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O palais de Priam, si cher à ma mémoire!
O temple, où les autels, de guirlandes ornés,
Retentissaient des vœux des mortels prosternés,
Et dont j'ai vu les murs, d'immortelle structure,
Briller de toutes parts et d'or et de peinture!

O le merveilleux poëte, quoi qu'en puissent dire
les admirateurs d'Euphorion! Peut-on mieux
faire sentir combien les malheurs inopinés sont
plus accablants que les autres? Car après avoir
étalé toutes ces richesses du roi Priam, dont la
durée semblait devoir être éternelle, il ajoute :
En une seule nuit, Dieux! qui peut le comprendre?
Co palais, ces trésors, je les ai vus en cendre;
Et du sang de Priam, par Pyrrhus immolé,
L'autel de Jupiter indignement souillé.

Voilà de beaux vers. Le sens, les expressions,
la cadence, tout en est touchant. Essayons donc
de consoler Andromaque. Mais comment ferons-
nous? Mettons-la sur un bon lit de repos :
amenons-lui une chanteuse : régalons-la de par-
fums exquis présentons-lui quelque boisson
délicieuse : ajoutons-y d'excellents mets. Épi-
cure, ce sont là tes secrets pour faire diversion
à la douleur, et tu nous as dit que tu n'en con-
naissais point d'autres. J'admettrais le sentiment
de ce philosophe, que pour écarter le chagrin,
il faut penser à quelque chose d'agréable, si
nous étions d'accord, lui et moi, sur ce qu'on
doit regarder comme agréable.

XX. Mais, me dira-t-on, croyez-vous qu'en effet Épicure ait eu des idées si voluptueuses? Quelle apparence y a-t-il à cela, puisqu'en d'autres endroits il a parlé gravement et sensément? Je réponds, comme j'ai fait souvent, qu'il s'agit, non de ses mœurs, mais de sa doctrine. Quoiqu'il dédaigne ces voluptés qu'il vient de van

Septum altisono cardine templum :
Vidi ego te, adstante ope barbarica,
Tectis cælatis, laqueatis,

Auro, ebore instructam regifice.

O poetam egregium! quanquam ab his cantoribus Euphorionis contemnitur. Sentit omnia repentina, nec opinata esse graviora. Exaggeratis igitur regis opibus, quæ videbantur sempiternæ fore, quid adjungit?

Hæc omnia vidi inflammari,
Priamo vi vitam evitari,
Jovis aram sanguine turpari.

Præclarum carmen. Est enim et rebus, et verbis, et modis lugubre. Eripiamus huic ægritudinem: quo modo? Collocemus in culcita plumea; psaltriam adducamus; cedrum incendamus; demus scutellam dulciculæ potionis; aliquid provideamus et cibi. Hæc tandem bona sunt, quibus ægri. tudines gravissimæ detrahantur? Tu enim paulo ante ne intelligere te quidem alia bona dicebas. Revocari igitur oportere a mærore ad cogitationem bonorum, conveniret mihi cum Epicuro, si, quid esset bonum, conveniret.

XX. Dicet aliquis: Quid ergo? tu Epicurum existimas ita voluisse, aut libidinosas ejus fuisse sententias? Ego vero minime video enim ab eo dici multa severe, multa præclare. Itaque, ut sæpe dixi, de acumine agitur ejus,

:

¡ter, je ne perds point de vue son opinion sur le
| souverain bien. Or, non content de dire que c'est
la volupté, il a de plus expliqué sa pensée, en
spécifiant le goût, le toucher, les spectacles,
les concerts, et tous les différents objets qui
peuvent frapper agréablement la vue. L'ai-je
inventé? En ai-je imposé? Je serai ravi qu'on
me réfute; car quel autre objet nos disputes ont-
elles, que la recherche de la vérité? Quand la
douleur est passée, dit-il encore, le plaisir ne
croît plus ne point souffrir, étant le plaisir su-
prême. En ce peu de mots, trois grandes erreurs.
La première, qu'il se contredit; car il venait
d'avancer qu'il n'entrevoyait rien d'agréable,
partout où les sens n'étaient pas en quelque ma-
nière chatouillés par le plaisir; et maintenant il
met ce plaisir à ne sentir aucune douleur. Quelle
contradiction plus manifeste? Seconde erreur :
il y a trois situations dans l'homme, l'une de se
réjouir, l'autre de s'affliger, et la dernière, de
n'être ni gai ni triste: or Épicure confond la
première avec la dernière, et ne met aucune
distinction entre avoir du plaisir, et ne pas souf-
frir. Enfin sa troisième méprise, qui lui est
commune avec d'autres philosophes, consiste
en ce qu'il sépare le souverain bien de la vertu;
quoique la vertu soit le principal objet de nos
désirs, et que la philosophie n'ait été inventée
que pour nous aider à y parvenir. Mais, dit-on,
il loue souvent la vertu. C'est ainsi que Gracchus
ne cessait de parler d'épargne, dans le temps
même qu'aux dépens du trésor public, il faisait
des largesses immenses au peuple romain. Dois-
je m'arrêter aux discours, quand je vois les ac-
tions? Pison, surnommé l'honnête homme,

non de moribus. Quamvis adspernetur voluptates eas, quas modo laudavit: ego tamen meminero, quod videatur ei summum bonum. Non enim verbo solum posuit voluptatem, sed etiam explanavit quid diceret: Saporem, inquit, et corporum complexum, et ludos, atque cantus, et formas eas,quibus oculi jucunde moveantur. Num fingo? num mentior? cupio refelli. Quid enim laboro, nisi ut veritas in omni quæstione explicetur? At idem ait non crescere voluptatem dolore detracto; summamque voluptatem, nihil dolere. Paucis verbis tria magna peccata: unum, quod secum ipse pugnat; modo enim, ne suspicari quidem se quidquam bonum, nisi sensus quasi titillarentur voluptate: nunc autem, summam voluptatem esse, dolore carere. Potestne magis secum ipse pugnare? Alterum peccatum, quod, cum in natura tria sint, unum gaudere; alterum dolere; tertium nec gaudere, nec dolere; hic primum et tertium putat idem esse, nec distinguit a non dolendo voluptatem. Tertium peccatum commune cum quibusdam, quod, cum virtus maxime expetatur, ejusque adipiscendæ causa philosophia quæsita sit, ille a virtute summum bonum separavit. At laudat, et sæpe, virtutem. Et quidem C. Gracchus, cum largitiones maximas fecisset, et effudisset ærarium, verbis tamen defendebat ærarium. Quid verba audiam, cum facta videam? Piso ille

de se

s'était fortement opposé à la loi proposée par ce même Gracchus, pour distribuer du blé au peuple. Après qu'elle eut passé malgré lui, il ne laissa pas, quoiqu'il eût été consul, mêler avec le peuple, qui allait recevoir du blé des magasins publics. Gracchus l'ayant remarqué, et le voyant debout dans la foule, lui demanda tout haut comment il accordait cette démarche avec les obstacles qu'il avait apportés à cette loi? Vraiment, lui répondit-il, j'empécherai, tant que je pourrai, que tu ne fasses des libéralités de mon bien. Mais si tu parviens à en faire, j'en demanderai ma part comme un autre. Ce digne citoyen pouvait-il censurer plus clairement cette dissipation des finances? Lisez cependant les harangues de Gracchus : vous le prendrez pour le plus sage dispensateur des deniers publics. Épicure nie qu'on puisse vivre agréablement sans la vertu : il nie que la fortune ait prise sur le sage: il préfère la frugalité au luxe : il soutient qu'il n'y a aucun temps où le sage ne soit heureux. Beaux discours, et dignes d'un philosophe, s'ils s'accordaient avec la volupté. Mais, me répondra-t-on, il ne parle pas de la volupté que vous entendez. Tout ce qu'il lui plaira; mais dans ce qu'il dit de la volupté, je n'aperçois pas même l'ombre de la vertu. Et quand je me ferais une fausse idée de ce qu'il entend par volupté, me trompéje aussi sur ce que c'est que douleur? Or il me semble que le mot de vertu ne doit pas être prononcé par un homme qui met le souverain mal dans la douleur.

XXI. Quelques Épicuriens, les meilleures gens du monde, car je ne connais personne qui ait moins de malice, se plaignent que j'affecte de déclamer contre Épicure. Hé quoi! ne dirait

Frugi semper contra legem frumentariam dixerat. Is lege lata consularis ad frumentum accipiendum venerat. Animadvertit Gracchius in concione Pisonem stantem. Quærit, audiente populo romano, qui sibi constet, cum ea lege frumentum petat, quam dissuaserat? Nolim, inquit, mea bona, Gracche, tibi viritim dividere liceat: sed si facias, partem petam. Parumne declaravit vir gravis, et sapiens, lege Sempronia patrimonium publicum dissipari? Lege orationes Gracchi: patronum ærarii esse dices. Negat Epicurus jucunde posse vivi, nisi cum virtute vivatur: negat ullam in sapientem vim esse fortunæ : tenuem victum antefert copioso: negat ullum esse tempus, quo sapiens non beatus sit. Omnia philosopho digna, sed cum voluptate pugnantia. Non istam dicit voluptatem. Dicat quamlibet: nempe eam dicit, in qua virtutis nulla pars insit. Age, si voluptatem non intelligimus, ne dolorem quidem? Nego igitur ejus esse, qui dolore summum malum metiatur, mentionem facere virtutis.

XXI. Et conqueruntur quidam Epicurei, viri optimi (nam uullum genus est minus malitiosum) me studiose dicere contra Epicurum. Ita credo, de honore, aut de dignitate

:

on pas, que nous nous disputons quelque dignité? Je crois le souverain bien dans les plaisirs de l'âme; ils le croient dans ceux du corps. Je le fais consister dans la vertu ; eux dans la volupté. Là-dessus ils se mettent aux champs : ils appellent leurs voisins à leur aide la multitude y accourt. Pour moi je leur déclare que je ne m'en embarrasse pas, et que je leur passerai volontiers tout ce qu'ils voudront. Est-il ici question entre nous de la guerre punique? Caton et Lentulus furent presque toujours d'avis contraire sur cette guerre, sans que cela ait causé la moindre altération dans leur amitié. C'est, de la part des Épicuriens, prendre la chose avec trop de chaleur; surtout ayant à défendre un sentiment qui n'a rien de généreux, et pour lequel ils n'oseraient se déclarer, ni dans le sénat, ni devant le peuple, ni à la tête d'une armée, ni devant les censeurs. Mais je me réserve à traiter ce point une autre fois, moins avec un esprit d'opiniâtreté, que dans la disposition de me rendre à la raison. J'avertirai seulement ces partisans de la volupté, que quand il serait vrai que le sage doit tout rapporter aux plaisirs des sens, ou, pour parler plus honnêtement, à sa satisfaction, et à son utilité propre, comme ces maximes ne sont pas trop plausibles, ils feront bien de s'en féliciter en secret, et d'en parler dans le monde avec moins de présomption.

XXII. Reste l'opinion de l'école de Cyrène, où l'on tient que c'est quelque accident inopiné qui cause la tristesse. J'ai déjà dit qu'en cela il y avait bien du vrai. Chrysippe été de même avis. On est, en effet, plus troublé d'une incursion imprévue des ennemis, et sur mer on est plus consterné d'une tempête subite, que quand on s'y était préparé. Mais, quoiqu'il en soit ainsi

contendimus. Mihi summum in animo bonum videtur, illi autcm in corpore mihi in virtute, illi in voluptate. Et illi pugnant: et quidem vicinorum fidem implorant. Multi autem sunt, qui statim convolent. Ego sum is, qui dicam me non laborare, actum habiturum quod egerint. Quid enim? de bello Punico agitur? de quo ipso cum aliud M. Catoni, aliud L. Lentulo videretur, nulla inter eos concertatio unquam fuit. Hi nimis iracunde agunt : præsertim cum ab his non sane animosa defendatur sententia, pro qua non in Senatu, non in concione, non apud exercitum, neque ad Censores dicere audeant. Sed cum istis alias, et eo quidem animo, nullum ut certamen instituam; verum dicentibus facile cedam. Tantum admonebo si maxime verum sit, ad corpus omnia referre sapientem : sive, ut honestius dicam, nihil facere, nisi quod expediat : sive omnia referre ad utilitatem suam: quoniam hæc plausibilia non sunt, ut in sinu gaudeant, gloriose loqui desinant.

dinem censent exsistere, si necopinato quid evenerit. Est XXII. Cyrenaicorum restat sententia: qui tum ægrituvideri scio, quod provisum ante non sit, id ferire veheid quidem magnum, ut supra dixi: etiam Chrysippo ita

de la plupart des événements, la surprise seule n'est point ce qui cause la tristesse. L'effet de la surprise est uniquement de faire paraître le malheur plus grand; et cela pour deux raisons. Premièrement, parce qu'elle ne donne pas le loisir d'apprécier le mal. En second lieu, parce qu'on s'imagine qu'en le prévoyant, on aurait pu s'en garantir; et ce manque de prévoyance, qu'on se reproche comme une faute, devient un surcroît de chagrin. Une preuve de ce que nous disons, c'est qu'à mesure que le temps s'éloigne, le cha- | grin diminue, et même se passe quelquefois entièrement, quoique l'objet qui l'avait fait naître subsiste toujours. Après la prise de Carthage, après la défaite du roi Persès, on a vu à Rome grand nombre de Carthaginois et de Macédoniens dans l'esclavage. Moi-même étant jeune, j'ai trouvé encore dans le Péloponèse beaucoup de Corinthiens dans la même situation. Ils avaient pu s'écrier autrefois, comme Andromaque : Enfin j'ai tout perdu. Mais alors ils avaient déjà bien changé de ton; et à leurs visages, à leurs discours, à leurs manières, on les aurait pris pour des Argiens, ou des Sicyoniens en sorte que je fus beaucoup plus frappé en voyant les ruines de Corinthe, que ne l'étaient les Corinthiens eux-mêmes, dont l'âme avec le temps s'était accoutumée, et pour ainsi dire, endurcie à la douleur. J'ai lu le livre qu'écrivit Clitomaque aux Carthaginois ses concitoyens, pour les consoler sur leur captivité, et sur la ruine de leur patrie. On y trouve une dissertation entière de son maître Carnéade contre cette proposition, Que le chagrin a prise sur le sage qui voit

mentius. Sed non sunt in hoc omnia : quanquam hostium repens adventus magis aliquanto conturbat, quam exspectatus: et maris subita tempestas, quam ante provisa, terret navigantes vehementius: et ejusmodi sunt pleraque. Sed cum diligenter necopinatorum naturam consideres, nihil aliud reperias, nisi omnia subita videri majora, et quidem ob duas causas: primum, quod, quanta sint quæ accidunt, considerandi spatium non datur: deinde cum videtur præcaveri potuisse, si provisum esset, quasi culpa contractum malum ægritudinem acriorem facit. Quod ita esse dies declarat: quæ procedens ita mitigat, ut iisdem malis manentibus non modo leniatur ægritudo, sed in plerisque tollatur. Carthaginienses multi Romæ servierunt, Macedones rege Perse capto. Vidi etiam in Peloponneso, cum essem adolescens, quosdam Corinthios. Hi poterant omnes eadem illa de Andromacha deplorare :

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sa patric au pouvoir de l'ennemi. Une partie des choses qu'il dit pour fortifier les affligés contre une calamité présente, n'aurait pas été nécessaire contre une adversité invétérée; et si ce même livre avait été envoyé aux Carthaginois quelques années après, il aurait trouvé dans leurs cœurs moins de plaies à guérir, que de cicatrices à effacer. Car le chagrin, par un décroissement insensible et imperceptible, s'affaiblit de lui-même en vieillissant: non qu'il arrive aucun changement à la chose qui en a fait le sujet : mais ce que la raison aurait dû nous apprendre, l'expérience nous l'enseigne, que les malheurs de la vie sont en effet beaucoup moins grands qu'ils ne le paraissent d'abord.

XXIII. A quoi sert, cela étant, de raisonner contre le chagrin, et de représenter, comme c'est l'usage pour consoler quelqu'un qui souffre, qu'il n'arrive rien qui n'ait dû être prévu? Sa douleur en deviendra-t-elle plus supportable, quand il saura que l'homme ne peut éviter de pareils accidents? Une telle réflexion n'ôte rien de la force du mal. Elle persuade seulement qu'il n'est rien arrivé à quoi l'on n'ait dû s'attendre. J'avoue que cette espèce de consolation, quoiqu'elle ne soit pas inutile, n'est pas toujours efficace. La surprise où nous jette un accident imprévu n'est donc pas l'unique cause de la tristesse qui s'empare de nous. Peut-être que le coup en est plus rude: mais si le mal paraît grand, c'est plutôt pour être récent que pour n'avoir pas été prévu. Il y a deux routes dans la recherche de la vérité, tant à l'égard des maux, qu'à l'égard des biens. Ou l'on examine la nature et la qualité de la

tulisse. Cum ita positum esset, Videri fore in ægritudine sapientem, patria capta: quæ Carneades contra dixerit, scripta sunt. Tanta igitur calamitatis præsentis adhibetur a philosopho medicina, quanta in inveterata ne desideratur quidem. Nec si aliquot annis post idem ille liber captivis missus esset, vulneribus mederetur, sed cicatricibus. Sensim enim et pedetentim progrediens extenuatur dolor : non quo ipsa res immutari soleat, aut possit : sed id, quod ratio debuerat, usus docet, minora esse ea, quæ sint visa majora.

XXIII. Quid ergo opus est, dicet aliquis, ratione, aut omnino consolatione illa, qua solemus uti, cum levare dolorem mærentium volumus? Hæc enim fere tum habemus in promptu, nihil oportere inopinatum videri. Aut qui tolerabilius feret incommodum, qui cognoverit, necesse esse homini tale aliquid accidere? Hæc enim oratio de ipsa summa mali nihil detrahit : tantummodo affert, nihil evenisse, quod non opinandum fuisset. Neque tamen genus id orationis in consolando non valet sed id haud sciam an plurimum. Ergo ista necopinata non habent tantam vim, ut ægritudo ex his omnis oriatur. Feriunt enim fortasse gravius: non id efficiunt, ut ea, quæ accidant, majora videantur, quia recentia sunt, videntur, non quia repentina. Duplex est igitur ratio veri reperiendi, non in iis solum, quæ mala, sed in iis etiam, quæ bona videntur. Nam aut ipsius rei natura, qualis, et quanta sit, quæri

:

chose même : comme, quand nous traitons de la pauvreté, nous faisons voir combien il faut peu de chose pour le besoin de la nature. Ou, laissant la subtilité des raisonnements, on se jette sur les exemples: on allégue Socrate, Diogène : on cite ce vers de Cécilius,

mité des malheurs d'autrui nous fait trouver le nôtre beaucoup moins grand, qu'il ne nous avait paru. Insensiblement nous reconnaissons l'erreur de nos préjugés. Télamon, parlant de la mort de son fils: Quand je le mis au monde, je savais qu'il devait mourir. Thésée, dans un cas semblable: J'avais envisagé tous les malheurs qui pouvaient m'arriver. Anaxagore: Je savais que mon fils était mortel. Par les réflexions qu'ils avaient faites depuis longtemps sur la con

Sous des haillons souvent se cache la sagesse. Car, puisque le poids de la pauvreté est le même pour tous les hommes, et que Fabricius a été assez fort pour le supporter, pourquoi paraîtra-til insupportable aux autres? On suit cette der-dition des choses humaines, ils avaient appris à nière méthode, lorsque, pour consoler les affligés, on leur représente qu'il ne leur est rien arrivé, qui ne soit du train ordinaire de la vie. On ne veut pas simplement leur apprendre quelle est la condition de l'humanité : on veut de plus leur persuader qu'ils peuvent bien souffrir patiemment ce que tant d'autres ont souffert et souffrent encore.

XXIV. Faut-il consoler un homme qui est tombé dans la pauvreté? On lui nomme quantité de personnes illustres qui l'ont soufferte sans impatience. S'agit-il de quelque dignité manquée? On allègue l'exemple de tant de gens qui ont vécu sans emploi, et qui n'en ont été que plus heureux. On loue ceux qui ont préféré la vie privée au maniement des affaires publiques. On n'oublie pas ces beaux vers d'Agamemnon, où il envie la félicité d'un vieillard, qui était parvenu à la fin de ses jours, sans se soucier de distinction ni de gloire. De même, si quelqu'un a perdu ses enfants, on a des exemples tout prêts, pour soulager sa douleur, par la comparaison de mille autres qui ont été dans le même cas. La confor

mus, ut de paupertate nonnunquam cujus onus dispu tando levamus, docentes, quam parva, et quam pauca sint, quæ natura desideret: aut a disputandi subtilitate orationem ad exempla traducimus. Hic Socrates commemoratur, hic Diogenes, hic Cecilianum illud,

Sæpe est etiam sub palliolo sordido sapientia. Cum enim paupertatis una eademque sit vis, quidnam dici potest quamobrem C. Fabricio tolerabilis ea fuerit, alii negent se ferre posse? Huic igitur alteri generi similis est ea ratio consolandi, quæ docet humana esse, quæ acciderint. Non enim solum id continet ea disputatio, ut cognitionem afferat generis humani: sed significat tolerabilia esse, quæ et tulerint, et ferant cæteri.

XXIV. De paupertate agitur: multi patientes pauperes commemorantur. De contemnendo honore : multi inhono'rati proferuntur, et quidem propter id ipsum beatiores : eorumque, qui privatum otium negotiis publicis antetulerunt, nominatim vita laudatur: nec siletur illud potentis simi regis anapæstum, qui laudat senem, et fortunatum esse dicit, quod inglorius sit atque ignobilis ad supremum diem perventurus. Similiter commemorandis exemplis, orbitates quoque liberorum prædicantur : eorumque, qui gravius ferunt, luctus aliorum exemplis leniuntur. Sic perpessio cæterorum facit, ut ea, quæ acciderint, multo mi

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ne les pas voir du même œil que le vulgaire. Ce que le temps fait sur les uns, la prévoyance le fait à peu près sur les autres. Toute la différence qu'il y a, c'est que ceux-ci doivent à leur raison ce que ceux-là doivent à la nature seule. En comprenant que ce qui paraissait un si grand mal, ne pouvait pas les empêcher d'être heureux, ils ont trouvé le remède propre à les guérir. D'où il s'ensuit que la plaie causée par un mal imprévu, peut bien être plus profonde; mais qu'il n'est pas vrai, comme le tient l'école de Cyrène, que de deux personnes, qui ont essuyé une infortune semblable, celle-là seule soit affligée, qui ne s'était pas attendue à cet événement. On assure au contraire, qu'il s'est trouvé des gens, qui, étant dans la douleur, et entendant parler de la commune condition des hommes, suivant laquelle il n'en est point qui puisse se promettre d'être à jamais exempt d'adversités, ont sur cela

senti redoubler leur affliction.

XXV. C'est pourquoi, au rapport de notre ami Antiochus, Carnéade avait coutume de reprendre Chrysippe, pour avoir loué ces vers d'Euripide;

nora, quam quanta sint existimata, videantur. Ita fit sen-
sim cogitantibus, ut quantum sit ementita opinio, appareat.
Atque hoc idem et Telamo ille declarat,
Ego cum genui, moriturum scivi:
Et Theseus,

Futuras mecum commentabar miserias:

Et Anaxagoras, Sciebam me genuisse mortalem. Hi enim omnes diu cogitantes de rebus humanis, intelligebant eas nequaquam pro opinione vulgi esse extimescendas. Et mihi quidem videtur idem fere accidere iis, qui ante meditantur, quod iis, quibus medetur dies: nisi quod ratio quædam sanat illos; hos ipsa natura, intellecto eo, quod remedium illud continet, malum, quod opinatum sit esse maximum, nequaquam esse tantum, ut vitam beatam possit evertere. Hoc igitur efficitur, ut ex illo necopinato plaga major sit : non, ut illi putant, ut cum duobus pares casus evenerint, is modo ægritudine afficiatur, cui ille necopinato casus evenerit. Itaque dicuntur nonnulli in moerore, cum de hac communi hominum conditione audivissent, ea lege nos esse natos, ut nemo in perpetuum esse posset expers mali, gravius etiam tulisse.

XXV. Quocirca Carneades, ut video nostrum scribere Antiochum, reprehendere Chrysippum solebat, laudantem Euripideum carmen illud :

Des malheureux mortels telle est la loi commune;
Ancun d'eux n'est exempt d'ennuis, ni d'infortune.
Le père au désespoir met son fils au cercueil,
Et lui-même à son tour met ses enfants en deuil.
Mais quoi! quand la Mort vient l'arrêter dans sa course,
Né d'un limon fragile, il retourne à sa source.
Le sort ainsi le veut, (que sert d'en frissonner?)
Et la fatale faux nous doit tous moissonner.

Un tel langage paraissait à Carnéade n'avoir rien de consolant. Car, selon lui, c'est un nouveau sujet d'affliction d'être soumis à une si cruelle nécessité; et l'énumération des maux d'autrui n'est bonne qu'à réjouir les malveillants et les envieux. Je pense bien différemment. Car la nécessité de supporter la condition humaine nous défend de lutter contre la nature, non plus que contre une divinité; et en m'avertissant que je suis homme, elle me rappelle un souvenir propre à me calmer. Si l'on propose aux affligés des compagnons d'infortune, ce n'est pas pour réjouir les mal intentionnés, mais afin que celui qui souffre, apprenne à prendre patience, voyant que tant d'autres ont doucement supporté leurs maux. On a raison de chercher à étayer de toutes manières une âme ébranlée par la violence du chagrin. Vous le détruirez absolument, si, comme je l'ai dit d'abord, vous en voulez examiner la cause, qui n'est autre que le sentiment d'un grand mal présent et pressant. Car, comme dans les douleurs du corps, quelque vive qu'en soit l'atteinte, le malade est soutenu par l'espoir du retour de la santé, de même dans les douleurs de l'esprit, le souvenir d'une vie passée avec honneur est d'une si grande consolation, que les hommes qui ont cet avantage ne sont que peu ou point du tout touchés de l'adversité.

Mortalis nemo est, quem non attingat dolor,
Morbusque. Multis sunt humandi liberi,
Rursum creandi: morsque est finita omnibus :
Quæ generi humano angorem nequicquam afferunt:
Reddenda est terræ terra: tum vita omnibus
Metenda, ut fruges. Sic jubet Necessitas.

:

Negabat genus hoc orationis quidquam omnino ad levandam ægritudinem pertinere. Id enim ipsum dolendum esse dicebat, quod in tam crudelem necessitatem incidissemus. Nam illam quidem orationem ex commemoratione alienorum malorum ad malevolos consolandos esse accommodatam. Mihi vero longe videtur secus: nam et necessitas ferendæ conditionis humanæ quasi cum Deo pugnare cohibet admonetque esse hominem: quæ cogitatio magnopere luctum levat et enumeratio exemplorum non, ut animum malevolorum oblectet, affertur, sed ut ille, qui mœret, ferendum sibi id censeat, quod videat multos moderate et tranquille tulisse. Omnibus enim modis fulciendi sunt, qui ruunt, nec cohærere possunt propter magnitudinem ægritudinis. Ex quo ipsam ægritudinem Xúŋy Chrysippus, quasi lúa, id est solutionem totius hominis, appellatam putat. Quæ tota poterat evelli, explicata, ut principio dixi, causa ægritudinis. Est enim nulla alia, nisi opinio, et judicium magni præsentis atque urgentis mali. Itaque et dolor corporis, cujus est morsus acerrimus, perfertur spe proposita boni et acta ætas honeste ac splendide CICERON.

TOME. IV.

XXVI. Mais lorsqu'on croit avoir quelque grand sujet de tristesse, et que de plus on croit qu'il est nécessaire, qu'il est juste, qu'il est même du devoir d'en donner des marques, alors le trouble de l'âme est porté au dernier excès. De là sont venues toutes ces différentes et ridicules manières de marquer le deuil; ces lamentations, ces cris affreux de femmes, ces joues déchirées, ces seins meurtris; ces têtes échevelées, ces habits en lambeaux. De là ces folles peintures, qu'Homère et Accius font d'Agamemnon,

Dans la vive douleur, dont l'excès le domine,
S'arrachant les cheveux, se frappant la poitrine.

« Comme si une tête pelée, disait assez plaisamToutes ces extravagances sont l'effet du préjugé ment Bion, était plus tôt consolée qu'une autre. » général, que cela se doit faire de la sorte. C'est ce qui donna lieu à Eschine d'invectiver contre Démosthène, pour avoir, contre la coutume, fait un sacrifice sept jours après la mort de sa fille. Mais avec quelle éloquence! avec quelle fécondité! quel torrent coule de sa bouche! quels traits ne lance-t-il point contre son ennemi! Bel exemple de la licence effrénée des orateurs ; mais qui n'aurait en cette occasion trouvé aucun approbateur, si nous n'avions l'esprit imbu du faux préjugé, que tous les honnêtes gens doivent être vivement touchés de la mort de leurs proches. Pleins de ces idées, les uns se sont enfoncés dans les déserts, comme Bellérophon, qui, suivant Homère,

Le cœur rongé d'ennuis, en de sauvages lieux Allait fuir des humains les regards odieux: D'autres ont marqué leur douleur d'une autre ma

tantam affert consolationem, ut eos, qui ita vixerint, aut non attingat ægritudo, aut perleviter pungat animi dolor.

XXVI. Sed ad hanc opinionem magni mali cum illa etiam opinio accessit, oportere, rectum esse, ad officium pertinere, ferre illud ægre, quod acciderit: tum denique effici tur illa gravis ægritudinis perturbatio. Ex hac opinione sunt illa varia, et detestabilia genera lugendi, pædores, muliebres lacerationes genarum, pectoris, feminum, capitis percussiones. Hinc ille Agamemnon Homericus, idem Accianus,

et

Scindens dolore identidem intonsam comam. In quo facetum illud Bionis, perinde stultissimum regem in luctu capillum sibi evellere, quasi calvitio mœror levaretur. Sed hæc omnia faciunt, opinantes ita fieri oportere. Itaque et Æschines in Demosthenem invehitur, quod is septimo die post filiæ mortem hostias immolasset. At quam rhetorice! quam copiose! qnas sententias colligit ! quæ verba contorquet! ut licere quidvis rhetori intelligas. Quæ nemo probaret, nisi insitum illud in animis haberemus, omnes bonos interitu suorum quam gravissime morere oportere. Ex hoc evenit, ut in animi doloribus alii solitudines captent, ut ait Homerus de Bellerophonte,

Qui miser in campis morens errabat Aleis,
Ipse suum cor edens, hominum vestigia vitans.
Et Niobe fingitur lapidea, propter æternum, credo,

2

in

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