BRACONNOT SA VIE ET SES TRAVAUX DISCOURS DE RÉCEPTION PAR M. J. NICKLES. MESSIEURS, Dans le décret de fondation de votre Académie, le roi Stanislas a écrit l'article 35 ainsi conçu: « Il sera travaillé à une histoire générale de Lorraine; cet ouvrage se fera par la Société, en commun, sur les mémoires qui lui seront présentés par les Académiciens. Appelé par vos bienveillants suffrages à compter désormais parmi les coopérateurs de cette œuvre, je viens, dans la mesure de mes moyens, vous apporter le tribut de mes efforts. Bien qu'il concerne un personnage lorrain, et de grandes choses accomplies par lui en Lorraine, je n'aurai à parler ni de tournois ni de batailles; il ne s'agira ni de ducs ni de hauts barons.... Il ne sera question que d'un homme simple et modeste comme son nom, qui a vieilli loin des affaires et qui, s'il n'a pas fait beaucoup de bruit de son vivant, n'en vivra pas moins dans la mémoire de la postérité. La postérité! elle aura oublié plus d'un nom qui se croyait impérissable; elle aura fait justice de plus d'une ambition, mais tant qu'elle cultivera les arts et les sciences et que l'intelligence humaine y sera en honneur, elle se souviendra du chimiste lorrain qui, naguère encore, était associé à vos travaux et dont les conquêtes, réalisées sans effusion de sang, n'ont eu pour but que le progrès de la science et le bien de l'humanité. Voilà ce que retiendra l'histoire générale; voilà ce que retiendra l'histoire de l'esprit humain. L'histoire de la science qui résume la carrière d'un homme par un mot, rarement par une phrase, s'inquiètera moins de l'origine de notre héros; elle pourra oublier qu'il est né à Commercy et qu'il a fait ses études à Strasbourg; mais elle n'oubliera pas que les victoires qu'il a remportées sur la matière, il les a gagnées avec les moyens les plus restreints et les moins coûteux, les procédés les plus simples; qu'il est arrivé à une juste renommée sans jamais paraître sur ce grand théâtre où se forment des réputations trop souvent éphémères; que loin de briguer les honneurs, il les a forcés à venir le chercher. Elle se rappellera que jusqu'à ses derniers instants il a travaillé, n'ayant pour stimulant que le désir de contribuer au progrès de la science et la juste ambition de se survivre, réalisant ainsi la devise du vrai savant : « La science pour la science.» (Le discours prononcé à la Séance publique n'était qu'un extrait de ce qui va suivre.) Henry BRACONNOT est né à Commercy, département de la Meuse; sa famille était une des plus honorables de la contrée où plusieurs de ses membres exerçaient des charges publiques. Des biographies publiées de son vivant, le font naître en 1781; elles se sont trompécs d'une année ainsi que le prouve l'acte de naissance dont voici la copie : Henry, fils légitime de maître Gabriel Braconnot, avocat au parlement, exerçant au bailliage de Commercy, et de dame Barbe Simonet, son épouse, de cette paroisse, est né à midi le 29 mai 1780. A eu pour parrain maitre Braconnot, procureur au conseil souverain de Colmar, son grand-oncle paternel, représenté par maitre Cordier, apothicaire du roi et son pensionnaire à Com-mercy, son onçle; et pour marraine dame Marguerite Prenelle (sa grand'mère maternelle), veuve de Fr. Simonet, notaire royal au bailliage de la Marche, demeurant à Pagny-la-Blanche-Côte. " Le curé qui administrait était le grand-oncle de l'enfant, c'est dans sa maison que celui-ci est venu au monde. Mademoiselle Barbe Simonet, née à Pagny-la-Blanche de Strasbourg était fondée sur un enseignement sérieux, représenté par des hommes éminents, depuis Jean Sturm qui au xve siècle réunissait autour de sa chaire, outre les plébéiens, plus de deux cents nobles tant princes que gentilshommes (Doc. I), jusqu'à Koch l'historien des Traités de paix, qui avait pour disciples assidus Metternich, de Ségur, Cobentzel, Stachelberg, Galitzin, les deux Tolstoï, Narbonne, Benjamin Constant; mais à l'époque où nous sommes arrivés, tout était changé. La lutte héroïque que la France soutenait contre l'Europe coalisée, avait donné une autre direction aux esprits; les nobles étrangers, la jeunesse studieuse de l'Allemagne n'avaient que faire dans une ville devenue ennemie, où les hommes valides portaient les armes et où les faibles et les malades faisaient de la charpie. Le séjour de Braconnot dans ce milieu guerrier n'a pas rendu ses goûts plus belliqueux. Mais quand, au bout de quelques mois de présence à l'hôpital militaire, il fut au courant de ses nouveaux devoirs, il lui resta assez de loisirs pour pouvoir s'adonner à son éducation dont il reconnaissait les profondes lacunes. Les moyens ne lui manquèrent pas, l'antique université alsacienne n'était pas détruite au point de ne plus laisser de traces. A la place de ses professeurs qui étaient ou morts ou absents, se trouvaient de ses élèves devenus célèbres à leur tour. Tandis que les Lauth et les Flamant conservaient la tradition de l'ancienne école de médecine, que les Brunck, les Schweighæuser et les Oberlin représentaient l'érudi eut, sans doute, accordé à la persuasion et aux paroles conciliantes, il le refusa aux mauvais traitements, et dans peu, il devint un des plus mutins de la classe. Protestant à sa manière contre l'abus de la force, il jeta livres et cahiers, se mit à faire l'école buissonnière et acquit, par ses espiègleries, une réputation qui lui a survécu dans le pays. D'après toutes les informations que j'ai pu prendre à cet égard, le jeune Braconnot passait pour un écolier turbulent et paresseux dont on n'espérait rien de bon. En ceci il était l'émule d'un de ses condisciples, fils de veuve comme lui et son digne associé; tantôt ils abaissent les écluses de la Meuse et causent ainsi une inondation dont madame Braconnot payera les frais; une autre fois ils se cachent sous le lit, lorsque le digne oncle Prenelle reçoit chez lui la confession de ses administrés, et mystifient confesseur et pénitent, en rapportant ce qu'ils ont entendu. Nous retrouverons ensemble ces deux jeunes gens, et pendant que Henry Braconnot remportera à Paris des médailles au concours, nous verrons son ancien condisciple se distinguer à l'école de médecine, et préluder aux travaux qui lui ont valu une haute position dans le monde médical. Ce jeune homme fut le docteur Marjolin. On sait qu'il mourut avec la réputation d'un des plus grands médecins de l'Ecole française. Ceux qui ont connu Braconnot, si doux, si inoffensif, |