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niez touchant l'indifférence de la volonté soit de soi très-manifeste, je ne veux pas pourtant entreprendre de vous le prouver; car cela est tel que chacun le doit plutôt ressentir et expérimenter en soi-même que se le persuader par raison; et certes ce n'est pas merveille si dans le personnage que vous jouez, et vu la naturelle disproportion qui est entre la chair et l'esprit, il semble que vous ne preniez pas garde et ne remarquiez pas la manière avec laquelle l'esprit agit au dedans de soi; ne soyez donc pas libre, si bon yous semble; pour moi je jouirai de ma liberté, puisque non-seulement je la ressens en moi-même, mais que je vois aussi qu'ayant dessein de la combattre, au lieu de lui opposer de bonnes et solides raisons, vous vous contentez simplement de la nier.... » T. II, p. 316. )

Je ne m'arrêterai pas à discuter la théorie de Descartes, d'abord parce qu'en un point, celui du jugement rapporté à la volonté, elle est évidemment défectueuse; ensuite parce qu'en un autre, l'accord de la liberté avec la providence de Dieu, en retrouvant la même doctrine, mais beaucoup plus développée et approfondie dans plusieurs autres auteurs, nous aurons par là même une meilleure occasion de l'examiner et de la juger. Laissons-la donc pour le moment et passons à un autre ordre d'idées.

CHAPITRE VII,

PREUVES DE L'EXISTENCE DE DIEU.

Ce nouvel ordre d'idées est relatif à Dieu.

La doctrine de Descartes sur Dieu, tel est donc le sujet qui va maintenant nous occuper.

Cependant avant de l'aborder, je demande à dire quelques mots sur deux points touchant l'âme, que Descartes a négligés, dont il a à peine touché l'un, dont il a tout à fait écarté l'autre; je veux parler de la question de l'immortalité de l'âme et de celle de la morale. De la première il ne donne, d'après les instances d'Arnauld, et seulement dans son Abrégé des méditations, qu'une solution à peine ébauchée; quand on désire avoir de lui de plus amples développements, il renvoie au chevalier d'Igby qui, en effet, traite d'une manière spéciale de la vie future, sans cependant être encore fort satisfaisant à cet égard. C'est ce qui m'a déterminé, en prenant la discussion où l'a laissée Descartes, à la poursuivre avec quelque étendue dans deux Discours d'ouverture, auxquels je renvoie le lecteur1. Sur la seconde question, voici comment lui-même il s'exprime : « C'est de quoi je ne dois pas me mêler d'écrire. Messieurs les régents sont si animés contre moi, à cause des innocents principes de physique qu'ils ont vus, et si en colère de ce qu'ils n'y trouvent aucun prétexte de me calomnier, que si je traitois après cela de la morale, ils ne me laisseroient aucun repos. Car, puis

Chez Hachette, rue Pierre-Sarrarin, 12.

qu'un père (le père Bourdin) a cru avoir assez de sujet pour m'accuser d'être sceptique, de ce que j'ai réfuté les sceptiques, et qu'un ministre a entrepris de persuader que j'étais athée, sans alléguer d'autre raison sinon que j'ai tâché de prouver l'existence de Dieu, que ne diroient-ils point si j'entreprenois d'examiner quelle est la juste valeur de toutes les choses qu'on peut désirer ou craindre, quel sera l'état de l'âme après la mort, jusques où nous devons aimer la vie, et quels nous devons être pour n'avoir aucun motif d'en craindre la perte ? J'aurois beau n'avoir que les opinions les plus conformes à la religion et les plus utiles au bien de l'État qui puissent être, ils ne laisseroient pas de me vouloir faire accroire que j'en aurois de contraires à l'une et à l'autre. Et ainsi, je crois que le mieux que je puisse faire dorénavant est de m'abstenir de faire des livres, et ayant pris pour devise: Illi mors gravis incubat, qui notus nimis omnibus, ignotus moritur sibi, de n'étudier plus que pour m'instruire, et ne communiquer mes pensées qu'à ceux avec qui je pourrois converser privément. » (Lettre à Chanut, t. III, p. 258. )

Ainsi Descartes n'a voulu proposer ou développer de doctrine philosophique ni sur les règles de vie de l'âme en ce monde, ni sur sa destinée dans l'autre. Nous n'avons donc qu'à le suivre dans sa doctrine sur Dieu.

Ici, non-seulement Descartes insiste, mais il approfondit, on peut même dire qu'il invente, et quand il n'invente pas il renouvelle avec originalité ses preuves de l'existence de Dieu; elles sont donc une des parties les plus considérables de sa philoso

phie, et nous devons les examiner avec le plus grand

soin.

On sait comment en principe Descartes procède dans son système. Il prend le cogito, il l'analyse et y trouve d'abord et directement l'âme et ses facultés. Il n'y trouve pas Dieu précisément de la même manière, puisque Dieu n'est pas pour nous ce que nous sommes nous-mêmes. Mais ce n'est pas moins dans le cogito qu'est aux yeux de Descartes le point de départ des raisons que nous avons d'y croire.

Il y a deux principaux arguments de l'existence de Dieu dans Descartes; l'un tiré de l'essence, l'autre de l'idée de cet être; ainsi du moins les distinguent et le maître lui-même, et la plupart de ses interprètes, Spinoza et Clauberg, par exemple'.

C'est du premier que nous allons d'abord nous occuper.

Il a bien avec le second quelque chose au fond de commun, c'est l'idée même de Dieu dont ils procèdent l'un et l'autre ; mais il y a en même temps cette différence entre eux, que, dans l'un, cette idée n'est que l'occasion du raisonnement, tandis qu'elle en est, dans l'autre, la matière et la base. En effet, comme on le verra très-explicitement par les textes; mais, comme déjà on en peut juger par une sommaire appréciation, quand Descartes prouve Dieu de la première manière il s'attache bien moins à l'idée même de Dieu qu'à l'objet de cette idée, qu'à l'infini et au parfait, dont il s'efforce de montrer que

1 Celle distinction est plus d'une fois marquée par Descartes, dans cette réponse aux premières objections, par exemple : « qu'il n'y a que deux voies, par lesquelles on puisse prouver qu'il y a un Dieu, savoir : l'une par ses effets et l'autre par son essence et sa nature même. » (T.II, p. 33.)

l'essence enveloppe l'existence, et quand il recourt à la seconde, il est, au contraire, avant tout occupé de l'idée, dont il s'applique à reconnaître les caractères et la valeur afin de pouvoir, en conséquence, en affirmer l'objet. En deux mots, l'une de ces preuves est plus ontologique, et l'autre plus psychologique. On pourra en juger par l'exposition qui va suivre.

Dans la Méthode, Descartes s'exprime en ces termes : « Revenant à examiner l'idée que j'avois d'un être parfait, je trouvois que l'existence y étoit comprise en même façon qu'il est compris en celle d'un triangle que ses trois angles sont égaux à deux droits, ou celle d'une sphère que toutes ses parties sont également distantes de son centre...» (P. 34.)

Dans la cinquième Méditation il tient à peu près le même langage : « Si tout ce que je reconnois, dit-il, clairement et distinctement appartenir à une chose, lui appartient en effet, ne puis-je pas tirer de ceci un argument et une preuve démonstrative de l'existence de Dieu? Il est certain que je ne trouve pas moins en moi son idée, c'est-à-dire l'idée d'un être souverainement parfait, que celle de quelque figure ou de quelque nombre que ce soit et je ne connois pas moins clairement et distinctement qu'une actuelle et étérnelle existence appartient à sa nature, que je connois que tout ce que je puis démontrer de quelque figure ou de quelque nombre, appartient véritablement à la fiature de cette figure ou de ce nombre. . . . . » Et après diverses explications, il conclut par ces mots : « Il n'est pas dans ma liberté de concevoir un Dieu sans existence, c'est-à-dire un être souverainement parfait sans une souveraine perfection. >> (P. 150.)

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