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par leurs visites d'intrigants, et par les séductions de leurs flatteries 1. >>

Voici quelques traits du panégyrique de l'éloquence, qui précède, dans les discours d'Aper, la diatribe contre les anciens: « Je passe au plaisir que procure l'éloquence oratoire. Ce n'est pas une simple jouissance d'un instant, mais une jouissance de presque tous les jours, de presque toutes les heures. Qu'y a-t-il, en effet, de plus doux, pour une âme libre et bien née, et faite pour les voluptés délicates, que de voir accourir à sa maison, sans cesse et en foule, les hommes les plus distingués, et de savoir que ces prévenances ne s'adressent ni à l'argent, ni à la succession, ni aux emplois, mais à la personne même? Bien plus, les hommes sans héritiers, les riches, les puissants, viennent chez l'orateur, qui n'est d'ordinaire qu'un homme jeune et pauvre, pour le charger de conjurer leurs périls ou ceux de leurs amis. Y a-t-il, dans la plus grande opulence, dans la puissance la plus haute, une satisfaction égale à celle de voir des vieillards, des hommes avancés dans la vie, et forts de la considération générale, confessant, au sein même de l'abondance de toutes choses, qu'un bien leur manque, et le plus précieux de tous? Quand l'orateur sort en public, quel cortége de clients! quelle représentation! Et dans les tribunaux, quel respect il inspire! Quelle joie pour lui de se lever, de parler au milieu du silence universel, d'attirer uniquement tous les regards! de voir le peuple se réunir autour de lui, et se laisser aller à tous les sentiments que juge à propos de revêtir l'orateur ! Ce ne sont là que les joies publiques de l'éloquence, celles qui frappent les yeux mêmes les moins exercés. Il en est d'autres plus secrètes, connues des orateurs seuls, et plus grandes. Quand l'orateur se présente avec un discours soigneusement préparé, sa joie a, comme sa diction même, un caractère grave et contenu; apportet-il une œuvre nouvelle et inachevée, l'émotion, et aussi l'inquiétude, donnent plus de prix au succès, et aiguillonnent le plaisir. Mais ses plus grandes douceurs, il les trouve

1. Dialogue des Orateurs, chap. XXVIII, XXIX.

dans les hardiesses de l'improvisation, dans les témérités imprévues. Car l'esprit ressemble à la terre: il est des fruits qui ne viennent qu'à force de travail et de soins; mais les plus agréables sont ceux qui naissent sans culture 1. »

Aper ne se borne pas à vanter l'éloquence : il attaque vivement la poésie; il essaye de prouver qu'elle ne sert de rien à ceux qui la cultivent; il conseille à Maternus de renoncer à l'art des vers, et de se livrer tout entier à celui au bout duquel sont les honneurs et la fortune. Maternus répond vivement à l'assaut d'Aper, en poëte obstiné dans ses goûts, en digne fils de la Muse. Je vais transcrire une bonne partie de sa réponse.

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Quant à ces bois et à ces ombrages, quant à cette solitude contre laquelle s'emportait Aper, j'y trouve un tel charme, qu'un des principaux bienfaits de la poésie, c'est, selon moi, de faire les vers loin du bruit, loin des larmes et des douleurs des accusés, et sans qu'un plaideur soit assis à notre porte. L'âme s'exile dans des lieux calmes et purs, et jouit des demeures sacrées. C'est là le berceau de l'éloquence, c'est là son sanctuaire. C'est ornée des formes de la poésie, que l'éloquence se présenta d'abord aux yeux des mortels, et qu'elle pénétra dans les cœurs chastes, et que n'avait encore souillés aucun vice. C'était le langage des oracles. Car cette éloquence cupide et sanguinaire que nous voyons aujourd'hui est chose toute récente, née de notre dépravation, et, comme tu disais, Aper, imaginée pour tenir lieu d'arme offensive. Cet âge heureux, et, pour me servir de l'expression consacrée, ce siècle d'or, ne connaissait ni orateurs ni accusations: en revanche, il abondait en poëtes et en hommes inspirés, qui chantaient les belles actions, et n'avaient point à en défendre de mauvaises. Il n'y avait personne qui jouît d'une gloire plus grande ni d'honneurs plus augustes, d'abord auprès des dieux, dont ils révélaient, pensait-on, les réponses, et dont ils partageaient les festins; ensuite auprès de ces enfants des dieux, de ces rois sacrés, qui n'avaient point des avocats près d'eux, mais Orphée,

1. Dialogue des Orateurs, chap. VI.

mais Linus, et, si tu veux remonter plus haut encore, Apollon lui-même. Mais ce sont là peut-être des fables, des récits inventés à plaisir tu m'accordes du moins, Aper, qu'Homère n'a pas moins d'honneurs, dans la postérité, que Démosthène; et que la renommée d'Euripide ou de Sophocle n'est pas enfermée dans des limites plus étroites que celle de Lysias ou d'Hypéride. Tu vois aujourd'hui plus de détracteurs de la gloire de Cicéron que de celle de Virgile; et il n'y a pas un livre d'Asinius ou de Messala, qui soit illustre à l'égal de la Médée d'Ovide ou du Thyeste de Varius.

« Et je ne craindrais pas de comparer la fortune des poëtes, et ce bonheur qu'ils ont d'habiter en eux-mêmes, avec la vie inquiète et troublée des orateurs. Quoique leurs combats et leurs dangers aient pu les faire monter à des consulats, j'aime mieux la sûre et paisible retraite de Virgile, retraite où il ne manqua pourtant ni de faveur auprès du divin Auguste, ni de célébrité parmi le peuple romain : témoin les lettres d'Auguste, témoin le peuple lui-même, qui, ayant entendu dans le théâtre les vers de Virgile, se leva tout entier, et témoigna à Virgile, présent par hasard et regardant, les mêmes respects qu'à Auguste. De nos jours mêmes, Pomponius Sécundus ne l'aura cédé à Domitius Afer, ni par la considération pendant sa vie, ni par la réputation après sa mort. Car ce Crispus et ce Marcellus, dont tu me cites les exemples pour me convaincre, qu'ontils donc dans leur destinée qui mérite si fort l'envie? Est-ce de craindre? est-ce d'être craints? Est-ce d'être sollicités chaque jour, et maltraités par ceux qu'ils obligent? Est-ce parce qu'ils sont enchaînés à l'adulation, et parce qu'ils ne sont jamais assez serviles selon les gouvernants, ni assez indépendants selon nous? Quelle est donc cette puissance si grande dont ils disposent? Nous voyons souvent des affranchis qui ne sont pas moins puissants. Fassent les douces Muses, comme les appelle Virgile, qu'il me soit permis de m'arracher aux inquiétudes et aux soucis, à la nécessité de faire chaque jour quelque chose contre mon sentiment! Qu'elles m'emportent dans leurs bosquets sacrés, et au bord de leurs fontaines! Là, je n'aurais plus à m'exposer tout

tremblant aux folies et aux dangers du Forum ; je ne poursuivrais plus le pâle fantôme de la gloire; je ne m'éveillerais plus aux clameurs des clients, à la voix d'un affranchi hors d'haleine; je n'aurais pas besoin d'écrire un testament pour me garantir contre les incertitudes de l'avenir : J'aurais juste assez de bien pour le laisser à qui je voudrais, en quelque instant qu'arrivât mon dernier jour; l'image qu'on mettrait sur ma tombe ne serait point triste et morose, mais souriante et couronnée; personne enfin, après ma mort, n'aurait ni à défendre ma mémoire, ni à intercéder pour elle.

Le Dialogue des Orateurs s'imprime ordinairement à la suite des œuvres de Tacite. Rien ne prouve, je l'ai dit, qu'il soit de Tacite; mais on voit qu'il est en état de faire quelque figure, dans un tel recueil, à côté de la Vie d'Agricola, à côté de la Germanie même.

CHAPITRE XXXIX.

LES DEUX PLINE.

VIE DE

L'HISTOIRE NATURELLE. - AUTRES OUVRAGES DE PLINE L'ANCIEN.
PLINE L'ANCIEN. VIE DE PLINE LE JEUNE. CARACTÈRE DE PLINE LE

JEUNE,

--

PLINE LE JEUNE ORATEUR.
LETTRES DE PLINE LE JEUNE.

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L'Histoire naturelle.

L'Histoire naturelle de Pline l'Ancien est la plus vaste composition, sans contredit, que jamais Romain ait conçue et exécutée. Elle a trente-sept livres. Le titre n'indique qu'imparfaitement la prodigieuse diversité des sujets embrassés et traités par l'auteur. C'est une véritable encyclopédie des sciences et des arts. Pline avait mis à contribution plus de deux mille ouvrages sur toutes sortes de matières. Il énumère, dans son premier livre, les sources où il a puisé : ce livre est comme un index, où il a résumé brièvement ce qui est développé dans les autres. Il expose ensuite la cos

mographie et la géographie; et, pour ce qui concerne certaines contrées, il écrit surtout d'après ses observations personnelles. Au septième livre, commence l'histoire naturelle proprement dite Pline traite successivement de la zoologie, de la botanique, de la pharmacologie, de la minéralogie. A propos des minéraux, il s'occupe de la sculpture, de la peinture, décrit les procédés des arts plastiques, et entre dans de curieux détails sur les peintres et les sculpteurs de l'antiquité, et sur leurs œuvres. Les cinq derniers livres sont presque tout entiers consacrés à ces recherches, qui n'ont, comme on le voit, qu'un rapport fort éloigné avec l'histoire naturelle.

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Pline, dit Buffon, a voulu tout embrasser ; et il semble avoir mesuré la nature, et l'avoir trouvée trop petite encore, pour l'étendue de son esprit. Son Histoire naturelle comprend, indépendamment de l'histoire des animaux, des plantes et des minéraux, l'histoire du ciel et de la terre, la médecine, le commerce, la navigation, l'histoire des arts libéraux et mécaniques, l'origine des usages, enfin toutes les sciences naturelles et tous les arts humains; et, ce qu'il y a d'étonnant, c'est que, dans chaque partie, Pline est également grand. L'élévation des idées, la noblesse du style, relèvent encore sa profonde érudition. Non-seulement il savait tout ce qu'on pouvait savoir de son temps, mais il avait cette facilité de penser en grand qui multiplie la science; il avait cette finesse de réflexion de laquelle dépendent l'élégance et le goût, et il communique à ses lecteurs une certaine liberté d'esprit, une hardiesse de penser, qui est le germe de la philosophie. Son ouvrage, tout aussi varié que la nature, la peint toujours en beau : c'est, si l'on veut, une compilation de tout ce qui a été fait d'excellent et d'utile à savoir; mais cette copie a de si grands traits, cette compilation contient des choses rassemblées d'une manière si neuve, qu'elle est préférable à . la plupart des ouvrages originaux qui traitent des mêmes

matières. >>

Il n'y a rien à ajouter, ou presque rien, à un tel jugement, et venant d'un tel maître. Je dirai seulement que la diction de Pline n'est pas toujours d'une pureté parfaite, ni même

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