Immagini della pagina
PDF
ePub

était le bien de son corps, et la paix celui de son âme, et comme il n'éprouvait dans ce lieu de son séjour l'excès, ni de la chaleur ni du froid, aussi aucune passion de désir ou de crainte ne troublait son amour tranquille pour la vertu. Rien ne l'affligeait et ne lui causait une joie indiscrète. C'était Dieu qui faisait le fond de sa joie et de son bonheur, et c'était lui qui entretenait ce sentiment par un ardent amour qui naissait d'un cœur pur et d'une bonne conscience. Le corps, au lieu d'appesantir l'esprit, le rendait attentif et vigilant; l'obéissance à la loi était aisée et sans effort; le sommeil était libre et volontaire; le travail était sans lassitude, et le repos sans dégoût: Non lassitudo fatigabat oliosum, non somnus premebat invitum. »

Ce sont jusqu'ici les paroles de saint Augustin que j'ai cru devoir vous rapporter au long, pour vous instruire des priviléges d'Adam innocent. Voici maintenant les conséquences morales, ou plutôt les sentiments pieux dont je voudrais vous pénétrer à la suite de cet entretien ; ce sont ceux-là même dont Adam fut touché au moment de l'union de son âme avec son corps.

Vous m'avez donné un corps, mon Dieu! s'écria-t-il en entrant dans ce monde, et, en me le donnant, vous avez voulu qu'il fût consacré à votre gloire; ma volonté est la vôtre, et votre loi est gravée au milieu de mon cœur Deus meus, volui, et legem tuam in medio cordis mei. (Psal. XXXIX, 9.) Adoptant ces sentiments de votre premier père, voici donc ce que je voudrais que vous dissiez maintenant, comme si vous veniez à l'instant de recevoir votre corps. C'est de vous, Seigneur, que je tiens ces membres, et c'est à vous que je veux en rapporter l'usage. Je me servirai de ces yeux, non pour jeter des regards pleins d'adultère ou de convoitise, mais pour considérer vos grandeurs dans les cieux, et les êtres où elles sont prédites: Videbo calos, opera digitorum tuorum. (Psal. v11, 4.) Je me servirai de mon ouïe, non pour entendre la voix mortelle du serpent, celle d'un jeune impudique ou d'un impie vomissant des blasphèmes, mais pour m'instruire de la foi que je professe, et de ses objets : Fides ex auditu. (Rom. x, 17.) Je me servirai de ma langue, non pour déchirer la réputation de ion prochain, mais pour chanter vos louanges, mon Dieu! et bénir votre saint nom en tout temps: Benedicam Dominum in omni tempore. (Psal. xxx, 2.) Je me servirai de mes mains, non pour prendre le bien d'autrui, mais pour répandre le mien dans le sein des pauvres; de mes pieds, non pour courir répandre le sang innocent, mais pour soulager les malheureux et leur annoncer la paix : Quam speciosi pedes rangelizantium pacem. (Rom. x, 15.) Première résolution dont le père donne l'exemple à ses enfants.

O âme ! dit-il encore, & âme! devez-vous

(46) De civ. Dei, lib. xx11, cap. 24.

dire aussi, ô la plus noble portion de moimême! que vous êtes belle, aimable, excellente! que je vous aime, que je vous estime! que vous méritez de soin de ma part! Aussi je veillerai à votre conservation, je vous porterai entre mes, mains comme une chose fragile du plus grand prix: Anima mea in manibus meis semper. (Psal. CXVIH, 109.) Je n'oublierai jamais que vous êtes l'image de mon Dieu; j'éloignerai cette image de tout ce qui pourrait en ternir la beauté; je l'ornerai de vertus, l'unique ornement dont elle soit susceptible. Seconde résolution que vous devez former sur le même modèle.

O homme! ajouta Adam, qu'es-tu done, pour que Dieu te couronne ainsi d'honneur et de gloire? et moi, devez-vous ajouter en considérant les miracles de providence et de bonté que Dieu opère sans cesse en votre faveur, et moi, qui suis-je pour que toutes les créatures, par l'ordre du Tout-Puissant, contribuent ainsi à ma nourriture, à mon vêtement, et même à mes plaisirs innocents? c'est pour moi, il ne m'est pas permis d'en douter, c'est pour moi que l'hiver engraisse la terre, que le printemps renouvelle la face des campagnes, que l'été jaunit leurs moissons, que l'automne mûrit leurs fruits. C'est pour moi que le ver file sa soie, que la brebis porte sa toison, que la rosée et les rayons du soleil font croître la pourpre et le lin. C'est pour moi que les astres brillent dans le ciel, que le soleil se couche et se lève, qu'en certaines saisons les doux zéphirs soufflent,. qu'il y a tant d'espèces différentes de viandes, de légumes et de fruits, que ces divers aliments ont chacun leur goût, Omnia commemorare quis possit? Qui pourrait faire l'énumération de tous les biens, soit corporels, soit spirituels, qui restent même à l'homme pécheur? C'est ce que vous devez dire avec saint Augustin (46); et cependant, devezvous continuer avec lui, ce sont-là les consolations des voyageurs misérables, et non pas les récompenses des bienheureux ? Eh ! quelles sont-elles donc ces récompenses, si ces consolations sont si douces et si multipliées? quæ igitur illa sunt, si tot, ac talia, et tanta sunt ista? Que donnerez-vous, ô mon Dieu! à ceux que vous avez prédestinés à la vie éternelle, vous qui donnez tant à ceux qui seront condamnés à une mort éternelle? Quelles délices goûteront dans cette vie ceux pour qui votre Fils unique est mort, et qui mourront dans la grâce de votre Fils! C'est, mes frères ! le bonheur que je Vous souhaite. Au nom du Père, etc. INSTRUCTION VII.

SUR LA FOI.*. Chute de l'homme.

De ligno scientiæ boni et mali ne comedas. (Gen. 11, 17.) Ne mangez point du fruit de l'arbe de la science du bien el du mal.

Il suffit, mes frères, de vous citer ces paroles du Seigneur à notre premier père,

pour vous rappeler l'origine de vos malheurs, et porter les regrets cuisants dans le fond de vos âmes. Adam fut mis dans le jardin de délices afin qu'il le cultivât, qu'il le gardât, qu'il en tirât des sujets de cette contemplation sublime qui était proportionnée à son état; rien, dit saint Augustin, n'étant ni plus innocent que l'agriculture, ni plus propre à élever l'espri' vers Dieu, que cette foule de merveilles qui sont voilées sous le cours ordinaire de la nature: Quid hoc opere innocentius vacantibus, quid plenius magna consideratione prudentibus? Après avoir, pendant un certain temps, béni le créateur dans la considération et l'usage de ses créatures, il devait, et sa postérité, ainsi que lui, sans mourir passer de ce paradis terrestre à un autre paradis dont co premier n'était que la figure. O l'état heureux de l'homuie innocent et sortant des mains de son Créateur !

Ce bonheur, mes frères, était attaché à une condition: je suis votre Créateur et votre maître, avait dit le Seigneur à Adam, lorsqu'il l'introduisit dans ce jardin son palais; je vous établis sur la terre comme son roi; je vous rends le maître de tous les arbres de ce jardin délicieux; je n'en excepte qu'un seul, celui de la science du bien et du mal; j'exige, comme une marque de l'hominage dont vons m'êtes redevable, que vous vous en absteniez. Cet arbre est bon, il est vrai; mais pensez que l'obéissance est infiniment meilleure; considérez que, quelque excellent que soit son fruit, il deviendra un poison mortel si vous en mangez contre mon ordre: De ligno scientiæ boni et mali ne comedas; in quocunque enim die comederis ex eo, morte morieris.

Ces paroles du Seigneur avec le commentaire de saint Augustin (47), que j'y ai joint, nous montrent que rien n'était ni plus juste ni plus facile, ni plus important que la fidélité à ce commandement. Le Créateur demande à sa créature une marque de sa dépendance; quoi de plus juste que de la lui accorder? Cette marque de dépendance se réduit à l'abstinence d'un seul fruit dans un jardin où se trouvent les fruits les plus excellents de toute espèce; quoi de plus facile qu'une telle abstinence? de là dépend la vie d'Adam et de toute sa postérité; quoi de plus intéressant? qu'il sera inexcusable, s'il désobéit en ce point! une telle désobéissance n'est pas vraisemblable, je l'avoue, mais du moins elle est possible; et dès là même qu'elle est possible, pouvons-nous être dans une sécurité parfaite, nous, dont les destinées dépendent du bon ou du mauvais usage que ce chef commun fera de sa liberté? dans le doute d'un événement prochain, généralement intéressant, chacun est attentif, inquiet, battu de crainte et d'espérance. Ah! il me semble donc l'apercevoir ici; comme ces vagues qui dans un moment élèvent le pilote jusqu'au ciel, et le moment suivant le précipiten: jusque dans l'abime, tour à

(47) in psal. LXX.

tour, c'est l'espoir qui vous élève et vous rassure, c'est la crainte qui vous précipite et vous abat. A la nouvelle d'un événement généralement funeste, on déchire ses vêtements, on se frappe la poitrine:... ah! quels seront donc vos cris quand on vous annoncera;... mais dissimulons le plus longtemps qu'il nous sera possible, contentons-nous de dire actuellement que, du comble de l'élévation où vous avez vu l'homme dans la première partie de ce discours, il est tombé dans la profondeur des humiliations. C'est le sujet de cette seconde partie du discours précédent.

POINT UNIQUE.

Orgueil de l'homme toujours élevé contre Dieu! Tu l'exiges donc de moi, et il faut pour t'abaisser que je renouvelle ici des douleurs ineffables, que j'y fasse l'histoire des malheurs du genre humain, que je remonte à la source de ces larmes qui coulent dans tous les lieux habités de la terre. Ah! s'il ne fallait que ce travail pour arracher la dernière de les racines, que je l'entreprendrais volontiers ! quoi qu'il en soit du succès dont je me repose sur vous seul, ô mon Dieulje vais, mes frères, beaucoup plus pour vous rendre humbles tous, que pour vous faire connaître vos humiliations, considérer le péché de notre premier père qui est aussi le nôtre, 1° dans la tentation qui l'a précédé ; 2° dans les circonstances qui l'ont accompagné ; 3° dans les châtiments qui l'ont suivi.

Jusque dans le paradis terrestre notre premier père sans ignorance, sans concupiscence, sans péché précédent, a été tenté. Eh! quel est donc le lieu si saint où la tentation ne sera pas à craindre? quelle est la vertu si parfaite qui soit inaccessible à ses traits? non, il n'est ni lien ni vertu que le tentateur respecte sur la terre. Hardi jusqu'à l'impudence, il a osé pénétrer jusque dans le séjour même de l'innocence, ébranler son trone, détruire son empire, empoisonner ses sujets innocents; quelle audace de ce tentateur! mais il faut voir comme elle lui a réussi, pour empêcher qu'elle ne continue à lui réussir de même.

Dans le dessein de vous le montrer, jo porte mes regards vers le paradis terrestre, comme je le faisais les jours précédents; et tout à coup, quels sentiments succèdent à ceux que j'avais jusque-là éprouvés dans le fond de non âme! adoration, louanges, reconnaissance, admiration, ce sont ceux dont la vue de ce paradis m'avait pénétré jusqu'à ce moment; et maintenant le trouble, la crainte, l'horreur me saisissant, je me sens forcé de m'écrier: quel lieu qui devient le théâtre de la guerre la plus opiniâtre, la plus dangereuse, la plus funeste de toutes les guerres qui seront jamais ! Enfants! c'est à votre père même qu'elle est déclarée, il s'y agit d'une couronne qu'il est chargé de vous transmettre, et qu'on veut lui enlever: O que ce combat est donc intéressant pour vous! quelle attention de vo

tre part à tous les mouvements des combattants!

D'abord voici la ruse qu'emploie Lucifer (c'est le nom du prince de ces anges rebelles dont je vous parlerai dans ce cours d'ins. tructions, en vous parlant des anges en général, de la distinction qui est entre les bons et les mauvais anges, de la confiance que nous pouvons donner à ceux-là, et de la crainte que nous devons avoir de ceux-ci), voici, dis-je, la ruse qu'emploie Lucifer pour réussir dans son dessein exécrable de perdre le premier homme et avec lui toute sa posté rité. Ne pouvant ni émouvoir ses sens, ni troubler son imagination, ni agir sur les facultés de son âme, ni lui parler par lui-même, il entre dans le corps d'un serpent, animal, dit l'Ecriture, le plus rusé de tous les animaux, et par ses ruses, son agilité, sa facilité à se glisser, le plus propre à le représenter dans ses replis tortueux, dans ses insinuations dangereuses. Du corps de ce serpent, il adresse la parole à la femme d'abord, comme au sexe le plus faible; et de ce ton de compassion, dont ses suppôts usent envers vous, lors, par exemple, qu'ils veulent vous porter à violer la loi du jeûne ou de l'abstinence... pourquoi, dit-il à Eve, Dieu vous a-t-il ordonné de ne point manger du fruit de tous les arbres du paradis? (Gen. III, 1.)

Ces paroles qui présentent deux sens, dont l'un est vrai et l'autre faux, auraient dû faire naître de la défiance à la femme; justement indignée contre l'auteur de cette équivoque artificieuse, elle aurait dû, dit saint Chrysostome, le rejeter avec exécration, et lui déclarer qu'elle ne voulait ni lui parler ni l'écouter; c'est ce que la prudence lui disait; c'est ce qu'elle exige de vous, jeunes personnes du sexe! lorsque, par des paroles à double sens, il tend des piéges à votre chasteté; mais, oubliant cette sage leçon, comme vous l'oubliez dans l'occasion, que fit-elle? jetant ainsi les perles devant les pourceaux, elle répond qu'un seul arbre leur est défendu; elle satisfait pleinement an dessein du tentateur qui n'était d'abord que de l'engager dans une conversation il savait, ce rusé serpent, ce que nous avons tant de peine à vous faire comprendre, qu'une étincelle cause bientôt un grand incendie, qu'un abîme en attire un autre, que quiconque s'expose au péril périra, qu'une première faute dispose à une seconde; il ne se trompa pas.

Celle que la femme commit en écoutant le démon, fut bientôt suivie d'une autre plus considérable, et cette autre d'une troisième plus effroyable encore. Dieu avait dit que certainement elle et son mari mourraient, s'ils mangeaient du fruit défendu ; cette certitude s'est changée en doute pour elle depuis qu'elle a prêté l'oreille à la voix du tentateur; elle ne lui dit pas que « sûrement,» mais que peut-être ils mourront, s'ils violent le commandement qui leur est fait: Ne forte moriamur. Dieu affirme, dit saint Bernard; la femme doute, et le démon,

qui n'attend que le moment de la pousser dans le précipice, nie avec fermeté, osant même accuser Dieu d'une basse jalousie, et disant: Assurément vous ne mourrez point; mais aussitôt que vous aurez mangé de ce fruit vos yeux seront ouverts, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal (Ibid., 4) : Dieu le sait, c'est pourquoi il vous a défendu d'en manger.

Quel blasphème horrible de ce calomniateur! et comment Eve, bouchant ses oreilles, ne prit-elle pas la fuite! C'est, mes frères ! qu'on est bien peu sensible aux intérêts de la gloire de Dieu, quand on est vivement occupé de quelque passion; c'est qu'un mensonge qui flatte est presque toujours mieux accueilli qu'une vérité qui blesse; et, selon cette remarque, Eve placée entre Dieu d'un côté et le démon de l'autre, croira ce père de l'erreur par préférence au principe de toute vérité. Désormais réglant done sa conduite sur ses espérances trompeuses, elle ira, elle considérera le fruit de cet arbre de la science, elle satisfera cette passion inquiète de la curiosité qui nous fait regarder ce qu'il ne nous est pas permis de désirer; enfin elle hasardera le dernier pas qui lui reste à franchir; elle cueillera de ce fruit, et contentant sa sensualité, elle cu mangera. C'est ainsi que par degrés le tentateur conduit Eve de l'inattention au doute, du doute à l'infidélité, de l'infidélité à l'ambition, de l'ambition à la curiosité, de la curiosité à la sensualité; les deux extrémités Vous paraissent éloignées d'abord; vous n'aperceviez pas même que la première dût aboutir à la dernière, et cependant avec quelle célérité Eve n'a-t-elle pas atteint de l'une à l'autre ? Eh! combien de ces personnes à qui je parle sont de même tombées de précipice en précipice? Fuyez donc le tenlateur, fuyez-le dès que vous l'apercevrez, froissez contre la pierre toutes les passions naissantes; inutilement compteriez-vous, ou sur la grâce, ou sur vous-mêmes, si vous permettiez qu'elles se fortifiassent; c'est la leçon qu'Eve nous fait par ces fautes si subites et si multipliées dont je viens de parler.

Une plus grande que toutes les précédentes c'est cette suggestion dont les suites furent si funestes, et à son mari, et à nous tous. Les promesses de Satan étant jusquelà sans effet, et la feinme se plaignant sans doute du tentateur qui l'avait séduite, « ma parole ne sera accomplie,» répliqua adroitement celui-ci, «vous ne serez comme des dieux que quand Adam, à votre imitation, aura mangé du fruit du même arbre, et il faut que vous l'engagiez à en goûter.» La voilà done, cette femme ambitieuse; la voilà, sur cette instigation, qui devient le serpent de son mari; pleine de l'idée de son indépendance, transportée par un orgueil qui ne connaît plus de bornes, au hasard de se perdre, au risque de perdre ce mari à qui elle a été donnée pour aide, elle va, ah! malheureuse! où la passion conduit-elle tes pas? Arrête, et considère le précipice où tu

cours? vois, examine auparavant ce qu'exigent de toi tes intérêts, ceux de ton époux, ceux de ta postérité, ceux de ton Dieu : mais non, nulle considération ne retient la meurtrière emportée; elle va, elle présente du fruit à son mari; par ses caresses séduisantes elle obtient qu'il en mange: Deditque viro suo qui comedit. (Ibid., 6.).

Grand Dieu! que m'apprenez-vous ici? Adam a mangé du fruit défendu ! il a moins craint de vous déplaire qu'à sa femme, son inférieure il vous a désobéi à son nom et au nôtre ! O forfait horrible qu'éclaira alors le soleil! crime qui renferme seul tous les crimes! ô attentat! ô sacrilége! ô prosfitution!... tels sont les caractères qui distinguent la désobéissance de notre premier

1 ère.

Attentat horrible contre la majesté divine, premier caractère du péché d'Adam; en le Commettant il a voulu devenir semblable à Dieu, et s'il n'a pas dit, il a permis à sa femme de dire: Je serai semblable au Très-Haut. Sacrilége détestable, second caractère du péché d'Adam. Son corps était le temple; son âme était le tabernacle vivant de la Divinité, et il a violé l'un et l'autre. Adultère spirituel, troisième caractère du péché d'Adam. Son âme était non-seulement l'image, mais l'épouse chérie de Dieu, et elle s'est corrompue en se prostituant au démon, qui en est devenu l'adultère. Injustice insigne ! quatrième caractère du péché d'Adam. Il s'est dérobé à vous, ô le meilleur des pères, pour se donner au maître le plus dur. Cupi dité insatiable, cinquième caractère du péché d'Adam. Il a désiré un bien qui n'était point à lui, et il a voulu beaucoup plus que ce qui lui suffisait. Ingratitude monstrueuse, sixième caractère du péché d'Adam. Il sort des mains de Dieu, comblé de ses bienfaits, et il lui refuse la marque la plus facile de sa reconnaissance. Honiicide le plus etfroyable des homicides, septième caractère du péché d'Adam. Ah! c'est que d'un seul et même coup il s'est fait mourir lui et toute sa postérité. O chute ineffable! ruina ineffabilis péché ineffablement grand! ineffabiliter grande peccatum! Il est si grand, dit saint Augustin, de qui j'ai emprunté ces pensées pour la plupart, il est si grand, que le nommer, c'est nommer tous les péchés qu'on peut imaginer (48).

Adam a mangé du fruit défendu! ah! malheur à lui! malheur à ses enfants! malheur à moi c'en est fait, tout est perdu; je n'ai plus que des maux à attendre sur la terre. Gémissez donc, mon âme! souffrez, mon corps! pleurez, mes yeux! que les antres des déserts, que les voûtes des cieux retentissent du bruit de mes malheurs! Mon unique consolation, c'est de les célébrer par des cantiques lugubres; c'est d'en entretenir mes semblables; c'est de vous entretenir vous tous qui y participez avec moi et autant que moi. Considérons-les donc ensem

(48) Enchirid, cap. 45.

ble, pour mêler ensemble nos larmes ensuite de ces considérations.

Le morceau fatal est à peine avalé, qu'aussitôt Adam voit, non l'effet des promesses du séducteur, non l'indépendance qu'il avait désirée, mais les effets de la colère divine, mais les vengeaces célestes qui fondent sur lui à grands flots, et de toutes parts. Il voit, premier malheur que nous éprouvons comme lui, il voit que son âme infidèle n'est plus l'image auguste de la Divinité; qu'il en a obscurci les traits les plus ressemblants, que ceux de la justice, de la sainteté, de la reconnaissance... sont absolument effacés. Il voit, second malheur que nous éprouvons également, il voit que des ténèbres épaisses s'élèvent dans la région de sa raison, et obs

curcissent cet entendement dont les lumières étaient si perçantes et si étendues. Il voit, troisième malheur qui nous est coinmun avec lui, il voit qu'il est devenu chair jusque dans son esprit, lui qui était auparavant esprit jusque dans sa chair; il aperçoit le désordre dans ses membres, il est étonné de distinguer en lui deux hommes qui com-. mencent à se combattre, pour ne finir leurs combats qu'à la mort. Il voit, quatrième malheur qui nous est venu de lui, il voit qu'il est nu, parce qu'il a perdu la robe précieuse de l'innocence qui le couvrait; il le voit, et rougissant il entrelace des feuilles de figuier dont il se fait une ceinture et à son infortunée compagne. Il voit, cinquième malheur qui nous suit de près, lorsque nous avons péché; il voit et il sent en lui-même un témoin qui l'accuse, un juge qui le condamne, un bourreau qui le déchire. Il voit tous ces malheurs, et tous ces melheurs ne sont que les commencements de plus grands encore: Initia sunt dolorum; les voici, écoutez, pécheurs, et tremblez pour vous-mêmes.

Un coupable est toujours dans la crainte. Adam entend la voix du Seigneur qui se promène dans le paradis, après midi, et cette voix qui peu auparavant portait la joie dans son âme et la sérénité sur son front, le déconcerte jusqu'à renverser sa raison; il pense que les ombres des arbres pourront le dérober aux regards de son Dieu, et il s'enfonce dans l'endroit le plus épais du jardin pour s'y cacher. Quelle folie d'une telle peusée, et où ira le pécheur, ô vous qui remplissez tous les lieux! pour se soustraire à votre vue et à votre jugement?

Sans délai, celui du premier homme est instruit. Où êtes-vous, Adam? lui dit d'abord le Seigneur; pour vous apprendre, langues médisantes! à ne juger, à ne condamner personne sans l'avoir entendu, et pour donner lieu au coupable de confesser sa faute, et d'en obtenir ainsi le pardon, où avezvous été jusqu'à cette heure? où êtes-vous présentement? quelle était la gloire dans laquelle je vous ai créé ? quel est l'abîme profond où vous êtes tombé? comment cette chute vous est-elle arrivée? quel est ici le

larron qui vous a dépouillé ? quelle tempête vous a fait faire ce naufrage où vous avez perdu toute votre fortune? Adam, ubi es? (Gen. 111, 9.) J'ai entendu votre voix dans le paradis, répond Adam timide et tremblant, et j'ai eu peur, parce que j'étais nu? Vous êtes nu? reprend le Seigneur; eh! d'où le savez-vous? n'est-ce pas de ce que vous avez mangé du fruit de l'arbre auquel je vous avais défendu de toucher? ce fruit vous étaitil donc nécessaire? votre liberté était-elle donc renfermée dans des bornes trop étroites? les autres arbres ne fournissaient-ils pas abondamment à vos délices? quel mépris de mon commandement? quel avantage pouviez-vous attendre de votre infidélité? qui a pu vous y engager (49)?

Vous l'avez éprouvé, mes frères ! et peutêtre plus d'une fois; la première pensée d'un pécheur décelé dans son péché, c'est de chercher des prétextes spécieux pour s'excuser, et voilà la tentation à laquelle Adam et Eve succombent l'un après l'autre. Adam, au lieu d'avouer sa faute, s'excuse en accusant, sans pitié, cette femme pour la quelle il avait eu une complaisance si funeste La femme que vous m'avez donnée pour compagne m'a présenté du fruit, de cet arbre; j'en ai mangé à sa persuasion. C'est ainsi qu'il rejette sa faute sur Eve, content qu'elle périsse, pourvu qu'il se sauve. La femme, au lieu de s'humilier de sa désobéissance, n'a pas honte d'en accuser le serpent: Il m'a trompé, dit-elle froidement, et j'en ai mangé. Quelles excuses, mes frères! et à qui peuvent-elles servir devant celui qui pénètre le fond des cœurs ? aussi, sans aucun égard à celles d'Alam et d'Eve, sur le simple aveu du fait, la sentence est aussitôt prononcée, au serpent d'abord, puis à la femine, et enfin à l'homme.

[ocr errors]

Parce que tu as trompé la femme, dit le Seigneur au serpent, parce que tu as séduit une créature qui m'était chère et qui était formée à ma ressemblauce, tu es maudit entre tous les animaux et toutes les bêtes de la terre; tu ramperas sur le ventre, et tu mangeras la terre tous les jours de ta vie; je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre ta race et la sienne ; elle te brisera la tête, et tu tâcheras de la mordre au talon; elle écrasera ta puissance par la vertu de son Fils, et tu mordras le talon de ce Fils en crucifiant sa chair: Ipsa conteret caput tuum, et tu insidiaberis calcaneo ejus. (Gen. III, 14, 15.)

Dieu dit aussi à la femme: c'est à vous, personnes du sexe! que cette sentence va s'adresser autant qu'à Eve; je vous prie de l'écouter avec autant d'humilité qu'elle est humiliante je t'affligerai, dit le Seigneur, de plusieurs maux pendant la grossesse; tu enfanteras dans la douleur, tu seras sous la puissance de ton mari, il sera ton maître, et sa supériorité à ton égard sera une vraie domination; et ipse dominabitur tui. (Ibid., 16.) Voilà la sentence qui soumet pour ja

(49) S. CRYSOST. in Gen,

:

mais un sexe à l'autre, la femme à l'homme, et si la femme ne s'y soumet dans l'état malheureux où nous nous trouvons réduits, Ja nature se déréglera encore davantage, et le péché se multipliera encore plus. C'est la réflexion que faisait saint Augustin (50), et que l'expérience confirme tous les jours. Permettez, personnes du sexe! que je vous la propose dans tout son jour. Je reconnais volontiers en vous les dons du Créateur: je reconnais que la femme est égale à l'homme; Dieu me l'a marqué en la tirant d'une de ses côtes je reconnais qu'elle est l'aide de l'homme, Dieu me l'enseigne, et par là il me fait comprendre qu'elle est destinée surtout à seconder le zèle de l'homme et sa reconnaissance envers Dieu, à l'animer par son exemple, à célébrer avec lui les louanges de leur maître commun je reconnais que la femme, formée d'un côté d'Adam lorsqu'il dormait, a l'honneur de représenter l'Eglise formée du côté du Sauveur lorsqu'il était endormi sur le lit douloureux de la croix; ce sont les Pères qui me le disent: je reconnais que la femme, unie à l'homine, figure le mystère le plus auguste de notre sainte religion, la nature humaine unie à la nature divine; c'est saint Paul qui me l'apprend je reconnais enfin que vous êtes ce que dit le même apôtre, la gloire de l'homme, comme l'homme est la gloire de Jésus-Christ; mais permettez qu'à cet éloge, qui peut-être déjà vous élève, j'ajoute un contre-poids qui doit vous humilier encore davantage.

Eve a porté le trouble, le désordre, le péché dans le paradis terrestre, et votre sexe est la cause de la plupart des abus qui règnent dans ce monde. Vous gémissez, dites-vous quelquefois, sur ceux qui règnent dans vos maisons, sur ceux qui règnent..... j'allais dire jusque dans le temple de la justice, j'allais dire jusque dans le sanctuaire de la religion. Vous gémissez sur les scandales qui s'élèvent de toutes parts, Ah! gémissez donc sur vous-mêmes et sur les principes de ces scandales que vous portez en vous-mêmes. Gémissez sur cet orgueil qui yous.rend si crédules sur tout ce qu'on vous dit, tantôt de votre figure, tantôt de votre rang, tantôt de vos talents, de tout ce qui peut flatter votre vanité. Gémissez sur cette vanité que vous peignez vous-mêmes dans vos discours, dans vos parures, dans tout votre maintien extérieur. Gémissez sur cet esprit de domination qui vous domine vous-mêmes, et qui, pour dominer sur les autres, vous engage à des complaisances criminelles, à des infamies qui vous perdent aux yeux de Dieu. Gémissez sur cet amourpropre qui vous fait recevoir comme des hommages dus à la prééminence de votre sexe, ces ménagements qu'exige de nous votre faiblesse. Gémissez sur votre sensualité, sur votre curiosité, sur tous ces vices que vous avez hérités d'Eve, et dont je vous ai parlé; réformez-vous sur tous ces points;

(50) De Gen. ad litt., lib, xt.

« IndietroContinua »