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ment Lucilius le jeune, pour le distinguer du fameux satirique. Mais il ne nous importe guère que l'Etna soit de tel ou tel auteur, ou même de tel ou tel siècle. Ce poëme n'est pas une merveille. Il y a une certaine facilité de versification, qui rappelle assez les bons modèles; le style ne manque pas, çà et là, de quelque force et de quelque éclat : c'est, par endroits, à peu près du Cornélius Sévérus. Mais la diction est souvent obscure ou affectée. Il y a déjà quelque chose de cela dans les beaux vers sur la mort de Cicéron, au moins dans quelques-uns ici, c'est l'ordinaire. Ce sera donc encore, si l'on veut, du Cornélius Sévérus, mais porté à une haute puissance d'imperfection et de mauvais goût. Les quarante derniers vers sont peut-être les plus beaux de tout l'ouvrage. Je vais les traduire aussi littéralement qu'il m'est possible, afin de montrer quels défauts le poëte a encore, là même où il déploie le plus de qualités.

« L'Etna incandescent avait brisé ses cavernes, et renversé de fond en comble ses fournaises: le feu, comme une onde, répandait au loin ses torrents embrasés. On dirait Jupiter en courroux, faisant jaillir les éclairs de la nue, et couvrant le ciel brillant d'obscures ténèbres. Tout brûlait, les moissons dans les plaines, mille domaines cultivés, les maisons qui s'y élèvent, les forêts, les collines verdoyantes. A peine tremblait-on que l'ennemi se fût mis en marche, et déjà il avait envahi les portes de la ville voisine. Chacun alors, selon son goût, selon ses forces, tâche de ravir ses richesses pour les sauver l'un gémit sous l'or, l'autre ramasse ses armes et en charge son cou, l'insensé! Le voleur fléchit, retardé par le poids de ses larcins; le pauvre hâte rapidement le pas, sous son léger fardeau. Tous fuient portant ce qu'ils ont de précieux; mais le possesseur ne sauve pas toujours son butin. Le feu dévore ceux qui tardent trop, et brûle de tous côtés les avares; il atteint ceux qui se croient hors de danger, les saisit, et consume avec eux leurs trésors. Leurs biens servent de pâture à l'incendie, qui n'épargnera personne, ou qui n'épargnera que les hommes pieux. Deux fils excellents, Amphinomus et son frère, s'avancent courageusement sous un fardeau pareil. Au mo

ment où l'incendie déjà bruissait dans les maisons voisines, ils avaient vu leur vieux père, leur vieille mère, accablés, hélas! par les ans, et qui s'étaient traînés jusqu'au seuil de leur porte. Cessez, troupe avare, d'emporter de riches butins! leur seule richesse, c'est leur mère, c'est leur père. Voilà le butin qu'ils enlèvent; et ils se hâtent de sortir à travers le feu, avec l'assentiment du feu même. O piété filiale, la plus grande des choses, la vertu à bon droit notre meilleure sauvegarde! Les flammes rougirent de toucher les pieux jeunes gens: partout où ils portent leurs pas, elles se retirent. Heureux est ce jour, fortunée est cette terre! A droite s'étend l'affreux incendie; il bouillonne à gauche : les deux frères triomphent, en passant à travers les feux qui se détournent. Leur pieux fardeau fait leur sûreté : la flamme s'enfuit et tempère son avidité autour d'eux. Ils ont enfin échappé au péril; et, avec eux, leurs divinités tutélaires sont saines et sauves. Les poëtes, dans leurs chants, célèbrent les deux frères. Pluton les a distingués; leur mémoire est illustre; ces vertueux jeunes gens échappent aux atteintes d'un destin vulgaire; ils ont vraiment en partage la demeure et le sort des bienheureux. »>

Nous n'aurons plus rien à dire sur la poésie du siècle d'Auguste, quand nous aurons remarqué que plusieurs amis d'Ovide, tels que Montanus, Proculus, Aulus Sabinus, passaient pour des poëtes élégiaques de quelque talent. Il nous reste même, sous le nom d'Aulus Sabinus, trois élégies, qu'on imprime quelquefois dans les œuvres d'Ovide. Ce sont des héroïdes, et même des réponses à trois de celles qui composent le recueil d'Ovide; mais elles n'ont rien de commun, ni pour la verve, ni pour le style, avec les brillants morceaux qui leur ont servi de modèles.

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Histoire du recueil des Fables de Phèdre.

En 1596, François Pithou, le célèbre jurisconsulte, trouva le manuscrit sur lequel son frère, Pierre Pithou, fit imprimer la première édition des Fables de Phèdre. D'autres manuscrits du même recueil, découverts à peu près vers le même temps, servirent à compléter ce qui manquait dans le premier exemplaire, et à nous donner Phèdre tel que nous le possédons. Mais ces divers manuscrits, qui n'avaient été vus et touchés que par un petit nombre de personnes, disparurent bientôt, on ne sait comment; et il ne resta plus aucune preuve matérielle de l'ancienneté des apologues publiés sous le nom de Phèdre. Plusieurs critiques se mirent à douter de leur authenticité, et ne virent, dans le prétendu Phèdre, qu'une supercherie, sinon des Pithou, au moins de quelque faussaire de la renaissance. C'était, suivant les uns, un certain Nicolas Perotti, archevêque de Manfredonia, mort vers la fin du xve siècle, qui s'était diverti à recommander d'un nom antique les élucubrations de sa muse. Il n'avait fait, disait-on, que mettre en vers ïambiques les fables jadis rédigées en prose par un certain Romulus, ou même refaire ce que l'archevêque Hildebert, au XIIIe siècle, avait fait en vers plus ou moins réguliers. D'autres se souvinrent d'un certain Phédrus, qui fut condamné par un concile, au commencement du XVIe siècle; et ils insinuèrent que ce Phédrus pourrait bien être le véritable auteur du recueil. Les preuves intrinsèques de l'antiquité de ces apologues ne manquaient pas; et ceux qui les avaient lus pouvaient répondre à tous les arguments des critiques ce que dit le personnage de la comédie Tu ne me persuaderas pas, non, quand tu m'aurais persuadé. Le public lettré tint le Phèdre des Pithou pour parfaitement authentique; et plus de quatre cents éditions

prouvèrent qu'on y voyait autre chose que les essais d'un latiniste moderne. Néanmoins la discussion subsistait toujours entre les érudits, lorsqu'en 1830 les antiphédristes éprouvèrent une déroute dont ils ne se relèveront pas. Le manuscrit des Pithou, celui-là même sur lequel avait été faite l'édition princeps, fut exhumé du fond d'une bibliothèque, copié textuellement, et publié tout à la fois en lettres modernes et en fac-simile. Or, ce manuscrit est du xe siècle, c'est-à-dire antérieur de cinq ou six cents ans et à Perotti et à Phédrus. Il est établi aujourd'hui, d'une manière irréfragable, que les fables de Romulus ne sont que les fables mêmes de Phèdre, mises en prose par quelque barbare du moyen âge; que Hildebert et d'autres venaient de Phèdre, soit par Romulus, soit directement, et non pas Phèdre de Hildebert ou de qui que ce soit. Ajoutons qu'on a découvert, dans les contrées de l'ancienne Dacie, une inscription sépulcrale, datant des premiers siècles de notre ère, où on lisait un vers emprunté à une des fables de Phèdre, et, ce qui est plus curieux encore, à une fable que Perotti prétendait avoir composée. Car Perotti avait possédé personnellement le manuscrit qui vint plus d'un siècle après aux mains de François Pithou; et il avait trouvé commode d'en extraire quelques morceaux, de les mêler à ses propres compositions, et de se faire, par le plagiat, une réputation à laquelle il ne pouvait aspirer par le talent.

Vie de Phèdre.

C'est à Phèdre lui-même qu'il faut demander le peu que nous puissions savoir sur la personne de Phèdre. Il est à peine question de notre fabuliste dans tout ce qui nous reste des anciens qui avaient lu son ouvrage, ou qui l'avaient dû lire. Martial demande à sa muse ce que fait son ami Rufus : «< Imite-t-il les plaisanteries du malin Phèdre1? » Encore est-il permis, jusqu'à un certain point, de douter qu'il s'agisse précisément de l'auteur des apologues: ni le mot plaisanterie (jocos) ne caractérise bien ses écrits, ni l'épi

1. Martial, Epigrammes, livre III, épigramme 20.

thète de malin (improbi) ne s'applique bien à ce poëte. Mais on ne saurait nier qu'Avianus ne parle de Phèdre le fabuliste, quand, énumérant à un certain Théodose les auteurs latins qui se sont exercés dans l'apologue, il dit que Phèdre a aussi traité, en cinq livres, quelque pòrtion de la matière. Hors ces deux témoignages, il n'y a rien; mais Phèdre supplée passablement à ce que les autres n'ont pas jugé à propos de nous dire. Ainsi il nous apprend que sa mère l'a mis au monde sur le mont Piérus; ce qui signifie, en simple prose, qu'il est né dans la Macédoine. Le titre du recueil est ainsi conçu: Fables de Phèdre, affranchi d'Auguste. Phèdre, dans son enfance, ou dans sa première jeunesse, avait donc été esclave, et esclave d'Auguste. Cet Auguste n'est point Tibère, comme quelques-uns le veulent; car Phèdre, racontant quelque part un trait où le premier, le vrai Auguste, fut acteur, déclare que la chose s'est passée dans un temps dont il a la mémoire. Sous Tibère, Phèdre est homme mûr, et déjà écrivain. Séjan le persécute, parce qu'il a cru se reconnaître dans quelqu'un des portraits peu flattés que le poëte traçait des ambitieux et des scélérats. D'autres que Séjan, blessés aussi, à ce qu'il paraît, d'allusions plus ou moins piquantes, lui font sentir, comme il le dit, qu'il en coûte cher à un plébéien pour murmurer tout haut. Malgré la condamnation peut-être sévère que Séjan fit porter, ou même porta contre lui; malgré l'inimitié de tous ceux qu'il accuse de lui en vouloir, il parvint à un grand âge, car nous le voyons, jusque sous Claude, dédier des fables à Particulon et à Philétus, deux des affranchis qui gouvernaient ce prince imbécile.

Originalité de Phèdre.

J'ai remarqué, à propos d'Horace, que Phèdre n'était pas le premier des Latins qui eût excellé dans l'apologue. Ce qui le distingue d'Horace et de ceux qui, peut-être avant Horace, avaient écrit des fables, c'est qu'il cultive la fable pour ellemême, c'est qu'il est purement et simplement fabuliste, qu'il ne veut être que fabuliste. D'ailleurs, il applique à la fable un mètre analogue à celui dont se servaient les fabulistes grecs:

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