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tices sur les grammairiens et les rhéteurs portent tous les caractères de l'authenticité; mais ce n'est pas par le sujet qu'elles peuvent beaucoup se recommander aujourd'hui à nos yeux. On y trouve pourtant une foule de détails qu'on chercherait vainement ailleurs, et qui ne sont pas moins précieux que ceux qui remplissent les notices sur les poëtes. On les lit, non point parce que Suétone y raconte les travaux des Orbilius ou des Otacilius Pilitus, mais parce que, à l'occasion de ces noms plus ou moins obscurs, il lui est arrivé souvent de toucher ou à d'autres personnages plus fameux, ou à des faits importants de l'histoire de la langue et de la littérature. On soupçonne que les trois livres dont nous venons de parler ne sont que des parties d'un ouvrage étendu, qui contenait peut-être plusieurs autres livres encore, et qui aurait eu pour titre des Hommes illustres dans les lettres; mais ce n'est là qu'une conjecture, qu'aucune preuve décisive n'a jusqu'à présent convertie en vérité démontrée.

L'ouvrage qui a fait la réputation de Suétone, ce sont les Vies des douze Césars. La Harpe, qui avait pourtant traduit Suétone, le juge avec quelque sévérité; et cette sévérité est loin de n'être pas méritée. « Suétone, dit-il, est exact jusqu'au scrupule, et rigoureusement méthodique : il n'omet rien de ce qui concerne l'homme dont il écrit la vie; il rapporte tout; mais il ne peint rien. C'est proprement un anecdotier, si l'on peut se servir de ce terme, mais fort curieux à lire et à consulter. On rit de cette attention dont il se pique dans les plus petites choses; mais souvent on n'est pas fâché de les trouver. D'ailleurs, il cite des ouïdire, et ne les garantit pas. S'il abonde en détails, il est fort sobre de réflexions. Il raconte sans s'arrêter, sans s'émouvoir : sa fonction unique est celle de narrateur. Il résulte de cette indifférence un préjugé bien fondé en faveur de son impartialité. Il n'aime ni ne hait personnellement aucun des hommes dont il parle il laisse au lecteur à les juger. Nous ajouterons peu de chose à ce qui précède. Les biographies de Suétone ne sont pas proprement de l'histoire; ou, si l'on veut, c'est de l'histoire d'antichambre; ce sont des récits

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débraillés, si j'ose ainsi dire, des récits faits sans art, sans ordre, sans méthode aucune, et où le sans-gêne n'est jamais cet heureux négligé qui fait le charme de la narration de Plutarque. Il faut y regarder avant de puiser dans cet amas d'objets de toute sorte et de toute valeur. Suétone est une autorité souvent suspecte; non pas qu'il n'aime la vérité et qu'il ne la cherche curieusement; mais quelquefois il entend mal, comme on entend en écoutant aux portes. Avec de la critique, on sépare aisément le vrai du faux, et l'or pur du fatras où il se trouve mêlé. Suétone, entre des mains habiles, est une mine historique plus précieuse et plus féconde peut-être que Tacite avec toutes ses richesses et toutes ses magnificences. A coup sûr, il serait presque impossible, sans ce bavard trop souvent obscène, d'écrire une histoire de l'empire qui, dans nos idées, méritât véritablement ce nom.

Julius Obséquens.

Nous mentionnons ici pour mémoire Julius Obséquens, auteur d'un livre intitulé des Prodiges. C'était une série d'extraits d'historiens, et particulièrement de Tite Live. Le titre indique assez le but que s'était proposé l'écrivain. Il reste un fragment de cette compilation soi-disant historique : c'est le récit des prodiges consignés dans l'histoire depuis l'an 249 avant J. C. jusqu'à Auguste. La perte du reste n'est pas une très-grande perte, même pour l'histoire. Quant à la littérature, il est probable qu'elle n'y eût pas beaucoup trouvé ni à louer, ni peut-être à blâmer. Julius Obséquens n'est partout qu'un faiseur d'extraits: il ne se permet ni réflexions personnelles, ni jugements sur les faits qu'il raconte; il écrit assez purement, sans affectation et sans emphase; mais c'est sans nul doute aux auteurs qu'il extrait qu'il doit de n'être pas trop indigne des bons siècles de la langue.

Historiens perdus.

Beaucoup d'historiens, plus ou moins célèbres durant cette période, sont à peine connus de nom aujourd'hui. Je

ne parle pas de Tibère, ni de l'empereur Claude, qui avaient laissé des Mémoires, et même, ce dernier, une Histoire de Rome en vingt et un livres. Ceux-là sont trop connus. Mais il nous serait difficile de dire par quelles qualités littéraires se distinguaient ou Brutidius Niger, qui écrivit sur la mort de Cicéron, ou Caïus Balbillus, qui écrivit sur l'Égypte. Nous savons pourtant que Thraséa Pétus, fameux par sa vie et par sa mort, avait dignement raconté la vie et la mort de Caton d'Utique; qu'Arulénus Rusticus et Hérennius Sénécion, sous Domitien, encoururent la mort, pour avoir célébré, l'un Thraséas, l'autre Helvidius, et que leurs livres eux-mêmes furent brûlés par la main du bourreau, dans le comice et le Forum. Les autres historiens que nous pourrions citer sont plus inconnus encore que Balbillus, et que Brutidius.

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STYLE DE TACITE. VIE DE TACITE. OUVRAGES PERDUS DE TACITE.AGRICOLA. MOEURS DES GERMAINS.

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HISTOIRES; ANNALES.

Tacite selon ses panégyristes.

Écoutons d'abord La Harpe : « On ne peut pas dire de Tacite, comme de Salluste, que ce n'est qu'un parleur de vertu : il la fait respecter à ses lecteurs, parce que lui-même paraît la sentir. Sa diction est forte comme son âme; singulièrement pittoresque, sans être jamais trop figurée; précise, sans être obscure; nerveuse, sans être tendue. Il parle à la fois à l'âme, à l'imagination, à l'esprit. On pourrait juger des lecteurs de Tacite par le mérite qu'ils lui trouvent, parce que sa pensée est d'une telle étendue, que chacun y pénètre plus ou moins, selon le degré de ses forces. Il creuse

à une profondeur immense, et creuse sans effort. Il a l'air bien moins travaillé que Salluste, quoiqu'il soit sans comparaison plus plein et plus fini. Le secret de son style, qu'on n'égalera peut-être jamais, tient non-seulement à son génie, mais aux circonstances où il s'est trouvé. »

Après avoir dit comment Tacite avait véçu, et sous quel tyran il avait été réduit à gémir en silence des maux de sa patrie, le critique ajoute : « Dans cette douloureuse oppression, Tacite, obligé de se replier sur lui-même, jeta sur le papier tout cet amas de plaintes et ce poids d'indignation dont il ne pouvait autrement se soulager: voilà ce qui rend son style si intéressant et si animé. Il n'invective point en déclamateur: un homme profondément affecté ne peut pas l'être; mais il peint avec des couleurs si vraies tout ce que la bassesse et l'esclavage ont de plus dégoûtant, tout ce que le despotisme et la cruauté ont de plus horrible; les espérances et les succès du crime; la pâleur de l'innocence et l'abattement de la vertu ; il peint tellement tout ce qu'il a vu et souffert, que l'on voit et que l'on souffre avec lui. Chaque ligne porte un sentiment dans l'âme il demande pardon au lecteur des horreurs dont il l'entretient; et ces horreurs mêmes attachent au point qu'on serait fâché qu'il ne les eût pas tracées. Les tyrans nous semblent punis quand il les peint. Il représente la postérité et la vengeance; et je ne connais point de lecture plus terrible pour la conscience des méchants. »

Un peu plus loin, La Harpe repousse les attaques dont le style de Tacite a été l'objet, et il s'approprie, en le transcrivant, ce jugement de Juste Lipse: «Chaque page, chaque ligne de Tacite est un trait de sagesse, un conseil, un axiome. Mais il est si rapide et si concis, qu'il faut bien de la sagacité pour le suivre et pour l'entendre. Tous les chiens ne sentent pas le gibier, et tous les lecteurs ne sentent pas Tacite. "

Marie-Joseph Chénier entonne un véritable dithyrambe en l'honneur de celui qu'il proclame le premier de tous les historiens: Soit, dit-il, que, d'une plume austère, Tacite décrive les mœurs des Germains; soit qu'avec une pieuse

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éloquence, il transmette à la postérité la vie de son beaupère Agricola; soit qu'ouvrant l'âme de Tibère, il y compte les déchirements du crime et les coups de fouet du remords; soit qu'il peigne le sénat, les chevaliers, tous les Romains se précipitant vers la servitude, esclaves même des délateurs, et accusant pour n'être point accusés; l'artificieux Séjan redouté d'un maître qu'il craint; les affranchis tout-puissants par leur bassesse; Pallas gouvernant l'imbécile Claude, Narcisse l'exécrable Néron; les avides ministres de Galba se hâtant, sous un vieillard, de saisir une proie qui va bientôt leur échapper; les Romains combattant jusque dans Rome, afin qu'entre Othon et Vitellius la victoire nomme le plus coupable, en se déclarant pour lui soit qu'il représente Germanicus vengeant la perte des légions d'Auguste, ou puni par le poison de ses triomphes et de l'amour du peuple; l'historien Crémutius Cordus forcé de mourir pour avoir loué Brutus et Cassius, et, suivant un très-juste usage, sa proscription doublant sa renommée; Britannicus, Octavie, Agrippine, victimes d'un tyran trois fois parricide; Sénèque se faisant ouvrir les veines conjointement avec son épouse; les débats héroïques de Servilius et de son père Soranus; Thraséas, aux prises avec la mort, offrant une libation de son sang à Jupiter Libérateur, et prescrivant la vie comme un devoir à la mère de ses enfants: il est tour à tour ou à la fois énergique, sublime, variant ses récits autant que le permet la monotonie du despotisme, et toujours également admirable; imitant Thucydide et Salluste, mais surpassant ses modèles, comme il surpasse tous ses autres devanciers, et ne laissant à ses successeurs aucun espoir de l'atteindre. Étudiez l'ensemble de ses ouvrages, c'est le produit d'une vie entière d'études prolongées, de méditations profondes. Examinez les détails, tout y ressent l'inspiration, tous les mots sont des traits de génie et les élans d'une grande âme. Incorruptible dispensateur et de la gloire et de la honte, il représente cette conscience du genre humain que, selon ses énergiques expressions, les tyrans croyaient étouffer au milieu des flammes, en faisant brûler publiquement les œuvres du talent resté libre et les éloges

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