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mais on oublie de le faire insérer, de telle sorte que le plus grand nombre des exemplaires de la Biographie universelle, et notamment tous ceux que nous avons consultés, contiennent la note qui vient d'être rapportée (1).

Faut-il s'étonner, quand chacun peut lire de semblables calomnies dans un ouvrage très-répandu, que le public ait dù se représenter Bernardin de Saint-Pierre comme un homme dur, égoïste, dépourvu de tous sentiments généreux. Quand l'erreur se répète et se propage, on ne peut trop protester contre elle. Laisser échapper une occasion de la dévoiler c'est, pour ainsi dire, s'en rendre complice.

Etudions maintenant Bernardin de Saint-Pierre époux, père de famille, atteint dans sa fortune et dans ses affections les plus chères. Voyons quelle a été pendant six années la conduite de cet homme qu'on a dépeint comme un mauvais mari, un parent haineux, un homme difficile en affaires, d'autant plus avare qu'il était plus riche. Sa correspondance nous fournit encore à ce sujet de curicux détails.

Au mois de mars 1794, madame de Saint-Pierre est à Paris où elle s'occupe de quelques détails domestiques. Son mari est impatient de la revoir. « Viens, lui écrit-il,

(1) Il paraît que le carton ne fut inséré que dans quelques exemplaires du tome 40 distribués à Paris. Les exemplaires destinés aux départements ont tous conservé la note mensongère, sans que a rectification ait jamais été envoyée aux souscripteurs.

embellir notre hameau de ta présence. Gaie, tu me réjouis; mélancolique, tu m'intéresses; tu es toujours sure de me plaire. Viens mon amie, si tu souffres, je partagerai tes maux par mes consolations, comme j'ai partagé mes plaisirs par tes jouissances. Nous élèverons ensemble nos cœurs vers celui qui distribue à tous les hommes des deux tonneaux. Nous le prierons dans un temple où tout parle de lui et où il ne refuse aucun des biens né– cessaires aux cœurs pénétrés de son existence."(Essonnes, 10 ventóse an II.)

... Plus constante et plus aimée que la fille volage d'Inachus, viens joindre les accents de ta voix à celle de l'alouette. Devance l'hirondelle, toi qui, dans mon automne, m'as rappelé au printemps de la vie. Oh! quand pourrai-je te voir, assise à mes côtés, et allaitant le fruit de nos amours, m'inspirer des pensées douces comme ton lait... (14 ventôse an II.) ... Passe ces crises accablantes qui accompagnent les premiers temps de toutes les grossesses, comme les giboulées du mois de mars qui précèdent la saison des fleurs et des fruits. Tout se contraste dans la nature, la douleur et le plaisir, l'hiver et le printemps. Adieu, mon joli mois de mai, songe que tu m'es doublement chère....." (17 ventòse an II.)

Tels furent les sentiments de Bernardin de Saint-Pierre pour sa femme pendant les premiers temps de son mariage. La suite de la correspondance est du même ton. Il passa ainsi une année entière, ignoré de tous, dans son ile d'Essonnes. Il en fut arraché, trois mois après la

chute de Robespierre, par un arrêté du Directoire qui le nomma professeur de morale à l'école normale. Il n'y fit qu'un petit nombre de leçons. La première, commençant par ces mots : « Je suis père de famille et j'habite à la campagne..." fut très-applaudie. Il transmettait fidèlement à sa femme l'effet produit sur le public par ses premières leçons: L'un m'a demandé ma parole de prendre son fils pour mon secrétaire quand il serait en àge; un autre s'est déclaré mon disciple; plusieurs m'ont prié instamment de faire imprimer mes leçons à part. Un autre m'a dit Nous étions cannibalisés, vous nous avez humanisés..." (8 prairial an III.)

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Les hommes et les choses de cette époque duraient peu. L'école normale ne subsista pas longtemps telle que le Directoire l'avait organisée. « J'apprends avec un secret plaisir, dit M. de Saint-Pierre, que l'école normale finira ses séances le 24 de ce mois; ainsi ce sera elle qui me quittera." Il retourne en effet quelques jours après à la campagne où il retrouve avec bonheur sa femme, sa fille et sa chaumière. Peu de mois s'écoulent et madame de Saint-Pierre est appelée à Paris par la maladie de son père. La correspondance reprend son cours. Les lettres du mari témoignent de la plus tendre et de la plus vive sollicitude pour toute la famille Didot. Il s'inquiète de la maladie de son beau-père; il craint que le chagrin qu'en éprouvera sa femme n'augmente son indisposition. Puis il ajoute Mon amie, il n'y a qu'un être qui ne nous trompe point, qui seul mérite notre confiance, qui nous

donne le bon esprit pour diriger notre santé et nos affaires ; c'est Dieu, je le prie de venir à ton secours..." (6 vendémiaire an IV.)

Peu de jours après, M. de Saint-Pierre vient prendre auprès de son beau-père mourant la place de sa femme; il assiste à des querelles de famille dont il veut être le médiateur, il voudrait rapprocher ce qui ne devrait jamais être séparé." Quelle qu'ait été la cause inconnue de ce débat, il est certain que M. de Saint-Pierre y était étranger et que, s'il s'y est trouvé mêlé, il a toujours invité ses parents au calme, à la modération, à la concorde. Il ne parait pas qu'il y soit parvenu. Bien que ses lettres témoignent qu'il a été jusqu'à offrir sa signature et celle de sa femme pour faciliter des arrangements de famille, on ignore s'il put y parvenir. Cependant la maladie de M. Didot s'aggrave, il succombe et voici comment M. de Saint-Pierre annonce cette triste nouvelle à sa femme restée près de sa mère à Essonnes : Plus nous perdons d'amis plus nous devons resserrer les liens de l'amitié avec ceux qui nous restent. Tu n'as pas perdu ton père, mon amie, puisque mon âge, ma qualité d'époux et la tendre affection que je te porte, m'en donnent les fonctions auprès de toi. Mais nous avons tous un père commun du sein duquel nous sortons et où nous rentrons, c'est celuilà que nous devons invoquer dans nos malheurs. C'est pour obéir à ses lois que nous devons nous rapprocher non-seulement de nos amis, mais de nos ennemis même qui, après tout, sont nos frères.

» D'après ces sentiments je me suis réuni autant qu'il était en moi à tes frères, en leur recommandant une concorde mutuelle. Ils ont paru partager mes sentiments. J'espère qu'ils s'étendront à toute la famille. L'état de ta mère m'inquiète, et pour elle et pour toi. Donne-moi des nouvelles de sa santé et de la tienne. 'Calme ses regrets en l'assurant que c'est la crainte de sa sensibilité qui a empêché ton père de la voir."

La concorde recommandée par M. de Saint-Pierre ne fut pas de longue durée. Obligé de prendre parti dans cette querelle il écrit à ce sujet : « Il faut, mon amie, tirer parti de ses ennemis pour se rendre meilleur. Leur malveillance nous perfectionne, en ce qu'elle surveille nos défauts. Quand nos ennemis sont nos parents, ils nous sont encore plus utiles, car nous devons croire que nous tenons d'eux par les qualités du tempérament. Il faut donc songer en cela à se réformer soi-même, et espérer que nous pourrons les réformer par notre exemple. I y aurait de quoi faire sur ce texte un beau discours de morale dont tu n'as pas besoin... La bienveillance publique me console des peines domestiques et une de mes joies est de penser qu'elle me survivra, et que plus durable et plus douce que la fortune, elle protégera un jour ma femme et mes enfants. Tâchons donc de la mériter par notre conduite envers nos ennemis eux-mêmes." (9 nivôse an IV.) — Voilà les pensées que les discussions de famille inspirent à cet homme si difficile à vivre, si acariâtre, si apre au gain, avec lequel les transactions sont impossibles!

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