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taire, et porte même la peine d'un péché qui est bien moins le sien que celui d'autrui. C'est une justice étrange, ardente et passionnée, qui ressemble à de la colère, et qui en a les excès. Ce qu'il y a de certain, c'est que ce n'est pas de l'équité; non pas sans doute que Bacon soit exempt de fautes, et n'ait pas comme un autre ses ignorances et ses erreurs, qui, au reste, à le bien prendre, sont en général celles de son temps plus que les siennes propres; mais à côté de ses défauts il a des mérites qui les balancent; il convenait de tenir compte de ceux-ci comme de ceux-là; et si on voulait tout peser sévèrement, il fallait tout estimer impartialement. Cette impartialité rigoureuse, M. de Maistre, selon les habitudes et l'humeur de son génie mal modéré, ne l'a presque jamais; et il a bien moins encore cette charité supérieure et sereine qui recherche le bien plus que le mal, et le bien pour effacer le mal. Il n'est pas capable de cette modération bienveillante et élevée.

C'est un ennemi dans toute l'ardeur et tout l'emportement de la lutte; dans tout l'orgueil, et, on peut même dire, dans toute l'insolence de la victoire. Il triomphe à l'excès, il se moque, il s'irrite, il persifle, il s'indigne, il ne garde aucun des ménagements que devrait cependant lui commander le nom de son adversaire. Il oublie les temps, les circonstances, les intentions, les motifs; il traite Bacon comme un contemporain, comme un homme de nos jours dont il aurait personnellement à tirer satisfaction et vengeance, fort et confiant en sa force jusqu'au dédain, jusqu'à l'outrage; et cependant c'est Bacon, c'est un nom qui a sa place et son rang dans l'histoire; c'est un génie honoré par d'autres génies du premier ordre; c'est un des glorieux promoteurs de la philosophie moderne; c'est à tous ces titres un personnage, non pas sans doute irréprochable, mais du moins fort considérable, dont les grandes parties compensent et au delà les petites, qu'il méconnaît et poursuit de ses sarcasmes encore plus que de ses raisons. Aussi sa Philosophie de Bacon, au lieu d'être comme il aurait pu la faire, un grand livre de critique, n'est qu'un pamphlet plein de verve et d'un esprit peu commun sans doute, mais où se mêle très-souvent à des traits qui touchent au génie, des emportements et des boutades, un

ton et une façon de discuter qui ne sont pas toujours du meilleur sens ni du meilleur goût. Bacon méritait une autre justice; j'ai essayé de montrer comment on pourrait la lui rendre, j'ai du moins protesté contre ce qu'il y a d'immodéré dans les trop vives attaques de M. de Maistre.

FIN DU PREMIER VOLUME.

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