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97603

JUN

BD
18

PRÉFACE.

Au moment de rentrer, par un livre de quelque étendue, en communication avec le public, dont après plusieurs années, sinon précisément de silence, au moins de rares écrits, je dois craindre d'être aujourd'hui à peu près oublié, je sens avant tout le besoin de lui bien faire connaître l'esprit qui a présidé à la composition de cet ouvrage, consacré en même temps à l'histoire et à la philosophie, ou, pour mieux dire ma pensée, à la philosophie par l'histoire: l'esprit qui y règne est double; c'est d'une part celui que je crois convenable à l'histoire; c'est de l'autre celui qui me paraît propre à la philosophie. Je voudrais essayer de les déterminer l'un et l'autre et d'en donner une explication que, afin de la rendre plus satisfaisante, je demande même la permission de ne pas renfermer dans des limites. trop étroites.

ici

Quel est donc en premier lieu l'esprit de l'histoire? (de l'histoire de la philosophie, s'entend : je ne parle que de celle-là;) et, pour poser de suite la question dans ses termes les plus simples, quelle est la vraie maxime qui le contient et l'exprime? est-ce celle qui dit l'histoire pour l'histoire, sans autre qu'elle-même? ou celle qui la rapporte à un

fin

a

but ultérieur et plus haut, c'est-à-dire à la philosophie?

On ne peut bien répondre à cette question, sans d'abord savoir avec quelque précision en quoi consiste l'histoire.

Or, il me semble qu'on s'en forme une idée assez exacte, si on la conçoit comme la revue, l'analyse et l'appréciation, par ordre de temps et de lieux, d'individus et d'écoles, des systèmes divers qu'a produits le passé; comme la connaissance de ces système sous le rapport de leur origine, de leur développement, de leur destinée et de leur valeur relative; comme la science des grandes idées qui ont successivement paru au sein de l'humanité avec le caractère de la réflexion : science d'une autre science, si l'on peut ainsi parler, qu'elle suit pas à pas, de contrées en contrées et de siècles en siècles, parmi toute la diversité de ses personnages et de ses directions, pour en reconnaître, en expliquer et en juger les travaux; en sorte que son objet n'est pas proprement la vérité, mais ce qu'on a pensé de la vérité; que sa grande affaire est la critique plutôt que la doctrine, et que d'elle-même, qu'on me passe le mot, elle inventorie plutôt qu'elle n'in

vente.

S'il en est ainsi, elle est nécessaire sans doute, mais cependant elle n'est pas suffisante au plein exercice de la pensée, et il lui faut un complément, qui n'est autre que la philosophie; c'est là ce que je voudrais démontrer.

Qu'elle soit nécessaire, excellente, pleine de précieux avantages pour l'étude de la philosophie, je n'ai, on le suppose bien, nulle intention de le con

tester, et je n'ai pas attendu ce moment pour le déclarer; car, en plus d'une occasion dans mes leçons, voici en substance comment je me suis exprimé à cet égard:

C'est d'abord un fait constant et qui n'a besoin que d'être énoncé, qu'à l'exception des systèmes véritablement primitifs, il n'y a pas une des créations de l'esprit philosophique qui ne se rattache au passé et ne tienne de quelque façon aux créations du même genre dont elle a été précédée; par ce qu'elle en rejette comme par ce qu'elle en admet, par ce qu'elle en retranche comme par ce qu'elle y ajoute, par ses différences comme par ses ressemblances, elle témoigne de ses relations avec ce qui fut avant elle; et même pour les systèmes qu'on peut regarder comme primitifs, s'il n'y a pas antérieurement une philosophie dont ils dérivent, il y a une demi-philosophie, une sorte de religion philosophique, qui est comme la transition de la foi à la science, qui est ce que furent en Grèce les mystères et les poëmes mythiques, et pour les commencements de la scolastique les dogmes du christianisme. Mais c'est surtout pour les philosophies qui succèdent à d'autres philosophies, qu'il n'y a jamais réellement complète innovation, mais seulement rénovation, transformation, évolution, avec une part plus ou moins grande et une force plus ou moins vive d'originalité et d'indépendance dans les individus qui en sont les auteurs; en sorte qu'alors, à vrai dire, le génie n'est lui-même que la haute faculté de s'appliquer avec puissance à des vues déjà émises, mais sans assez de portée, et de les convertir avec grandeur en larges et fécondes théories.

Ce n'est, au reste, ici qu'un cas de cette loi générale qui veut que dans tout ordre, dans celui des idées comme dans celui de la nature, il n'y ait pas de productions sans germes, de développements sans principes, et qui a fait dire à Leibnitz, dans le sentiment profond qu'il avait de cette vérité : « Le présent est gros de l'avenir; le futur pourrait se lire dans le passé; l'éloigné est exprimé dans le prochain; on pourrait connaître la beauté de l'univers dans chaque âme, si l'on pouvait déplier tous ses plis, qui ne se développent sensiblement qu'avec le temps.» (T. II, p. 37.)

Or, pourquoi ce fait constant, cette constance de rapport entre l'histoire et la philosophie, si ce n'est parce que l'une est à l'autre d'une indispensable utilité?

En effet, on n'étudie pas toute cette suite de grands systèmes dont s'est successivement enrichi le domaine de l'esprit humain, sans être amené à les comparer avec ce qu'on pense soi-même et sans tirer de cette comparaison plus d'un genre d'in

struction.

Ainsi, est-on tombé dans quelques graves erreurs? quoiqu'il soit possible de les discerner et de s'en délivrer par soi-même et à l'aide de ses seules réflexions, quelle autre facilité n'y trouve-t-on pas quand on les traite par l'histoire, c'est-à-dire quand on les voit, soit de siècles en siècles, soit de pays en pays, reproduites et variées sous une foule de formes, et, sous toutes ces formes, accompagnées et suivies de doctrines contraires, qui en marquent de toute manière le vice et le danger? Au spectacle si manifeste et si souvent renouvelé du continuel

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