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tendu l'histoire de la philosophie ne sont pas précisément les purs historiens, mais bien les philosophes. Comparez sous ce rapport Platon et Aristote dans l'antiquité à tels ou tels de ces auteurs, quelque estimables qu'ils soient d'ailleurs, qui ne se sont guère occupés que de simple érudition. Est-ce Diogène de Laërte, Plutarque ou Stobée, chez lesquels vous reconnaîtrez cette intelligence, cette critique, cette haute appréciation des doctrines antérieures, par lesquelles se distinguent ces maîtres de la pensée? Et parmi les modernes, quels que soient les mérites de Brucker, par exemple, le rapprocherez-vous de Leibnitz, sous le même rapport, et lui prêterez-vous cet éclectisme supérieur et original qu'on pourrait appeler le génie dans l'histoire, et que l'auteur des Essais de Théodicée a mêlé à toutes ses théories pour les éclairer et les étendre?

Descartes, je l'ai déjà dit, n'est rien moins qu'historien; Kant ne l'est pas davantage, et cependant il y a de l'un et de l'autre tel passage rare et remarquable où se trahit en quelques traits cette vive et profonde intelligence des opinions d'autrui, au profit des siennes propres, qui est l'âme de l'histoire. Or, d'où vient cette différence des philosophes et des historiens? De ce qu'ils s'attachent plus les uns à l'esprit, et les autres à la lettre de l'histoire; de ce que les uns ont et de ce que les autres n'ont pas de dessein philosophique dans leurs études histori

ques.

Aussi j'en reviens avec plus de confiance à ma sage maxime, que ces remarques achèvent d'expliquer et de confirmer, et je dis de nouveau qu'il ne faut pas traiter l'histoire pour l'histoire elle-même, mais

bien pour la philosophie, qui en est la fin naturelle. Tel est l'esprit de l'histoire; voyons maintenant quel est celui de la philosophie? On ne s'étonnera pas, si pour répondre à cette seconde question, je m'étends plus encore qu'au sujet de la première. L'importance de la discussion m'en fait évidemment une loi.

L'esprit de la philosophie, qui est l'esprit même de la raison, ne se comprend bien que relativement à celui de la foi. On ne peut donc bien savoir quel est le caractère du premier qu'en le comparant avec soin à celui du second, qu'en comparant par conséquent entre elles la raison et la foi.

Je vais donc rechercher ce que sont l'une à l'autre la foi et la raison, et, afin d'indiquer d'avance tout l'ordre de cette discussion, après les avoir rapprochées sous leurs points de vue principaux, je tâcherai de montrer qu'il n'y a entre elles ni opposition, ni réduction de l'une à l'autre, ni absolue séparation, mais distinction et union, et, si le droit est observé, indépendance et alliance sous le régime de l'État. J'aurai, je le sais, pour l'établir, plus d'un débat à soutenir, et contre plus d'un adversaire; mais j'espère qu'en prenant prudemment mes mesures, je pourrai, sinon éviter, du moins plus sûrement aborder les divers écueils d'un tel sujet.

Je ne suppose pas que de ma part, pour peu du moins qu'on ne m'estime pas mal, on craigne rien d'hostile et d'agressif contre la foi. J'ai été modéré dans des positions plus difficiles; ce n'est pas pour cesser de l'être quand il y a moins lieu d'excéder. Je ne serai donc pas offensif, je serai même plutôt favorable, ou, si l'on aime mieux, je serai juste,

mais je le serai également et avec le même respect à l'égard de la raison; et, parce qu'elle est aujourd'hui la plus maltraitée des deux, il ne faudra pas s'étonner si je la fais particulièrement valoir : agir autrement serait de l'indifférence, et non de l'équité. Leibnitz, que l'on s'attend bien à m'entendre citer plus d'une fois en cette matière, dit quelque part : « Il y a des gens aujourd'hui qui croient qu'il est du bel esprit de parler contre la raison et de la traiter de pédante incommode. Je vois de petits livrets, des discours de rien, qui s'en font fête, et même je vois quelquefois des vers trop beaux pour être employés à de si fausses pensées. En effet, si ceux qui se moquent de la raison parlaient tout de bon, ce serait une extravagance d'une nouvelle espèce, inconnue aux siècles passés. Parler contre la raison, c'est parler contre la vérité. » (Nouveaux Essais.) Tel sera le sentiment, plein de mesure et de fermeté, auquel je tâcherai de me conformer dans ce que j'aurai à dire au sujet de la raison. J'espère qu'il ne m'égarera pas, et ne m'ôtera rien de mon impartialité.

De la foi à la raison, ce qui frappe d'abord, ce sont les différences. Mais cependant ces différences sont moins au fond qu'à la surface, et dans la nature même que dans le développement de ces deux facultés. Les ressemblances au contraire sont intimes et profondes, et telles, qu'on ne saurait sans mécompte les négliger; je commence par les marquer. Un mot les résume toutes : la foi est, on peut le dire, la première raison de l'homme, comme la raison, par analogie, en est la seconde foi. En effet, qu'estce que la raison? un pouvoir de l'âme qui a le vrai

b

pour objet, la curiosité pour mobile, pour fonctions principales l'induction et la déduction, pour auxiliaires la conscience, les sens et la mémoire. Eh bien! que manque-t-il de toutes ces choses à la foi? Qu'elle soit un pouvoir de l'âme, on ne songe pas à le nier; qu'elle ait le vrai pour objet, on ne le nierait pas davantage; on ne le contesterait en tout cas qu'en disant que c'est moins la vérité que la piété qu'elle a en vue dans ses dogmes, non tam vera quam pia dogmata', selon les paroles d'un auteur. Mais d'abord, dans ces termes mêmes, ne ferait-on pas encore, quoique avec peu d'équité, sa part à la vérité; et ensuite, si on entendait ne lui réellement. rien accorder, et que, pour plus de rigueur, on prétendît la sacrifier sans réserve à la piété, ne seraiton pas entraîné à les sacrifier toutes deux, puisque évidemment celle-ci n'est plus rien sans celle-là, et que hors du vrai assurément il ne saurait y avoir rien de saint? Je ne suis donc pas arrêté par l'opinion inexacte à laquelle je viens de faire allusion, et que j'ai d'ailleurs eu en un autre endroit l'occasion de combattre, et j'affirme de nouveau que c'est au vrai que la foi tend comme à son but légitime.

Mais d'où lui vient cette tendance, et quel en est le principe? N'est-ce pas l'amour, le même amour qui anime aussi la raison, et qui, sous la forme de la curiosité, besoin de croire ou de savoir, aspire à Dieu par la religion tout aussi bien que par la science? la foi naît en effet et vit de ce sentiment. On lui en a supposé un autre, la crainte; mais la crainte né

'Spinoza, Theolog. politic.

2 Voir dans cet Essai Spinoza.

l'inspire pas, elle la trouble plutôt ; elle ne l'excite pas, elle l'agite et la corrompt en l'inquiétant. La crainte ne fait pas les dieux, elle ne fait que les idoles, et on n'est bien porté au vrai que par un pur et pieux amour.

Mais le vrai, comment l'atteint et s'en saisit la foi? Est-ce aussi, comme la raison, par l'induction et la déduction, préparées et secondées par le concours de la conscience, des sens, de la mémoire? je le pense, et j'en donne pour première démonstration la nature même de la raison, qui n'est en effet que la réflexion appliquée, pour les répéter, aux actes `primitifs de l'intelligence. Or, si telle est la raison, il est clair que tout ce qu'elle est, moins le travail et la liberté, la faculté originale dont elle est la copie doit également l'être, et par conséquent être pourvue des mêmes moyens essentiels de percevoir le vrai. Que ce soit de cette manière que les choses se passent, que de l'état de spontanéité à celui de réflexion l'entendement ne fasse que revenir sur ses opérations premières, pour les reprendre et les conduire avec conseil et méthode au lieu de les laisser aller au gré des impressions, c'est ce qui paraît évident, si l'on remarque bien que, pour vouloir un acte, il faut d'abord le connaître, et qu'on ne peut le connaître sans l'avoir au préalable accompli; en sorte qu'à proprement parler, tout ce que nous faisons volontairement n'a pas été voulu en principe, et que le vouloir de notre part n'est pas la création, mais seulement la prise de possession et la libre direction de nos actions naturelles.

La foi, d'après cette explication, n'a donc pas au fond d'autres fonctions essentielies que celles de la

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