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gnation qui s'échappe en si magnifiques et si terribles éclats. Ces affreuses vérités qui remplissent ses ouvrages, il n'aurait pas su les exprimer avec cette éloquence, s'il ne les eût bien senties. S'il n'était qu'un déclamateur, nous pourrions avoir à louer les ressources de son esprit; nous n'aurions point à admirer tant de beautés sublimes, toutes ces qualités dont sa poésie étincelle.

Style de Juvénal,

M. Nisard, qui soutient, et avec des raisons fort spécieuses, le paradoxe que nous venons de combattre, ne laisse pas de rendre au talent de Juvénal pleine et entière justice. Voici, par exemple, comment il parle de son style : « C'est le style le plus original de l'époque de la décadence; il semble que la langue latine ait fait un dernier effort, pour se prêter au rude génie de son dernier poëte.... Dans le style de Juvénal, tout est arrêté, tout est vigoureux; il n'y a pas plus de jour entre les mots qu'entre les idées, tant le discours se presse, et tant les plans sont serrés. Point de phrases d'attente, point de chevilles, point de choses lâchées : ce style pécherait plutôt par la roideur et le trop-plein que par la négligence et le vide. Il peut y avoir des analogies entre la poésie de Juvénal et celle de ses contemporains; il n'y a pas d'imitation. On n'y sent pas la mémoire des mots, par laquelle on imite: à l'âge où Juvénal écrit, ou l'on n'a plus cette mémoire, ou l'on ne l'a pas du tout. De même, s'il s'élève jusqu'au style des anciens, il ne leur fait pas d'emprunt... Les endroits où le style de Juvénal est le plus franc, et où sa poésie est vraiment sœur de la poésie d'Horace, ce sont ses descriptions des vices monstrueux de son temps. Là où il touche, après Horace, à quelque vérité de la philosophie morale, son style n'a pas cette aisance noble, ce calme du discours socratique, qui convient si bien aux choses de philosophie. Mais, dans la peinture des saturnales dont il était le témoin, sa langue, plus expressive et plus colorée que celle de Martial, est aussi précise et populaire. Il semble accomplir alors une sorte de mission; il enrichit l'histoire des corruptions humaines; il parle au nom

de la morale épouvantée; il fait une œuvre nécessaire, et, pour tout ce qui est nécessaire, pour tout ce qui peut servir à ce que je me suis permis d'appeler l'éducation éternelle de l'humanité, il n'y a pas d'exemple, je le répète, qu'une langue ait manqué au poëte. La langue de Juvénal est alors aussi belle, aussi pure, aussi classique, que celle de Virgile et d'Horace. Je dois dire que M. Nisard fait aussi quelques réserves, et qu'il signale plus d'une défaillance dans ce talent si viril. Mais nous n'éprouvons aucun embarras à reconnaître que Juvénal n'est pas toujours inspiré, et qu'il est quelquefois, selon la juste expression du critique, déclamatoire sans être éloquent, haletant sans être chaud.

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Citations.

Que citerons-nous dans Juvénal? Il n'y a pas de poëte qui se prête mieux à fournir des morceaux détachés. Nous avons presque l'embarras du choix. Montrerons-nous Juvénal poussant à bout la luxure latine, et vendant Messaline aux portefaix de Rome? Briserons -nous avec lui la statue de Séjan? Quel tableau prendre, parmi tous ces tableaux de gloutonneries, d'impuretés, d'empoisonnements, d'adultères, d'horreurs de toute espèce? M. Nisard a eu le bon goût d'insister particulièrement sur le côté le moins connu et le plus aimable de la poésie de Juvénal. Il nous montre, à la fin de son étude sur le poëte, Juvénal déridé et souriant. Car Juvénal sacrifie de temps en temps aux Grâces, Il a, quand il lui convient, autant d'esprit que personne, et du plus charmant esprit. Maints traits jetés çà et là à travers ses plus sérieux discours, en fournissent suffisamment la preuve; et voici deux passages où sa muse un peu guindée, comme dit le critique, semble se détendre. La poésie, dit encore M. Nisard, en est molle et facile, comme celle de Tibulle, comme celle des Églogues. Le premier passage est à propos d'une fête que Juvénal prépare pour le retour d'un ami. «< Allons, esclaves, du recueillement et du silence: parez le temple de festons; répandez la farine sur les couteaux sacrés; recouvrez d'un gazon vert l'autel où flottent les bandelettes. Je vais vous suivre; et, dès que j'aurai

accompli, comme il convient, la pieuse cérémonie, je reviendrai dans ma maison, couronner de fleurs mes petits pénates de cire fragile et luisante. Là, j'apaiserai notre Jupiter; j'offrirai de l'encens à mes Lares paternels, et je répandrai toutes les couleurs de la violette. Tout brille; à ma porte se dressent de longs rameaux, et les lampes matinales annoncent la fête. Mais garde-toi de suspecter ces apprêts, Corvinus. Catulle, dont je célèbre le retour par tant de sacrifices, a trois petits héritiers1. » Dans l'autre passage, c'est Umbricius qui s'interrompt ainsi au milieu de ses imprécations contre les embarras de Rome : « Si tu as le courage de t'arracher aux jeux du Cirque, tu achètes la plus riante maison à Sore, à Fabratère ou à Frusinone, pour le prix que te coûte ici le loyer annuel d'un trou ténébreux. Là, tu as un petit jardin, un puits peu profond, où tu peux puiser sans le secours d'une corde, et dont tu n'as pas de peine à verser l'eau sur tes légumes naissants. Vis ami du hoyau; cultive de tes mains un jardin qui fournisse au régal de cent pythagoriciens. C'est quelque chose, en quelque lieu, en quelque coin que ce soit, de s'être fait le possesseur, ne fût-ce que d'un lézard 2.

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L'histoire de la satire après Horace est tout entière dans les noms de Valérius Caton, de Perse, de Turnus, de Sulpicia, de Juvénal. Ce n'est pas que nous ne puissions mentionner d'autres noms encore, soit contemporains de ceux-là, soit appartenant aux siècles qui suivirent. Mais il n'y en a pas un seul qui soit vraiment célèbre, excepté celui de Cornutus; non que Cornutus ait jamais passé pour un grand poëte, mais parce qu'il a été un homme de noble caractère, et parce qu'il a été le maître de Perse et de Lucain. Nous ne retrouverons plus la satire; mais nous verrons encore l'esprit satirique. C'est lui qui anime presque toute la poésie de Martial; c'est lui qui inspirera, jusque dans les derniers jours de la littérature latine, les plus beaux vers de Claudien et de Rutilius.

1. Juvénal, Satires, satire XII, vers 83 et suivants. 2. Juvénal, Satires, satire III, vers 223 et suivants.

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Catulle avait excellé dans l'épigramme. Plus d'un parmi ses contemporains en tourna passablement quelqu'une. On se rappelle les vers de Jules César sur Térence. Les deux frères Cicéron, sans être de grands poëtes, savaient aiguiser et versifier un mot heureux. Ce talent de bien dire de petites choses devint presque vulgaire à Rome, au siècle d'Auguste, quand le goût de la poésie eut envahi toute la ville, et qu'on vit, selon l'expression d'Horace, ignorants et savants écrire des poëmes. Il n'est guère d'homme de quelque esprit qui ne soit cité comme ayant laissé des épigrammes, et même de bonnes épigrammes. Auguste en faisait de fort piquantes, sinon de fort chastes. Nous en avons une de Mécène, qui est pleine de bonhomie et de grâce, et que La Fontaine a éternisée. Je n'ai pas besoin de rappeler que Virgile, qu'Ovide, que presque tous les poëtes fameux avaient été aussi des épigrammatistes à leurs heures. Je remarque seulement qu'un catalogue complet de tous les amateurs qui, poëtes ou non, se sont crus en état de rédiger en vers quelque petite malice, ou quelque trait agréable, serait une liste presque sans fin. Mais, parmi tous ces noms, il y en a bien peu qui vaillent d'être cités. Peu importe au lecteur Lentulus Gétulicus, ou Sentius Augurinus, ou tel autre. L'empereur Adrien, qui a adressé de si jolis vers à son âme, mériterait presque seul une exception. Ce n'est pas que l'Anthologie latine ne contienne quelquefois, sous les noms les plus ignorés, des pièces assez gentilles; mais cette petite poésie ne nous arrêtera pas. Martial nous appelle, Martial qui est presque le génie même de l'épigramme; un poëte de grand renom, et dont nous devons signaler avec quelque détail les qualités et les défauts.

Vie de Martial.

Marcus Valérius Martialis naquit en l'an 40, à Bilbilis, ville d'Espagne, dans la province de Tarragone. A l'âge de vingt et un ans, il quitta son pays et vint à Rome. Il ne voulait d'abord qu'y perfectionner son éducation; mais il finit par s'y fixer, et il y demeura trente-cinq années. Il ne fit jamais d'autre métier que celui de poëte. Grâce aux largesses de quelques patrons opulents, et surtout de Domitien Jupiter, il vécut entre la misère et l'aisance, mais toujours plus voisin de la pauvreté que de la richesse. Les honneurs ne lui manquèrent pas Domitien le nomma chevalier, et lui accorda certains priviléges plus ou moins enviables. En même temps il devenait célèbre dans tout l'empire, et sa renommée d'écrivain atteignait, à l'en croire, les plus hautes; non pas seulement celles du siècle, mais celles des temps passés. Il y a ici sans doute un peu de vanterie espagnole; mais il est incontestable que Martial eut de beaux succès littéraires, et qu'il prit rang, dès ses débuts, parmi les poëtes aimés du public. A cinquante-six ans, veuf et sans famille, il sentit renaître en lui l'amour du sol natal, et il retourna à Bilbilis. Là il contracta un second, ou, selon quelques-uns, un troisième mariage, qui assura son existence contre les mauvaises chances de la fortune. Quand il était parti de Rome, il avait fallu que son ami Pline le Jeune lui payât les frais du voyage: Marcella, sa nouvelle femme, lui apporta en dot de quoi faire à peu près, dans Bilbilis, une figure de chevalier. Mais il ne jouit pas longtemps des biens si tard acquis. On ne sait pas la date exacte de sa mort; mais on sait qu'il ne dépassa pas beaucoup la soixantaine.

Épigrammes de Martial.

Martial n'a jamais écrit ni voulu écrire que des épigrammes. Il y en a quinze cents environ dans son recueil, et elles sont divisées en quatorze livres, sans compter le livre préliminaire, intitulé Spectacles. La Harpe, qui se trompe sur les chiffres réels des livres et des épigrammes, puisqu'il diminue l'un de deux ou trois et l'autre de trois

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