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Hélas! si quelque Dieu s'intéressait pour moi! Oui vraiment, les Dieux ont tort de ne pas s'empresser tous à lui procurer la jouissance de l'objet qui l'enchante.

Que je suis malheureux! ajoute-t-il. Rien de plus vrai.

Malheureux? et de quoi? Quel malheur fut jamais plus léger, plus frivole? lui répond sensément un de ses amis, qui ne peut s'empêcher de le regarder comme un fou. Après quoi, l'autre le prend sur le ton le plus tragique :

Phébus, à mon secours! Et vous, Neptune, Éole!

Il croit que tout l'univers va se remuer, pour attendrir sa cruelle maîtresse. Il n'excepte que Vénus, qui ne lui est pas favorable:

Car pourquoi t'invoquer, Déesse de Paphos?

Il dit que cette Déesse, trop occupée de ses propres amours, ne s'embarrasse point du reste. Comme s'il n'était pas lui-même tout occupé de sa passion, qui le porte à dire et à faire tant de sottises.

XXXV. Quand done vous trouvez un fou de cette espèce, il faut pour travailler à sa guérison, lui représenter le ridicule et le néant de ce qui allume si fort ses désirs; avec quelle facilité il peut ou y suppléer d'ailleurs, ou s'en passer tout à fait. Il faut chercher à lui donner quelque autre goût, lui susciter des affaires, lui procurer du travail. Il faut enfin lui faire changer de séjour, comme on change d'air un malade dont la convalescence tire en longueur. Quelques-uns

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aussi disent que comme un clou chasse l'autre, il faut, pour détruire une inclination, en inspirer une nouvelle. Mais le principal, c'est de bien faire sentir à un homme amoureux dans quel abîme il se précipite. Car, de toutes les passions, celle-ci est la plus orageuse. Quand même nous mettrions à part les débauches, les intrigues, les adultères, les incestes, toute autre turpitude reconnue pour telle; et sans toucher ici aux excès où l'amour se porte dans sa fureur ; n'y a-t-il pas, dans ses effets les plus ordinaires, et qu'on regarde comme des riens, une agitation d'esprit, qui est quelque chose de pitoyable et de honteux?

Rebuts, soupçons, débats, trêve, guerre nouvelle,
Et puis nouvelle paix. Par ce portrait fidèle,
Voyez que la raison aspirerait en vain
A fixer de l'amour le manége incertain.
Quiconque entreprendrait cette pénible cure,
Voudrait extravaguer avec poids et mesure.

Puisque l'amour dérange si fort l'esprit, comment lui donne-t-on entrée dans son cœur? Car enfin c'est une passion qui, comme toutes les autres, vient absolument de nous, de nos idées, de notre volonté. Et la preuve que l'amour n'est point une loi de la nature, c'est que, si cela était, tous les hommes aimeraient, ils aimeraient toujours; l'objet de leur passion ne varierait point; et l'on ne verrait pas l'un se guérir par la honte, l'autre par la réflexion, un autre par la satiété.

XXXVI. Quant à la colère, pour peu qu'elle soit de quelque durée, il est certain qu'elle ne diffère pas de la folie. Jugeons-en par la querelle de ces deux frères.

non convalescentes, sæpe curandus est etiam novo quodam amore veterem amorem, tanquam clavo clavum, ejiciendum putant: maxime autem admonendus, quantus sit furor amoris. Omnibus enim ex animi perturbationibus est profecto nulla vehementior: ut, si jam ipsa illa accusare nolis, stupra dico, et corruptelas, et adulteria, incesta denique, quorum omnium accusabilis est turpitudo: sed ut hæc omittas, perturbatio ipsa mentis in amore fœda per se est. Nam ut illa præteream, quæ sunt furoris ; hæc ipsa per sese quam habent levitatem, quæ videntur esse mediocria ?

Injuriæ,

Suspiciones, inimicitiæ, induciæ,

Bellum, pax rursum. Incerta hæc si tu postules
Ratione certa facere; nihilo plus agas,

Quam si des operam, ut cum ratione insanias.

Hæc inconstantia mutabilitasque mentis, quem non ipsa pravitate deterreat? Est enim illud, quod in omni perturbatione dicitur, demonstrandum, nullam esse nisi opinabilem, nisi judicio susceptam, nisi voluntariam. Etenim si naturalis amor esset; et amarent omnes, et semper amarent, et idem amarent: neque alium pudor, alium cogitatio, alium satietas deterreret.

XXXVI. Ira vero quamdiu perturbat animum, dubitationem insaniæ non habet: cujus impulsu exsistit etiam inter fratres tale jurgium :

Quelle impudence à la tienne est semblable? dit l'un d'eux.

Quel crime au tien fut jamais comparable?

reprend l'autre. Vous savez les vers suivants, où ils vomissent tour à tour les injures les plus atroces dignes enfants de cet Atrée, qui, pour se venger de son frère, médite un châtiment dont il n'y eut point d'exemple.

Aujourd'hui par un trait inouï, plein d'horreur,
Je cherche à lui porter la rage dans le cœur.

Quel fut ce trait inouï? Vous l'allez apprendre de Thyeste.

As-tu pu m'inviter, frère impie, inhumain, A manger mes enfants égorgés de ta main? Jusqu'où, en effet, la colère ne va-t-elle pas? Elle devient fureur. Aussi dit-on d'un homme en colère, qu'il ne se possède plus : ce qui signifie qu'il n'écoute plus la raison; car la raison nous rend maîtres de nous, et c'est par elle qu'on se possède. On est obligé d'ôter de devant les yeux d'un homme irrité les personnes à qui il en veut ; et on attend qu'il se soit remis. Or qu'estce que se remettre, si ce n'est faire que les parties de l'âme, qui venaient d'être dérangées, se retrouvent dans leur état naturel? On prie, on conjure cet homme irrité de suspendre un peu sa vengeance, et de n'agir point dans les premiers bouillons de sa colère. Or ces bouillons, qu'estce autre chose qu'un feu violent qui s'est allumé dans le cœur, au mépris de la raison? Vous savez, à ce sujet, le bon mot d'Archytas, qui, étant irrité contre son fermier, comme je te traiterais, lui dit-il, si je n'étais pas en colère!

Quis homo te exsuperavit usquam gentium impudentia?
Quis autem malitia te?

Nosti quæ sequuntur: alternis enim versibus intorquentur inter fratres gravissimæ contumeliæ : ut facile appareat Atrei filios esse, ejus qui meditatur pœnam in fratrem

novam :

Major mihi moles, majus miscendum malum,
Qui illius acerbum cor contundam et comprimam.
Quæ igitur hæ erunt moles? audi Thyestem ipsum :

Impius hortatur me frater, ut meos malis miser
Manderem natos.

Eorum viscera apponit. Quid enim est, quo non progrediatur ira? eo demum, quo furor. Itaque iratos proprie dicimus exisse de potestate, id est, de consilio, de ratione, de mente: horum enim potestas in totum animum esse debet. His aut subtrahendi sunt ei, in quos impetum conantur facere, dum se ipsi colligant (quid est autem se ipsum colligere, nisi dissipatas animi partes rursum in suum lo. cum cogere?) aut rogandi orandique sunt, ut, si quam habent ulciscendi vim, differant in tempus aliud, dum defervescat ira. Defervescere autem certe significat ardorem animi invita ratione excitatum : ex quo illud laudatur Archytæ: qui cum villico factus esse iratior; Quo te modo, inquit, accepissem, nisi iratus essem?

XXXVII. Où sont-ils maintenant ces philosophes qui nous donnent la colère pour un présent de la nature, et présent utile? Peut-il être utile à l'homme d'être hors de son bon sens? Un mou

vement, que la raison désavoue, peut-il venir de la nature? Mais d'ailleurs, si la colère est naturelle, pourquoi un homme y est-il plus enclin qu'un autre? Pourquoi ce désir de se venger cesse-t-il avant que de s'être satisfait? Pourquoi se repent-on d'avoir agi par colère? Témoin Alexandre, qui eut tant de regret d'avoir tué son ami Clitus, que peu s'en fallut qu'il ne se tuât lui-même. Hésiterons-nous, cela étant, à mettre cette passion au rang de toutes les autres, et par conséquent à la regarder comme un mouvement déréglé, qui vient absolument de nous et de nos fausses opinions: ni plus ni moins que l'ambition et l'avarice, dont l'unique source est dans le préjugé qui nous en fait estimer mal à propos les objets? Un homme vraiment éclairé, et qui jamais ne juge légèrement, se conserve une fermeté, une assurance, que rien n'ébranle. Mais, où cette assurance n'est pas, il s'y trouve au contraire une incertitude affreuse, qui perpétuellement nous promène de l'espérance à la crainte et de la crainte à l'espérance. Penser juste, c'est ce qui fait l'égalité de l'âme. Penser faux, c'est ce qui la trouble. Quand on dit qu'il y a des gens portés naturellement, ou à la colère, ou à la pitié, ou à l'envie, ou à quelque autre passion, cela signifie que la constitution de leur âme, si j'ose ainsi parler, n'est pas bien saine : mais l'exemple de Socrate nous prouve qu'elle n'est pas incurable. Zopyre, qui se donnait pour un habile

XXXVII. Ubi sunt ergo isti, qui iracundiam utilem dicunt? potest utilis esse insania? Aut naturalem? an quidquam esse potest secundum naturam, quod sit repugnante ratione? Quo modo autem, si naturalis esset ira; aut alius alio magis iracundus esset? aut finem haberet, priusquam esset ulta, ulciscendi libido? aut quemquam pœniteret, quod fecisset per iram? ut Alexandrum regem videmus, qui cum interemisset Clitum familiarem suum, vix a se manus abstinuit: tanta vis fuit pœnitendi. Quibus cognitis, quis est qui dubitet, quin hic quoque motus animi sit totus opinabilis, ac voluntarius? Quis enim dubitarit, quin ægrotationes animi, qualis est avaritia, gloriæ cupiditas, ex eo, quod magni æstimetur ea res ex qua animus ægrotat, oriantur? Unde intelli i debet, perturbationem quoque omnem esse in opinione. Et, si fidentia, id est, firma animi confisio, scientia quædam est et opinio gravis, non temere assentiens: diffidentia quoque est metus exspec. tati et impendentis mali. Et, si spes est exspectatio boni, mali exspectationem esse necesse est metum. Ut igitur metus, sic reliquæ perturbationes sunt in malo. Ergo ut constantia, scientiæ; sic perturbatio, erroris est. Qui autem natura dicuntur iracundi, aut misericordes, aut invidi, aut tale quid, ii sunt ejusmodi constituti quasi mala valetudine animi; sanabiles tamen ut de Socrate dicitur. Cum multa in conventu vitia collegisset in eum Zopyrus, qui se naturam cujusque ex forma perspicere profitebatur;

physionomiste, l'ayant examiné devant une nom-, breuse compagnie, fit le dénombrement des vices qu'il découvrait en lui: et chacun se prit à rire, car on ne voyait rien de tout cela dans Socrate. H sauva l'honneur de Zopyre, en déclarant que véritablement il était porté à tous ces vices, mais qu'il s'en était guéri avec le secours de la raison. Quelque penchant qu'on ait donc pour tel ou tel vice, on est cependant maître de s'en garantir: de même qu'on peut, quoique né avec des dispositions à certaines maladies, jouir d'une bonne santé. A l'égard des vices qui viennent purement de notre faute, et non d'un penchant naturel, ne les imputons qu'à nos préjugés, qui nous font prendre pour des biens ou pour des maux ce qui n'en est pas. La différence des préjugés fait la diversité des passions. Quelles qu'elles soient, ne les laissons point vieillir: car il en est des maladies de l'âme comme de celles du corps une tumeur qui vient seulement de se former à l'œil est bien plus tôt guérie qu'une fluxion invétérée.

XXXVIII. Puisqu'il est donc bien prouvé que nos passions viennent toutes de nos préjugés, et n'ont d'empire sur nous qu'autant que nous le voulons, il est temps de finir cette dispute. Après avoir vu, aussi évidemment que l'homme est capable de le voir, en quoi consistent les vrais biens et les vrais maux, nous ne pouvions rien examiner de plus important, ni de plus utile, que ce qui nous a occupés depuis quatre jours. J'ai commencé par montrer qu'il fallait mépriser la mort et souffrir patiemment la douleur. J'ai cherché ensuite à vous armer contre le chagrin, qui est de tous nos maux le plus affreux. Car, quoique toute passion soit redoutable, et ne s'é

derisus est a cæteris, qui illa in Socrate vitia non agnoscerent ab ipso autem Socrate sublevatus, cum illa sibi signa, sed ratione a se dejecta diceret. Ergo ut optima quis. que valetudine affectus potest videri; at natura ad aliquem morbum proclivior: sic animus alius ad alia vitia propensior. Qui autem non natura, sed culpa vitiosi esse dicuntur, eorum vitia constant e falsis opinionibus rerum bonarum ac malarum, ut sit alius ad alios motus perturbationesque proclivior. Inveteratio autem, ut in corporibus, ægrius depellitur quam perturbatio; citiusque repentinus oculorum tumor sanatur, quam diuturna lippitudo depellitur.

XXXVIII. Sed cognita jam causa perturbationum, quæ omnes oriuntur ex judiciis opinionum et voluntatibus, sit jam hujus disputationis modus. Scire autem nos oportet, cognitis, quoad possunt ab homine cognosci, bonorum et malorum finibus, nihil a philosophia posse aut majus aut utilius optari, quam hæc quæ a nobis hoc quatriduo disputata sunt. Morte enim contempta, et dolore ad patiendum levato; adjunximus sedationem ægritudinis; qua nullum homini malum majus est. Etsi enim omnis animi perturbatio gravis est, nec multum differt ab amentia: tamen ita cæteros, cuin sint in aliqua perturbatione aut metus, aut lætitiæ, aut cupiditatis, commotos modo

loigne pas fort de la folie, il y a pourtant cette différence entre la crainte, la joie, la cupidité et la tristesse, que les trois premières nous troublent, et nous dérangent; mais que la dernière nous consterne, nous tourmente, nous rend misérables. Ainsi ce n'est point par hasard, c'est avec raison, que vous attachant d'abord à la tristesse, comme au plus grand de nos maux, vous m'avez proposé d'en traiter séparément, et avant que de toucher au reste des passions. Pour les guérir toutes, de quelque nature qu'elles soient, ressouvenons-nous qu'elles sont l'ouvrage de nos préjugés, qu'elles dépendent de notre volonté, et qu'on ne les reçoit dans son cœur que parce qu'on croit bien faire. Tout notre mal vient d'un aveuglement dont la philosophie nous promet le remède souverain. Adressons-nous donc à elle pour être instruits, et souffrons qu'elle opère notre guérison; puisque les passions, tant qu'elles dominent en nous, non-seulement mettent obstacle à notre bonheur, mais sont de vraies maladies. Ou la raison, qui est le principe de tout bien, nous paraît inutile; ou la philosophie étant l'assemblage de tout ce que la raison enseigne de plus parfait, nous devons attendre d'elle tous les secours dont nous avons besoin pour bien vivre, et pour être heureux.

LIVRE CINQUIÈME.

DE LA VERTU.

Qu'elle suffit pour vivre heureux.

I. Voici, mon cher Brutus, notre cinquième et dernière conférence de Tusculum. J'y ai soutenu cette proposition, Que la vertu seule suffit à

et perturbatos dicere solemus at eos, qui se ægritudini dediderunt, miseros, afflictos, ærumnosos, calamitosos. Itaque non fortuito factum videtur, sed a te ratione propositum; ut separatim de ægritudine, et de cæteris perturbationibus disputaremus: in ea est enim fons miseriarum et caput. Sed et ægritudinis et reliquorum animi morborum una sanatio est, omnes opinabiles esse, et voluntarios; ea reque suscipi, quod ita rectum esse videatur. Hunc errorem, quasi radicem malorum omnium, stirpitus philosophia se extracturam pollicetur : demus ergo nos huic excolendos, patiamurque nos sanari : his enim malis insidentibus, non modo beati, sed ne sani quidem esse possumus. Aut igitur negemus quidquam ratione confici, cum contra nihil sine ratione recte fieri possit; aut, cum philosophia ex rationum collatione constet, ab ea, si et boni et beati volumus esse, omnia adjumenta et auxilia petamus bene beateque vivendi.

LIBER QUINTUS.

Virtutem ad beate vivendum se ipsa esse contentam. I. Quintus hic dies, Brute, finem faciet Tusculanarum disputationum : quo die est a nobis ea de re, quam tu ex

l'homme pour le rendre heureux, et je l'ai sou- | firmités de son associé, n'ait de plus ses propres maladies et ses douleurs particulières? Mais je reviens de cette idée, quand je considère que ce qui me fait juger mal des forces de la vertu, ce n'est point la vertu même, c'est la faiblesse des hommes, et peut-être la mienne propre. Car si la vertu est quelque chose de réel, comme l'exemple du grand Caton votre oncle ne permet pas d'en douter, je conçois que rien de ce qui est possible, et indépendant d'elle, n'est capable de la toucher, et qu'à l'exception de ce qui est faute, elle regarde tout le reste comme nul. Au lieu que nous autres, qui par de folles alarmes prévenons les maux à venir, et aggravons les présents par un lâche abattement, nous aimons mieux en accuser la nature que de nous donner le tort.

tenue d'autant plus volontiers, que c'est votre thèse favorite; car l'excellent traité de la Vertu, que vous m'avez adressé, et divers entretiens que nous avons eus ensemble sur ce point, m'ont fait assez connaître combien vous étiez pénétré de cette belle maxime. Quoiqu'il semble difficile de se la persuader, à cause de la variété et de la multitude des traverses de la fortune, elle est néanmoins de telle importance, qu'on doit faire toutes sortes d'efforts pour en convaincre les esprits; c'est ce que la philosophie nous enseigne de plus grand et de plus essentiel. Les premiers hommes, qui se sont appliqués à cette science, étudièrent préférablement à toute autre chose l'art de vivre heureux : et il n'y a que l'espérance d'y parvenir qui les ait portés à faire tant de recherches. Si c'est eux qui nous ont fait connaître la vertu ; et si le secours de la vertu nous suffit pour vivre heureux; combien sont-ils louables d'avoir philosophé, et nous, de les imiter? Que si au contraire la vertu soumise aux divers accidents de la vie, est, pour ainsi dire, aux ordres du sort, sans avoir la force de se garantir de ses coups, j'ai bien peur qu'au lieu de tout attendre d'elle, il ne nous reste pour appui de notre bonheur que des vœux stériles et impuissants. Pour moi, en repassant dans mon esprit les revers qui m'ont si violemment exercé, je serais d'abord tenté de me défier un peu de votre sentiment, par la connaissance que j'ai de la faiblesse et de la fragilité humaine. Puisque la nature nous a donné un corps infirme, sujet à des maladies incurables et à d'insupportables souffrances, n'est-il pas à craindre que notre âme, en participant aux in-suivre en partie tes leçons, nous nous y livrons

omnibus maxime probas, disputatum. Placere enim tibi admodum sensi et ex eo libro, quem ad me accuratissime scripsisti, et ex multis sermonibus tuis, virtutem ad beate vivendum se ipsa esse contentam. Quod etsi difficile est probatu, propter tam varia et tam multa tormenta fortunæ tale tamen est, ut elaborandum sit, quo facilius probetur. Nihil est enim omnium, quæ in philosophia tractantur, quod gravius, magnificentiusque dicatur. Nam cum ea causa impulerit eos, qui primi se ad philosophiæ studium contulerunt, ut omnibus rebus posthabitis, totos se in optimo vitæ statu exquirendo collocarent: profecto spe beate vivendi tantam in eo studio curam, operamque posuerunt. Quod si ab iis inventa et perfecta virtus est, et si præsidii ad beate vivendum in virtute satis est: quis est, qui non præclare et ab illis positam, et a nobis susceptam operam philosophandi arbitretur? Sin autem virtus subjecta sub varios incertosque casus famula fortunæ est, nec tantarum virium est, ut se ipsa tueatur, vereor ne non tam virtutis fiducia nitendum nobis ad spem beate vivendi, quam vota facienda videantur. Equidem eos casus, in quibus me fortuna vehementer exercuit, mecum ipse considerans, huic incipio sententia diffidere; interdum et humani generis imbecillitatem, fragilitatemque extimes cere. Vereor enim, ne natura cum corpora nobis infirma dedisset, iisque et morbos insanabiles et dolores intole

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II. Pour nous guérir de cette erreur, et de tant d'autres, recourons à la philosophie. Entraîné autrefois dans son sein par mon inclination, mais ayant depuis abandonné son port tranquille, je m'y suis enfin venu réfugier, après avoir essuyé la plus horrible tempête. Philosophie, seule capable de nous guider! ô toi qui enseignes la vertu, et qui domptes le vice! que ferions-nous, et que deviendrait le genre humain sans ton secours? C'est toi qui as enfanté les villes, pour faire vivre en société les hommes, auparavant dispersés. C'est toi qui les as unis, premièrement par la proximité du domicile, ensuite par les liens du mariage, et enfin par la conformité du langage et de l'écriture. Tu as inventé les lois, formé les mœurs, établi une police. Tu seras notre asile; c'est à ton aide que nous recourons; et si dans d'autres temps nous nous sommes contentés de

rabiles adjunxisset, animos quoque dederit et corporum doloribus congruentes, et separatim suis angoribus et molestiis implicatos. Sed in hoc me ipse castigo, quod, ex aliorum, et ex nostra fortasse mollitia, non ex ipsa virtute de virtutis robore existimo. Illa enim, si modo est ulla virtus (quam dubitationem avunculus tuus, Brute, sustulit): omnia, quæ cadere in hominem possunt, subter se habet, eaque despiciens, casus cont mnit humanos : culpaque omni carens, præter se ipsam nihil censet ad se pertinere. Nos autem omnia adversa tum venientia metu augentes, tum morore præsentia, rerum naturam, quam errorem nostrum, damnare malumus.

II. Sed et hujus culpæ, et cæterorum vitiorum, peccatorumque nostrorum omnis a philosophia petenda correctio est: cujus in sinum cum a primis temporibus ætatis, nostra voluntas studiumque nos compulisset, his gravissimis casibus in eumdem portum, ex quo eramus egressi, magna jactati tempestate confugimus. O vitæ Philosophia dux! o virtutis indagatrix, expultrixque vitiorum! quid non modo nos, sed omnino vita hominum sine te esse potuisset? Tu urbes peperisti: tu dissipatos homines in societatem vitæ convocasti; tu eos inter se primo domiciliis, deinde conjugiis, tum literarum, et vocum communione junxisti: tu inventrix legum, tu magistra morum et disciplinæ fuisti: ad te confugimus, a te opem petimus: tibi nos, ut antea

aujourd'hui tout entiers, et sans réserve. Un seul jour, passé suivant tes préceptes, est préférable à l'immortalité de quiconque s'en écarte. Quelle autre puissance implorerions-nous plutôt que la tienne, qui nous a procuré la tranquillité de la vie, et qui nous a rassurés sur la crainte de la mort? On est bien éloigné, cependant, de rendre à la philosophie l'hommage qui lui est dû. Presque tous les hommes la négligent plusieurs l'atta- | quent même. Attaquer celle à qui l'on doit la vie, quelqu'un ose-t-il donc se souiller de ce parricide? Porte-t-on l'ingratitude au point d'outrager un maître qu'on devrait au moins respecter, quand même on n'aurait pas trop été capable de comprendre ses leçons? J'attribue cette horreur à ce que les ignorants ne peuvent, au travers des ténèbres qui les aveuglent, pénétrer dans l'antiquité la plus reculée, pour y voir que les premiers fondateurs des sociétés humaines ont été des philosophes. Quant au nom, il est moderne; mais pour la chose même, nous voyons quelle est très-ancienne.

III. Car qui peut nier que la sagesse n'ait été connue anciennement, et déjà nommée de ce beau nom, par où l'on entend la connaissance des choses, soit divines, soit humaines; de leur origine, de leur nature? Voilà ce qui fit autrefois donner le nom de sages à ces sept Grecs si fameux. Plusieurs siècles auparavant, Rome n'étant pas encore, il avait été donné à Lycurgue, contemporain d'Homère, et plus anciennement encore à Ulysse, et à Nestor, dans les temps héroïques. D'ailleurs, quand on a dit qu'Atlas portait le ciel sur ses épaules, que Prométhée avait été attaché sur le Caucase, et que tant Céphée, que

magna ex parte, sic nunc penitus, totosque tradimus. Est autem unus dies bene, et ex præceptis tuis actus, peccanti immortalitati anteponendus. Cujus igitur potius opibus utamur, quam tuis? quæ et vitæ tranquillitatem largita nobis es, et terrorem mortis sustulisti. At philosophia quidem tantum abest, ut, perinde ac de hominum est vita merita, laudetur, ut a plerisque neglecta, a multis etiam vituperetur. Vituperare quisquam vitæ parentem, et hoc parricidio se inquinare audet! et tam impie ingratus esse, ut cam accuset, quam vereri deberet, etiam si minus percipere potuisset? Sed, ut opinor, hic error, et hæc indoctorum animis offusa caligo est, quod tam longe retro respicere non possunt, nec eos, a quibus vita hominum instructa primo sit, fuisse philosophos arbitrantur : quam rem anfiquissimam cum videamus, nomen tamen esse confitemur

recens.

III. Nam sapientiam quidem ipsam quis negare potest, non modo re esse antiquam, verum etiam nomine? quæ divinarum, humanarumque rerum, tuin initiorum, causarumque cujusque rei cognitione hoc pulcherrimum nomen apud antiquos assequebatur. Itaque et illos septem, qui a Græcis coçol, sapientes a nostris et habebantur, et nominabantur, et multis ante seculis Lycurgum, cujus temporibus Homerus etiam fuisse ante hanc urbem conditam traditur, etiam heroicis ætatibus Ulyssem, et Nestorem

sa femme, son gendre et sa fille, brillaient au nombre des astres; quelle raison aurait pu donner cours à ces opinions, si la science divine de l'astronomie, qui avait fait admirer ces grands personnages, n'eût servi de prétexte à ceux qui ont imaginé ces fables? Par la même raison, sans doute, tous ceux qui se sont attachés depuis aux sciences contemplatives, ont été tenus pour Sages, et ont été nommés tels, jusques au temps de Pythagore, qui mit le premier en vogue le nom de philosophes. Héraclide de Pont, disciple de Platon, et très-habile homme lui-même, en raconte ainsi l'histoire. Un jour, dit-il, Léon, roi des Phliasiens, entendit Pythagore discourir sur certains points avec tant de savoir et d'éloquence, que ce prince, saisi d'admiration, lui demanda quel était donc l'art, dont il faisait profession? A quoi Pythagore répondit, qu'il n'en savait aucun; mais qu'il était philosophe. Et sur ce que le roi, surpris de la nouveauté de ce nom, le pria de lui dire, qui étaient donc les philosophes, et en quoi ils différaient des autres hommes; « Il en est, répondit Pythagore, de ce monde, et du commerce de la vie, comme de « ces grandes assemblées, qui se tiennent parmi « nous à l'occasion des jeux publics. On sait que dans le concours de ceux qui s'y rendent, il y « a des gens qui n'y sont attirés que par l'envie << de se distinguer dans les exercices du corps, << et d'y mériter la couronne; d'autres, qui n'y << sont conduits que par l'espoir d'y faire quelque profit, en vendant ou en achetant des mar«chandises; d'autres encore, qui, pensant plus « noblement, n'y vont chercher ni profits, ni applaudissements, mais songent uniquement

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accepimus et fuisse, et habitos esse sapientes. Nec vero Atlas sustinere cœlum, nec Prometheus affixus Caucaso, nec stellatus Cepheus cum uxore, genero, filia traderetur, nisi cœlestium divina cognitio nomen eorum ad errorem fabulæ traduxisset. A quibus ducti deinceps omnes, qui in rerum contemplatione studia ponebant, sapientes et habebantur, et nominabantur : idque eorum nomen usque ad Pythagoræ manavit ætatem: quem, ut scribit auditor Platonis Ponticus Heraclides, vir doctus in primis, Phliuntem ferunt venisse, eumque cum Leonte principe Phliasiorum docte et copiose disseruisse quædam : cujus ingenium et eloquentiam cum admiratus esset Leon, quæsivisse ex eo qua maxime arte confideret. At illum, artem quidem se scire nullam, sed esse philosophum : admiratum Leontem novitatem nominis, quæsisse, quinam essent philosophi, et quid inter eos, et reliquos, interesset : Pythagoram autem respondisse, similem sibi videri vitam hominum, et mercatum eum, qui haberetur maximo ludorum apparatu, totius Græciæ celebritate. Nam ut illic alii corporibus exercitatis gloriam, et nobilitatem coronæ peterent; alii emendi, aut vendendi quæstu, et lucro ducerentur; esset autem quoddam genus eorum, idque vel maxime ingenuum, qui nec plausum, nec lucrum quærerent, sed visendi causa venirent, studioseque perspicerent, quid ageretur, et quo modo: item nos quasi in mercatus quamdam

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