versifiée. Sans doute Névius n'avait pas pu se permettre de transformer ou d'altérer, au gré de son imagination, des faits tout récents, et dont tant d'autres avaient été, comme lui, les témoins et les acteurs. Mais il ne s'était pas fait faute d'ajouter aux éléments que lui fournissaient ses souvenirs, d'interpréter les événements, de remonter à leurs causes présumées, de deviner les détails, de les inventer même; d'orner enfin, d'embellir, et de faire œuvre de poëte. Nous ignorons jusqu'à quel point il avait réussi dans la peinture des caractères. Il n'est pas téméraire pourtant d'affirmer qu'il ne s'était pas contenté de dire sèchement ce qu'avaient été ses héros. Nul doute qu'il ne les ait élevés à une sorte d'idéal, et que son patriotisme n'ait grandi leurs figures. Croit-on que Régulus se présenterait à nous avec cette majesté calme et sublime, si Névius ne l'avait pas chanté, et si les historiens avaient raconté ses dernières actions sans être sous le charme de cette parole inspirée? Quoi qu'il en soit, Névius possédait à un haut degré quelques-unes des plus précieuses qualités épiques. C'est lui qui a imaginé de mettre en présence Énée et Didon, et de rattacher aux traditions de l'antiquité héroïque l'implacable rivalité de Rome et de Carthage. Le préambule de son poëme a fourni la matière de la plupart de ces inventions épiques dont nous sommes accoutumés de rapporter toute la gloire à Virgile. Après avoir expliqué à sa façon les causes de la terrible guerre, Névius abordait le récit historique, et il décrivait l'état respectif des deux peuples aux premiers moments de la lutte. Le dénombrement des auxi

liaires qui s'apprêtaient à soutenir les deux partis devait rappeler, jusqu'à un certain point, celui du deuxième chant de l'Iliade. Et ce n'est pas le seul endroit où Névius avait mis à contribution la poésie d'Homère. On voit, dans les fragments de son ouvrage, les restes d'une description de tempête, où plus d'un mot prouve que Névius s'était souvenu du huitième chant de l'Odyssée. Quand il s'agissait de peindre des choses dont ni l'Odyssée ni l'Iliade n'offraient le modèle, Névius n'était pas toujours indigne des vrais maîtres. Voici comment il caractérise l'agitation de Carthage après une défaite : « Les Carthaginois tremblent de tous leurs membres; partout une crainte profonde étreint et bouleverse les cœurs; ce ne sont plus que funérailles de soldats tués; ce ne sont plus que convois de morts: l'ivresse de la fête a disparu. » Le poëte animait et diversifiait heureusement un récit où la vérité nue aurait eu déjà, à elle seule, presque toute la grandeur et tout l'intérêt de l'épopée. Les contes qu'il avait entendu faire sous la tente devaient aussi être entrés pour une forte part dans le tissu du poëme. Il est probable que, si nous le possédions en entier, nous y lirions de merveilleuses légendes militaires, et que nous y trouverions en original la fameuse histoire du serpent de Bagrada.

Le poëme de Névius était donc une épopée, sauf le mètre épique, et, dans toute la force du terme, une épopée nationale. C'est ce poëme, bien plus encore que ses comédies, que tous les Romains savaient par cœur. Nul ouvrage n'était plus propre à faire des Romains; et il n'est pas étonnant qu'on l'ait maintenu si longtemps dans les écoles, pour servir à l'éducation de l'enfance. Et les juges les plus compétents ne le trouvaient pas indigne de cette haute fortune. Horace, il est vrai, semble ne lui attribuer d'autre mérite que son antiquité; mais Cicéron le proclame beau, sinon d'une beauté pure et parfaite, au moins d'une beauté qu'on ne laisse pas d'admirer encore. C'est aux œuvres de la sculpture grecque que Cicéron compare aussi l'œuvre de Névius. Ce n'est pas Phidias ni Polyclète, mais ce n'est plus Dédale; c'est déjà Myron. Ennius, qui était la vanité même,

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