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tenant, tout en conservant les lignes générales de ce grand tableau arrêtées d'une main si ferme par ces génies supérieurs, il nous faut pénétrer plus profondément dans le détail de la constitution et de la société romaine, pour chercher dans les institutions mêmes le vice secret qui fit périr l'arbre par le cœur.

«La puissance législative, l'abolition des dettes, « les lois agraires, le partage des magistratures, telles « furent les causes des dissensions perpétuelles du << peuple et du sénat romain (1). » C'est en ces termes qu'Appien commence l'histoire des guerres civiles; telles furent en effet les premières querelles qui agitèrent la république. Les deux ordres passèrent trois siècles à se disputer le pouvoir. Mais à l'époque à laquelle Appien ouvre son récit, c'est-à-dire au tribunat de Tiberius Gracchus, le peuple avait conquis la puissance législative et le droit de conférer les magistratures à tous les citoyens sans distinction d'origine. Seules, les lois agraires et l'abolition des dettes étaient restées, et ces causes de trouble remuèrent jusqu'à la fin la république; ce fut la guerre des pauvres contre les riches. Ajoutez les agitations qu'excitèrent les malversations et les brigues des magistrats, agitations qui se traduisirent en révolutions continuelles des lois et des tribunaux criminels, et qui furent comme la maladie intérieure qui emporta la république; joignez enfin la querelle du droit de cité qui fut la guerre de l'Italie soulevée contre le despotisme de Rome, et vous aurez les causes immédiates de la décadence romaine, trois causes qui reparaissent dans tous les projets et dans toutes les promesses des tribuns et des ambitieux.

(1) Appien, Guerre civile, 1, 1. Pwμaíos ó dñμos xai ʼn Boulin πολλάκις ἐς ἀλλήλους περί τε νόμων θέσεως, καὶ χρεῶν ἀποκοπῆς, ἡ γῆς διαδατουμένης, ἢ ἐν ἀρχαιρεσίαις ἐστασίασαν.

La concentration du sol en un petit nombre de mains et la culture par les esclaves perdirent Rome en détruisant la classe moyenne qui avait fait la force des légions et conquis l'empire du monde. Rome, appauvrie du plus pur de son sang, se trouva sans résistance contre l'Italie révoltée (1); sa faiblesse intérieure ne fut pas moins grande. Avant que Rome ne se répandît au dehors de l'Italie, la classe moyenne, nombreuse, dévouée au pays, sans ambition personnelle, avait fait la grandeur de la cité, en dispensant avec justice les commandements, en votant les lois les plus sages, en tenant en bride les magistrats par une exacte et sévère responsabilité; mais, au septième siècle, cette classe disparue laissa en présence une aristocratie démesurément riche et corrompue, et une populace à la merci du premier ambitieux qui voulut acheter un suffrage ou l'impunité. Avec une telle organisation sociale, le gouvernement républicain n'était plus possible; la constitution ne fut plus qu'un mensonge, et les garanties politiques, comme les jugements, une arme aux mains des partis. La mauvaise distribution de la richesse, cette ingens cupido agros continuandi (2), fut la cause principale de la ruine romaine, celle qui compliqua et rendit inutiles toutes les réformes. Ce qu'il fallait à Rome pour la sauver, c'était une réforme sociale; toute autre mesure n'était qu'un palliatif insuffisant; un changement dans les institutions ne pouvait rien sur ce mal profond et invétéré. Aussi reparut-il sous l'empire avec une énergie nouvelle; la concentration du sol dépeupla l'Italie, les provinces, le monde entier. Latifundia perdidere Italiam, jam et provincias: ce mot célèbre de Pline restera dans

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l'histoire comme l'arrêt de mort de la société romaine.

Quel que fut leur mérite ou leur justice, les lois qui conféraient aux alliés le droit de cité portaient un coup fatal à l'aristocratie romaine, en substituant l'Italie tout entière aux droits de cette poignée de privilégiés qui disposaient des dépouilles du monde; elles pouvaient fonder l'ère d'une politique nouvelle, mais elles anéantissaient l'ancienne constitution. Le sénat, ce cœur de l'aristocratie, comprit dès le premier jour que communiquer un aussi précieux privilége, c'était abdiquer, et que du moment où l'Italie serait admise dans le Forum, le monde entier entrerait à la suite de l'Italie par la.brèche qu'on aurait imprudemment ouverte. La pénétration du sénat donne le secret de sa résistance, et cette résistance eût réussi peut-être s'il n'y avait eu dans l'État un vice caché qui perdit tout. Battus dans les combats, ce fut dans Rome même que les Italiens triomphèrent, grâce aux partis qui, pour assurer leur prépondérance par le vote des lois ou des jugements, ouvrirent aux alliés les portes de la cité (1). Rome, comme son dernier citoyen, se déchira les entrailles de ses propres mains. Le monde gagna peut-être à cette révolution qui, plus que tout autre changement politique, rendit nécessaire le commandement d'un seul : l'empire fut un bienfait pour les provinciaux, et adoucit l'intolérable oppression de ce petit nombre d'aristocrates qui se partageaient l'univers comme une proie à dévorer. Mais (et c'est sur ce point seul que j'insiste) l'Italie une fois admise au droit de cité, la république n'exista plus que de nom; le gouvernement par les comices fut im

(1) Appien, Guerre civ. 1, 23, 64,

possible, et de cette admirable constitution qui avait fait d'une poignée de soldats les maîtres du monde, les derniers vestiges furent pour jamais anéantis.

La cause de cette incurable faiblesse qui livra Rome désarmée à l'Italie, et plus tard mit la ville et le monde entre les mains d'un maître, ce fut, comme je l'ai déjà dit, le développement exclusif de l'aristocratie et l'affaiblissement des classes moyennes. Cette noblesse nouvelle, qui grandit et s'éleva dans les guerres que Rome entreprit hors de l'Italie, détruisit par sa prépondérance l'équilibre de la constitution. Le gouvernement de Rome était tout municipal, fait pour une cité et non pour un empire. A l'intérieur, tout était prévu et combiné pour que les pouvoirs et les magistratures se balançassent. Les comices ne pouvaient rien sans l'autorité du sénat (1) qui, de son côté, avait besoin du vote populaire dans les décisions de quelque importance. Les magistratures se tenaient en échec les unes par les autres; chaque officier public, tout-puissant pour arrêter les entreprises de ses collègues, restait désarmé devant leur véto. La sphère d'action, immense en droit, était en fait des plus limitées, puisque chaque magistrat, dès qu'il voulait agir, rencontrait l'opposition de ses supérieurs, de ses égaux, et enfin des tribuns, ces gardiens jaloux des libertés publiques. Or, devant cette résistance tombait toute entreprise; car c'était à Rome une maxime constitutionnelle, que le veto devait toujours l'emporter (2). De là un grand esprit de suite dans l'admi

(1) Livius, 1, 17; vı, 42; vını, 12.- Cic. Brutus, 55; Pro Plancio, 8.- Carl Peter, Die Epochen der Verfassungsgeschichte der roemischen Republik. Leipzig, 1841, p. 15 et suiv.

(2) Appien, Guerre civ. 1, 12. Καὶ ἦν ἀεὶ παρὰ Ρωμαίοις ὁ κολύων δυνατώτερος,

nistration. Comme toute nouveauté était d'une réalisation difficile, on s'efforçait toujours de suivre les précédents, d'agir comme avaient fait les ancêtres, more majorum. De là, dans toutes les réformes, une suite de transactions et de concessions mutuelles qui sauvaient ces brusques révolutions dans les lois, toujours dangereuses pour les pays libres; de là, enfin, chez les magistrats une modération constante, une déférence très-grande pour le sénat et pour le peuple, et un amour sincère pour les institutions immuables de la ville éternelle.

Cet équilibre dans les pouvoirs et dans les magistratures, qui demanderait à être étudié plus exactement qu'on ne l'a fait jusqu'à ce jour, cet équilibre fut détruit par les conquêtes, et voici com

ment:

Les Romains, ce peuple si bien organisé pour la guerre, avaient compris que pour agir au dehors il fallait un pouvoir unique, un commandement absolu. Or, cette unité de commandement, ce despotisme militaire, était incompatible avec les formes républicaines et les garanties de la liberté; car qui dit garantie pour les citoyens dit gêne, obstacle, empêchement pour les magistrats. Rien de plus opposé que le com mandement d'un chef d'armée et l'indépendance d'un citoyen; rien de plus difficile dans une démocratie que d'organiser fortement le pouvoir militaire sans porter atteinte aux libertés publiques. Les Romains avaient essayé de parer à ce danger par un expédient singulier. Rome et sa banlieue constituaient, à proprement parler, la république; dans ces étroites limites le peuple était souverain, et il exerçait la souveraineté non par délégation, mais par action directe; c'était lui qui décidait en dernier ressort de la paix ou de la guerre, nommait à toutes

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