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jesté habituelle. Ce n'est qu'en le ramenant à sa simplicité primitive, ce n'est qu'en faisant avec un labeur d'artiste ce que les Grecs faisaient naturellement et sans aucun effort, c'est-à-dire en alliant une exquise harmonie avec les coupes. les plus libres et les plus variées, qu'Horace pouvait l'amener à tout peindre et à tout exprimer, et, au besoin, à ressembler à la prose, sans cesser d'être digne de la poésie. Ajoutons que, dès que le poëte rencontre en chemin quelque grande idée, quelqu'un de ces grands principes devant lesquels expire sa raillerie, aussitôt la phrase s'anime d'un souffle plus puissant: elle prend une ampleur vraiment majestueuse; et les vers n'ont plus rien à envier, ni pour la facture, ni pour la noblesse, ni pour la gravité, à ce qu'on lit de plus beau dans les Géorgiques, dans l'Enéide même. Les Épîtres.

Le style des Épitres est le même que celui des Satires, mais avec un degré de plus dans l'habileté de l'exposition, dans la mise en œuvre des idées, dans la perfection du bien dire, dans celle de la versification. Du reste, c'est le même ton, c'est le même laisser-aller apparent, c'est la même image d'une causerie aimable. Toute la différence, c'est que le poëte, dans les Épitres, donne des conseils et fait des leçons, tandis qu'il se moquait du vice dans les Satires. Les épîtres du premier livre roulent sur des sujets de morale; Horace traite, dans celles du second livre, des questions de goût et de littérature. Il y a vingt épîtres dans le premier livre, les unes sérieuses, la plupart légères et badines. C'est dans cette espèce de correspondance poétique qu'on aperçoit le mieux tout ce qu'il y avait de bon, de sympathique et de tendre dans le caractère d'Horace, malgré sa malice, malgré son irrésistible penchant à la raillerie.

Le deuxième livre ne contenait originairement que trois épîtres. De ces trois épîtres, les éditeurs en ont détaché une, qui figure à part sous le nom d'Art poétique; en sorte que le deuxième livre proprement dit n'a plus maintenant que deux pièces. Il est vrai que ces deux pièces sont considérables : l'une a plus de deux cent cinquante et l'autre plus de

deux cents vers. La première fut composée en réponse à une lettre où Auguste se plaignait d'être négligé par Horace. Horace s'excuse en peu de mots; puis il fait une espèce de précis de l'histoire des lettres latines. Nous avons eu maintes fois l'occasion de citer, sinon toujours d'approuver les jugements du spirituel, mais peu impartial critique. La seconde épître est adressée à Julius Florus. Horace y fait la critique des mauvais écrivains dont Rome fourmillait, et il entre dans une foule de détails curieux sur l'état de la littérature durant l'époque la plus florissante du règne d'Auguste. C'est là qu'on voit combien le goût des choses de l'esprit était devenu général, sinon toujours parfaitement éclairé, et combien la Rome d'Auguste et de Mécène, de Virgile et d'Horace, ressemblait peu à la Rome des Scipions et du vieux Caton, où Ennius était presque dépaysé, où Plaute avait besoin de travailler à se faire un peu barbare, où les grâces de Térence étaient presque en pure perte, où Lucilius ne trouvait guère qu'à gémir et à maudire.

Le seul défaut des deux grandes épîtres littéraires, c'est la prévention d'Horace contre les vieux auteurs romains; c'est ce mépris systématique, que nous lui avons plus d'une fois reproché, pour tout ce qui n'était pas de la brillante génération dont lui-même et ses amis faisaient la gloire. Mais ce défaut n'ôte rien à la verve du poëte, ni à son originalité; bien au contraire! Plus calme et plus équitable, peut-être eût-il été moins vif, moins spirituel, moins plein d'aimables caprices et de piquantes saillies. Je ne parle pas d'un autre défaut que quelques-uns relèvent dans ces épîtres, comme dans celles du premier livre, comme dans toutes les satires, en un mot dans toutes les Causeries, savoir, le désordre de la composition, l'imprévu dans la succession des matières, les sauts brusques d'un sujet à l'autre, les retours non moins brusques à des sujets auparavant laissés. Ce prétendu défaut n'est qu'une qualité de plus, dans des poëmes qui n'ont nulle prétention à se montrer comme des ouvrages de métier; qui ne sont ou qui ne veulent être que des conversations, et où le point suprême de l'art c'est que l'art ne se trahisse jamais, et qu'on n'aperçoive jamais, ou qu'on croie

n'apercevoir, que la nature. Horace a surabondamment prouvé, dans les Odes, qu'il savait composer: il n'y a pas une de ses pièces lyriques, même celles où il affecte le plus de se dire transporté hors de lui-même, qui ne soit un tout parfaitement ordonné, parfaitement irréprochable. Un commentateur d'Horace a pu aller jusqu'à avancer qu'il y a, au fond de chaque ode, un syllogisme en forme. C'est beaucoup dire sans doute; et cette vision de pédant peut aller de pair avec la folie de ceux qui prétendent réduire les plans des odes de Pindare à un certain nombre de figures de géométrie. Mais les plans lyriques d'Horace, pour n'avoir rien de scolastique, n'en sont pas moins réels et visibles à qui sait y regarder, plus réels et plus visibles encore que ceux de Pindare. Quant aux Epitres et aux Satires, si elles n'ont pas de plan, ou si elles paraissent n'en point avoir, c'est qu'Horace l'a voulu ainsi; et j'ajoute, avec tous les vrais critiques, que non-seulement il a pu, mais qu'il a dû le vouloir.

L'Art poétique.

Ce titre d'Art poétique est assez mal inventé, et n'est propre qu'à faire accuser Horace d'une foule de péchés dont il est innocent, ou dont on ne saurait raisonnablement lui refuser le pardon, si l'on songe qu'il n'a point eu la prétention d'écrire un poëme didactique, mais de causer de littérature avec deux amis, comme il avait fait avec Auguste et avec Florus, dans les deux épîtres du second livre. L'Art poétique n'est réellement, et n'était, dans la pensée d'Horace, que l'Épître aux Pisons. Peu importe donc que tout y soit jeté à peu près au hasard et pêle-mêle. Cette causerie a tous les caractères des autres causeries d'Horace. N'y cherchez que ce qu'y a voulu mettre le poëte; ne vous effarouchez pas s'il rompt çà et là le fil capricieux de sa pensée; s'il se raccroche quelquefois à un mot, à quelque idée secondaire; s'il ne revient à son sujet apparent qu'après de longs détours et des digressions sans nombre. Il est toujours dans son sujet réel il ne cesse pas un instant de faire œuvre, avec les Pisons, d'un conseiller plein de goût et

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d'un mentor littéraire. C'est Boileau, ce n'est pas Horace, qui a prétendu rédiger un code de poésie. Devant cette simple considération tombent tous les systèmes que certains critiques ont entrepris de bâtir à propos de cette esquisse légère. Le poëme n'est pas, comme le prétendent quelquesuns, l'amas confus des restes d'une œuvre savamment composée, mise en pièces jadis par les copistes, ou du moins défigurée par toute sorte de mutilations, d'interversions, de transpositions. Ce n'est pas non plus une ébauche, à laquelle Horace n'aurait pas eu le temps de mettre la dernière main.

L'Art poétique a toutes les qualités des autres épîtres, avec plus d'éclat dans certaines parties, avec des tableaux plus intéressants et plus achevés. Mais il faut dire aussi qu'on y trouve des défauts notables, et que les fanatiques ont seuls le courage de méconnaître. Je ne reproche point à Horace de s'être beaucoup trop occupé du poëme dramatique, dans un temps et chez un peuple où il n'y avait plus guère ni tragédie ni comédie; de s'être amusé à déduire les règles du drame satyrique, à l'usage de poëtes qui n'avaient jamais peut-être vu de satyres sur la scène; je ne reviens pas non plus sur ce que j'ai déjà tant répété des criantes injustices de sa critique rétrospective. Il s'agit d'autre chose, de véritables fautes de goût et de style. Les images du début, par exemple, manquent de précision et de netteté. Il est assez difficile de comprendre comment un peintre, en posant une tête d'homme sur un cou de cheval, et en rassemblant des membres divers, qu'il recouvrira de plumes bigarrées, se trouve en même temps avoir fait une figure où un beau buste de femme se termine en un poisson hideux. Horace oppose quelque part les premiers vers de l'Odyssée d'Homère au premier vers de je ne sais quelle épopée cyclique sa préférence pour le poëte qui n'entreprend jamais rien sans raison n'a pas besoin d'être justifiée, bien qu'on puisse douter si c'est trop promettre, dans un poëme sur la guerre de Troie, que de dire : « Je chanterai la fortune de Priam et cette noble guerre. » Mais ce qu'on ne saurait justifier, c'est l'étrange expression par laquelle

Horace s'imagine caractériser le dessein d'Homère : « Il ne songe point à donner de la fumée après l'éclat du feu, mais à donner de la lumière après la fumée1. » Que dirons-nous de la détestable antithèse qu'a fournie à Horace la mort du grand poëte Empédocle ; de cet homme froid qui saute dans l'Etna brûlant? rien, sinon que ce jeu de mots indigne d'Horace va trop bien avec les mauvaises plaisanteries du poëte sur le métromane, qu'il veut absolument laisser dans le fossé ou dans le puits où il est tombé par mégarde. Je pourrais signaler d'autres traits encore, que n'avoue point un goût sévère; je pourrais même remarquer qu'Horace a manqué une fois à une des règles les plus impérieuses de la quantité latine. Mais il y a tant à admirer dans l'Art poétique, que je ne me sens pas le courage d'insister sur ces vétilles.

CHAPITRE XXVIII.

POËTES ELÉGIAQUES.

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CARACTÈRES DE L'ÉLÉGIE LATINE. GALLUS. ÉLÉGIES DE PROPERCE. REMARQUE. VIE DE PROPERCE. - VIE DE TIBULLE.

BULLE.

Caractères de l'élégie latine.

ÉLÉGIES DE TI

Les erreurs historiques ne manquent pas dans l'Épitre aux Pisons. Nous avons signalé en leur lieu celles qui avaient trait aux objets de notre étude. En voici une qui se rapporte directement au genre de poésie qui va nous occuper dans ce chapitre. Horace, faisant à sa manière l'histoire de l'élégie, dit que les vers de mesure inégale, accouplés ensemble, servirent d'abord à l'expression de la plainte, puis à celle du contentement. Rien de plus faux qu'une

1. Art poétique, vers 143-144.

2. Art poétique, vers 465.

3. Au vers 65, Horace emploie le mot palus pour deux brèves, ce qu'on ne sau→ rait pardonner, dit M. Quicherat, même à un si grand poëte.

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