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armes enflammées, et, retournant aux festins de la table de Ganymède, il prend la coupe de cette main qui a porté la foudre1. » Et d'autres développements de la même richesse. Ce n'est pas ainsi que Stace féconde ses sujets, même les plus stériles. Il est vrai que l'auteur du poëme dit qu'il n'a que vingt ans on peut donc lui passer ses tautologies enfantines. Mais je suis bien sûr que Stace, à vingt ans, était un artiste autrement habile que le panégyriste de Pison. Autre difficulté pour ceux qui attribuent l'Éloge de Calpurnius Pison au poëte des Silves. Quel est ce Pison que Stace aurait célébré, pour tâcher de s'en faire un Mécène? Ce n'est pas, certes, le Pison de la fameuse conspiration, qui mourut dans un temps où Stace était encore à la bavette. Or, ce Pison est le seul à qui s'applique exactement le portrait fait par le poëte, sauf les petites exagérations permises à un panégyriste. Enfin, le pauvre diable qui adresse cette humble supplique à un riche patron, et qui semble surtout viser à sa bourse, ne me représente nullement le fils du célèbre grammairien de Naples, du maître de Domitien; le poëte si fêté dès ses débuts; un homme qui n'eut jamais besoin, quoi que semble dire Juvénal, de rien vendre à Paris, pour se préserver de la misère.

Ce poëte qui n'est pas Stace, quel est-il donc? On a imaginé de le chercher jusque dans le siècle d'Auguste; on a fait de son Pison le père de ces deux Pisons à qui Horace s'adresse dans l'Art poétique, ou l'un de ces deux Pisons; on a nommé Ovide, on a nommé Virgile même. Hypothèses cent fois plus inadmissibles que celle des partisans de Stace; et pour toute sorte de raisons qu'on me dispensera de déduire. Je remarquerai seulement que le prétendu Virgile, et un Virgile de vingt ans, rappelle à son protecteur que le poëte de l'Eneide n'eût jamais rivalisé avec Homère, si Mécène n'avait accueilli sa muse. D'autres, en désespoir de cause, se sont rabattus sur Lucain: aussi peu sensément, à mon gré. Lucain était l'ami de Calpurnius Pison, et non pas son protégé. Lucain, avec sa grande fortune, Lucain le fa

1. Éloge de Calpurnius Pison, vers 127 et suivants.

vori de Néron, n'eut jamais à mendier l'assistance de personne; enfin la poésie de Lucain, si énergique et même si savante, malgré ses défectuosités, n'a rien de commun, absolument rien, avec la plate et insignifiante poésie de l'Éloge de Calpurnius Pison.

Il y a un poëte auquel on n'avait pas songé d'abord, qui a tous les titres requis à cette paternité contestée. C'est Saléius Bassus, l'humble Saléius, comme le désigne Juvénal, ou, pour traduire plus exactement, le mince Saléius. Il était fort pauvre l'épithète de Juvénal en fait foi; surtout le commentaire dont Juvénal l'accompagne. Les libéralités de Vespasien le tirèrent de la misère; mais il avait été longtemps réduit aux expédients. D'ailleurs les dates conviennent: Saléius écrivait déjà au temps de Perse et de Lucain; . et rien n'empêche qu'il ait, à vingt ans, composé l'Éloge de Calpurnius Pison. Ce début n'annonçait pas un grand génie, ni même un véritable talent. Il paraît cependant que le panégyriste de Pison se fit plus tard une assez belle place dans la littérature, à côté de Martial et de Stace. L'auteur du Dialogue des Orateurs donne à Saléius le titre de poëte excellent; il dit que les vers naissent chez lui élégants et pleins de charme. Mais nous ne savons pas par quelle œuvre Saléius avait conquis sa réputation. Nous ne savons pas non plus s'il appartenait à ce que nous nommons l'école virgilienne. Son premier poëme me porterait à le croire : la versification en est passablement simple, et la diction à peu près pure. Cependant je dois remarquer que Quintilien parle de Saléius Bassus dans des termes qui feraient supposer un émule de Lucain bien plus qu'un disciple de Virgile : « Saléius Bassus eut un génie véhément et poétique, et que la vieillesse même ne parvint pas à mûrir. »

Térentianus Maurus.

Quant à Térentianus Maurus, celui qui a versifié les règles de la métrique, et qui est, selon quelques-uns, le même Térentianus, préfet de Syène, dont il est question dans Martial, nous devons le compter comme un des partisans les plus déclarés de la réaction classique. Son style n'a au

cun des défauts dont les virgiliens mêmes n'ont pu se préserver. Il traite en fort bons termes, dans ses quatre livres, et même avec infiniment d'art, des lettres de l'alphabet, des syllabes, des pieds et des mètres; il donne, comme le remarquent ses admirateurs, l'exemple avec le précepte, car il emploie, à propos de chaque espèce de rhythmes, des vers écrits dans la mesure de ceux dont il explique les règles. Je ne demande pas mieux que de reconnaître dans Térentianus Maurus un homme savant et habile. Son poëme est, si l'on veut, le chef-d'œuvre du genre auquel appartiennent les Racines grecques. Mais on conviendra, je l'espère, que Térentianus est trop près, malgré tout, du bonhomme Lancelot, pour ne pas être un peu loin de Virgile.

Columelle.

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Térentianus Maurus n'aurait pas écrit les Géorgiques. Un brave agriculteur eut l'ambition de les compléter. Lucius Junius Modératus Columella, un Espagnol de Gadès, contemporain probablement des poëtes dont nous venons de parler, rédigeait un traité de la Chose rustique, comme autrefois Caton et Varron. Arrivé à son dixième livre, il imagina d'écrire ce livre en vers, parce qu'il s'agissait des jardins, et parce que Virgile avait dit : « Mais l'espace me manque; je passe à côté de ce sujet, et je le laisse à chanter à d'autres1; puis il revint à la prose, dans le reste de son ouvrage, c'està-dire dans le onzième livre et dans le douzième. Columelle était un prosateur honnête; mais la vérité me force à confesser qu'il n'est guère plus poëte dans son dixième livre que dans les onze autres. Il traite des jardins en jardinier, ou plutôt en maraicher, car il a à cœur l'utile beaucoup plus que l'agréable. Ses vers sont d'une simplicité nue : le poëme, selon l'expression d'un critique, n'est guère plus orné qu'un potager. On voit que, même avec le continuateur de Virgile, nous sommes encore aux antipodes des Géorgiques.

Autres poëtes contemporains.

Je ne sais si je dois ranger parmi les hommes de l'école

1. Virgile, Géorgiques, livre IV, vers 147, 148.

classique, deux poëtes dont on applaudissait les tragédies dans les salles de lecture, Pomponius Sécundus et Curiatius Maternus. J'ai peur que leurs prétendues compositions dramatiques n'aient été que des déclamations à la façon de celles de Sénèque. Maternus essaya de traiter des sujets nationaux; mais je doute que le Caton de Maternus, qui coûta peut-être la vie à son auteur, fût une œuvre beaucoup supérieure même à l'Octavie. Que dis-je ? l'Octavie est peutêtre de lui. Je mentionne seulement pour mémoire Verginius Romanus, qui lisait à ses auditeurs des espèces de comédies, sous le titre de mimïambes; et Passiénus Paulus, l'ami de Stace, ce chevalier romain qui était du pays et de la famille de Properce, et qui se croyait tenu à composer des élégies; et le Gaulois Sentius Augurinus, qui réussissait dans les hendécasyllabes. Quant aux autres poëtes, dont je pourrais encore citer les noms, il n'y en a pas un seul qui ait laissé même un souvenir.

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LE CHAPITRE PREMIER DU DIXIÈME LIVRE.

QUE LE DIALOGUE DES ORATEURS N'EST PAS DE QUINTILIEN. LES PERSONNAGES DU DIALOGUE. INTÉRÊT HISTORIQUE ET LITTÉRAIRE DU DIALOGUE DES ORATEurs.

Benommée de Quintilien.

Le livre de Quintilien est un bon livre : c'est l'œuvre d'un homme de beaucoup de talent, d'esprit et de goût, d'un penseur à la fois ingénieux et solide, d'un maître expérimenté, d'un habile écrivain. Mais, enfin, ce n'est, comme l'indique le titre, que l'Institution oratoire, c'est-à-dire un traité de l'éducation de l'orateur, ou plutôt de l'avocat, c'est-à-dire une rhétorique. Comment se fait-il qu'un sim

ple rhéteur, que l'auteur d'un ouvrage tout technique, où l'invention n'est rien, ou presque rien, ait conquis une réputation de génie, et qu'il balance, dans la postérité, les plus illustres renommées? Comment se fait-il que le nom de Quintilien vienne encore dans tant de bouches avec le nom même du grand Cicéron, comme s'il s'agissait des deux jumeaux de l'éloquence? C'est un problème que le livre tout seul ne suffit point à résoudre. Le nom de Quintilien n'est pas seulement le nom de l'auteur de l'Institution oratoire c'est celui du chef de l'école classique; c'est celui d'un avocat éminent; c'est celui du plus fameux professeur qui eût jamais enseigné les belles-lettres à Rome. Quintilien était depuis longues années à l'apogée de la célébrité, quand il céda aux instances du libraire Tryphon, et publia les leçons qu'il avait rédigées pour son ami Marcellus : il y avait longtemps que Martial avait salué, dans ce modérateur de la jeunesse, la gloire de la toge romaine. Un bon livre, composé par cet homme honoré, ne pouvait être reçu qu'avec un applaudissement universel. L'Institution oratoire fut, pour les contemporains, le chef-d'œuvre des chefs-d'œuvre. Ce résumé devint le manuel de tous les maîtres d'éloquence et de tous les aspirants orateurs. On ne jura plus désormais que par Quintilien : Quintilien fut l'oracle de la critique et du goût; ses jugements furent des arrêts sans appel. On fit honneur au savant rédacteur du code oratoire, non pas seulement de l'art avec lequel il en avait distribué les parties, non pas seulement de ce qu'il avait ajouté aux idées de ses devanciers, non pas seulement de la forme agréable dont il avait revêtu les préceptes; mais, si je l'ose ainsi dire, on lui fit honneur de la science même : on adora un inventeur dans celui qui n'était, peu s'en faut, qu'un compilateur et un metteur en œuvre. On ne se souvenait pas que, bien longtemps avant Quintilien, il y avait eu un Aristote, et que cet Aristote avait écrit la Rhétorique, un livre bien autrement fort et profond que l'Institution oratoire. A peine se souvenaient-ils, ces Romains dégénérés, que leur Cicéron, que ce Cicéron dont Quintilien avait relevé les statues, ce Cicéron dont ils méditaient les harangues et les plaidoyers,

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