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CHAPITRE XLVI.

LES DERNIERS POËTES.

QUELQUES MOTS SUR AUSONE. CLAUDIEN ET RUTILIUS. VIE DE CLAUDIEN. ITINÉRAIRE DE RUTI

OUVRAGES DE CLAUDIEN. VIE DE RUTILIUS.
LIUS. ÉPILOGUE.

Quelques mots sur Ausone.

Les derniers poëtes de Rome sont Claudien et Rutilius. On ne nous pardonnerait pas néanmoins d'oublier ici Ausone. Il est vrai qu'Ausone était chrétien, et qu'en cette qualité il n'appartient point à notre sujet. Mais il n'était chrétien que de nom, et ses œuvres ne témoignent pas qu'il se souvint beaucoup de son baptême. Elles ne sont pas, certes, des monuments de sa foi. Nul païen ne fut plus païen, et dans le pire sens du terme, que ce prétendu fils de l'Église. On dirait qu'il n'a pas même été éclairé de cette lumière morale qui illumine tout homme venant en ce monde. Son principal titre à la renommée, c'est l'infâme Centon nuptial, ce poëme tout composé de vers et d'expressions de Virgile, et qui, grâce au travail de l'arrangeur, n'est rien que fange et ordure. Voilà le pieux usage que faisait de ses talents un homme qui devait surtout de bons exemples à la jeunesse, un maître de grammaire et d'éloquence! Les poésies originales d'Ausone sont assez chastes; mais on ne les lit guère; et, franchement, elles ne méritent pas d'être lues. Il y a pourtant quelques épigrammes passables; et l'interminable poëme descriptif intitulé la Moselle pourrait fournir quelques morceaux assez brillants à une anthologie. Du reste, ni inspiration ni naturel; de l'esprit qui n'est pas autre chose; une versification dure et incorrecte; une diction souvent barbare. Ce professeur de belles-lettres n'a rien de commun avec la littérature classique. Il est complétement de son siècle. Aussi bien son siècle le récompensa largement de ses défauts. Bordeaux, qui était sa patrie, le chargea d'enseigner dans ses écoles fameuses; il devint le précepteur du fils de Valentinien; et Gratien, son élève, lui conféra la di

gnité de consul pour les Gaules. Il vécut riche et honoré, et il prolongea sa vie jusqu'à un grand âge. Il était né vers l'an 310, et il mourut vers l'an 394.

Claudien et Rutilius.

Arrêtons-nous un instant en face des deux survivants véritables de la postérité de Virgile et d'Horace. Ils sont bien dégénérés de leurs pères : qui en doute? mais on voit encore, à plus d'un trait, qu'ils sont de noble famille. Claudien est plein d'imagination; Rutilius petille d'esprit. Celui-là écrit avec force, et revêt quelquefois sa pensée d'expressions frappantes et d'images heureuses; celui-ci écrit avec élégance, et dessine légèrement des esquisses agréables. L'un a le ton solennel et grave; la voix de l'autre a quelque chose d'argentin, qui pique et réveille. Claudien est l'éloquence; Rutilius l'est aussi quelquefois; il est, de plus, la finesse et la grâce. Je viens de dire le bien : il faut dire le mal aussi; et ce n'est point, hélas! la part la moindre. Rutilius bavarde assez souvent sans trop de raison, et ce qu'il dit n'en valait pas toujours la peine. Bien qu'il s'efforce de suivre les bons modèles, il est de son temps plus qu'il ne veut; et plus d'un tour forcé ou obscur, plus d'un terme impropre ou bizarre, témoignent qu'il n'avait pas vécu à la cour d'Auguste. L'harmonie de ses vers n'est pas irréprochable, ni leurs coupes bien savantes et bien variées. D'ailleurs, son poëme n'était guère considérable; et ce récit n'a pas dû lui coûter beaucoup de frais d'invention. Quant à Claudien, ce qui lui manque un peu trop, c'est le goût et la mesure. Il n'atteint bien souvent qu'à une fausse grandeur; son éloquence dégénère à chaque instant en enflure: il aime à se payer de mots, et il n'attend pas toujours les idées. On ne le lit pas sans difficulté ni sans ennui. Le vague des terines et la redondance des épithètes rendent la phrase obscure : rien de net, de délimité, de précis. Il évite les élisions dans ses vers; mais on dirait qu'il aspire à la monotonie. Il n'a que l'apparence d'une bonne versification; et rien ne ressemble moins que cette harmonie plate et uniforme à l'expressive et divine harmonie de Virgile. C'est bien là cette cloche bour

donnante à quoi un critique a comparé les vers assourdissants de Claudien. Que d'imperfections, bon Dieu! et je n'ai pas tout dit peut-être. Mais il y a assez de qualités, et dans Claudien et dans Rutilius, pour nous forcer à saluer en eux les deux derniers classiques. Demi-classiques, si l'on veut ; moins encore, j'y consens; mais enfin les deux derniers qui ont écrit des œuvres où il y a du talent, et d'où l'inspiration n'est pas toujours absente.

Vie de Claudien.

Claudius Claudianus florissait vers la fin du règne de Théodose, et sous le règne d'Arcadius et Honorius. Quelques-uns le font naître à Florence, d'autres en Espagne. L'opinion la plus vraisemblable, c'est qu'il était d'Alexandrie en Égypte. L'époque de sa naissance et celle de sa mort sont inconnues. Sa vie ne l'est guère moins, sauf les conjectures qu'on peut se permettre à propos des écrits où il parle d'hommes et d'événements contemporains. On sait toutefois qu'il acquit, de son vivant même, une immense renommée. Nul poëte, à Rome, ne fut jamais comblé d'honneurs plus extraordinaires. Les empereurs Arcadius et Honorius lui élevèrent une statue sur le forum de Trajan; et c'est le sénat qui avait sollicité le décret d'érection. Sur le piédestal de la statue, on lisait une inscription en vers grecs, ou plutôt une apothéose de Claudius Claudianus. Suivant l'auteur de l'inscription, et suivant ceux qui la firent graver, Claudien portait en lui l'âme de Virgile et la muse d'Homère.

Ouvrages de Claudien.

Le plus fameux des ouvrages de Claudien est cette invective où il épuisa, contre Rufin mort, toutes les formes de l'outrage. C'est un poëme en deux livres, écrit, comme tous les grands poëmes de Claudien, dans le mètre héroïque. Le scélérat dont il stigmatisait la mémoire n'y est point calomnié. Mais nous ne pouvons pas dire que le poëte n'ait pas compté beaucoup trop sur la patience de ses lecteurs, en nous entretenant si longuement d'un pareil misérable.

Ceux qu'avait blessés Rufin vivant ont dû sans doute y trouver un grand charme de vengeance; mais nous, qui n'avons jamais rien eu à démêler avec le favori de Théodose, nous ne saurions aller jusqu'au bout sans demander grâce. Aussi bien on ne lit guère de la satire de Claudien que quelques morceaux çà et là. Il y en a de fort beaux. Dans les vers du début, Claudien atteint à la haute poésie, et ne dépasse presque jamais la mesure : « Souvent, dit-il, mon esprit a flotté incertain entre deux sentiments contraires. Les dieux s'inquiètent-ils du monde; ou n'y a-t-il point d'arbitre suprême, et les choses mortelles sont-elles le jouet d'un aveugle hasard? En effet, quand je considérais l'accord et l'harmonie de l'univers, les bornes prescrites à la mer, et le cours des saisons, et le retour successif du jour et de la nuit, je me disais alors Oui, la sagesse d'un dieu affermit la nature, règle la marche des astres, fait éclore les fruits à des temps divers, remplit d'une lumière empruntée la lune au changeant visage, et le soleil de feux qu'il ne doit qu'à lui; elle fixe aux flots un lit immense, et balance la terre sur l'axe qui la traverse. Mais, lorsque je voyais le crime dans le bonheur et les plaisirs, et la vertu dans la souffrance, alors croulait ma croyance ébranlée : j'embrassais à regret l'autre doctrine, celle qui égare les atomes dans l'immensité du vide, et qui soumet, non à une providence, mais au hasard, les corps sans cesse renaissants; la doctrine selon laquelle il n'y a pas de dieux, ou il n'y a que des dieux qui ne s'occupent pas de nous. Le châtiment de Rufin est venu un jour dissiper ce trouble et absoudre les dieux. Que des hommes injustes montent encore au faîte des honneurs, je ne me plains plus : ils ne s'élèvent si haut que pour tomber d'une plus lourde chute. »>

La satire contre Eutrope a deux livres aussi, et elle pourrait être réduite sans trop de perte, comme la satire contre Rufin, à quelques tirades plus ou moins brillantes. En attaquant Rufin et Eutrope, Claudien cherchait surtout à plaire à Stilicon. Ce sont des ennemis de Stilicon, comme le remarque M. V. Le Clerc, qu'il veut couvrir d'opprobre, bien plus peut-être que des ministres vicieux et inhabiles. Stilicon

était son héros. Il a écrit l'Éloge de Stilicon, poëme héroïque en trois livres, presque aussi étendu, à lui seul, que les deux invectives. C'est à la gloire de Stilicon que sont consacrés aussi les deux poëmes de la Guerre de Gildon et de la Guerre gétique. Et il ne s'en tint pas à ces panégyriques directs. «Toutes les fois, dit M. V. Le Clerc, qu'il fait l'éloge d'Honorius, et il y revient très-souvent, il n'oublie jamais d'y joindre celui de Stilicon, qu'il ose préférer même à Théodose. » Il n'y a pas beaucoup à admirer dans toutes les épopées de Claudien en l'honneur du fameux Vandale: quant aux autres panégyriques du poëte, quels qu'en soient les sujets, ils sont parfaitement insipides.

Le chef-d'œuvre de Claudien est l'Enlèvement de Proserpine, épopée mythologique dont il nous reste trois livres,. le dernier incomplet, mais qui a dû en avoir un plus grand nombre. C'est son chef-d'œuvre, parce que là il ne s'agissait que de versification. Une foule de poëtes, depuis l'auteur de l'Hymne à Cérès, avaient chanté les amours de Pluton et les courses errantes de la mère de Proserpine. Clau- dien n'avait qu'à choisir parmi les inventions du génie grec il faut dire à sa louange qu'il dispose avec un art ingénieux ces richesses empruntées au trésor poétique des anciens âges.

La Gigantomachie, dont nous n'avons qu'un fragment, devait être aussi une brillante amplification sur les thèmes mythologiques fournis par la Grèce. Je dois dire pourtant que je préfère à toutes ces fleurs poétiques, empruntées ici ou là, quelques-unes des petites pièces, épîtres, idylles ou épigrammes, qui sont à la suite des grands poëmes. Il y en a qui mériteraient d'être citées ici, et notamment les distiques élégiaques sur le vieillard de Vérone, agréable et harmonieux écho du Virgile des Géorgiques.

Vie de Rutilius.

Claudien n'avait été, ce semble, qu'un homme de lettres: la poésie avait été toute son occupation et toute sa vie. Rutilius fut un homme d'État la littérature n'était que sa récréation, et c'est l'occasion qui le fit poëte. Il ne comptait

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