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A côté de Sigonius, je place volontiers un vieux jurisconsulte français trop oublié, quoique M. Dupin l'ait plusieurs fois signalé à l'attention des criminalistes, et qui mériterait bien l'honneur d'une édition nouvelle. C'est Pierre Ayrault, d'abord avocat au parlement de Paris, puis lieutenant criminel au siége présidial d'Angers, homme de cœur plutôt qu'homme d'érudition, et qui essayait de tromper par ses études sur l'antiquité les cruels loisirs que lui faisaient les guerres civiles. Son livre intitulé : l'Ordre, formalité et Instruction judiciaire dont les anciens Grecs et Romains ont usé ès accusations publiques, conféré au stil et usage de notre France (1), est bon à mettre dans les mains de tout homme qui prétend faire une étude sérieuse de la législation criminelle. Ayrault est bien loin, sans doute, de l'érudition de Sigonius; l'antiquité n'est pour lui qu'une source d'exemples, et il mêle avec trop de facilité et les temps et les lieux; mais, dans ses réflexions, que de justesse et de fondeur! Quel sentiment naïf du génie républicain! Quel amour de la liberté et de l'humanité! Quelles comparaisons vivement senties du système romain, si libre, si grand, si favorable à l'accusé, et du système français, si perfide, si inquisitorial, si injuste, emprunt honteux des mauvaises pratiques italiennes! Qui mieux que lui a défendu la publicité, la défense orale, les droits de l'accusé sur les témoins, toutes questions qui, à la honte de l'humanité, se débattent encore aujourd'hui dans les pays les plus civilisés de l'Europe?

(1) Paris, 1588; in-4°, 1610; Lyon, in-4°, 1640.

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Le livre d'Ayrault fut malheureusement sans influence sur notre législation criminelle; il n'exerça pas une action plus grande sur l'érudition; c'est la destinée commune des oeuvres dans lesquelles la politique passe avant la philologie; et aujourd'hui même, dans l'école, Heineccius tient plus de place que Montesquieu. Ayrault fut peu lu par les savants, éblouis par l'œuvre de Sigonius, dont l'autorité fut si grande qu'elle empêcha l'attention des érudits de se porter sur un sujet qu'on regardait comme épuisé. D'ailleurs le xvr' siècle fini, on vit s'arrêter par toute l'Europe ce mouvement des esprits qu'avaient éveillé les querelles de religion et les guerres civiles; la vie politique des Romains, avec ses agitations de la place publique, ses luttes judiciaires, ses combats du Forum, était si loin de la vie monarchique du xvi° siècle, qu'il semblait que nul intérêt ne pût s'attacher à l'histoire de cette époque étrange. Les seuls savants qui s'occupèrent avec succès du droit criminel, et firent avancer la science, furent les commentateurs de Cicéron, qui, pour expliquer toutes les défenses et les accusations du grand orateur, se firent républicains par amour de l'érudition, et pénétrèrent quelquefois plus loin que Sigonius dans les ténèbres de la constitution et de la législation romaines.

Déjà, dans le xvi° siècle, Paul Manuce et Hotoman ne s'étaient pas rendus moins célèbres par leurs travaux sur Cicéron que par leurs propres écrits (1); mais le plus remarquable de ces commentateurs, au

(1) On lit encore avec fruit les traités de Paul Manuce De Legibus et De Senatu, souvent réimprimés, et les Antiquités romaines d'Hotoman (dans le 3o vol. de ses OEuvres).

point de vue qui nous intéresse, c'est l'Italien Ferratius, qui, dans six livres de lettres écrites de 1696 à 1710, a examiné la plupart des questions de droit criminel que soulèvent les plaidoyers et les discours de Cicéron (1). Un grand sens, de la netteté, de la finesse, caractérisent Ferratius; sa critique est saine et modérée; la plupart de ses objections contre Sigonius sont fondées, et les solutions qu'il présente sont probables. Néanmoins cet auteur ne jouit point de la juste estime qu'il mérite; Beaufort est presque le seul qui se soit servi de ce bon livre. Aussi le résumé qu'il a fait de Sigonius et de Ferratius estil ce que nous possédons de mieux et de plus complet dans notre langue sur le droit criminel des Romains, et Beaufort, qui a fait ce résumé avec intelligence, a-t-il été souvent et fidèlement traduit par des savants étrangers qui ont oublié de prononcer son nom? Le plagiat est malheureusement de tous les pays.

Après Ferratius, il faut citer honorablement Ernesti, dont les Index ne sont pas sans mérite, quoique dépassés de bien loin aujourd'hui par le travail de Baiter et d'Orelli; Desjardins, dont les notes et les dissertations sur les Verrines (2) ne peuvent, sans doute, soutenir la comparaison avec le travail de

(1) M. Ant. Ferratii Epistolarum libri vi, in quibus omnia fere quæ in orationibus M. Tullii dubia occurrunt polemice illustrantur. Venise, 1737, in-4°.

(2) M. Tullii Ciceronis Orationes, notis et dissertationibus illustravit Nic. Desjardins, rhetorica professor emeritus; Paris, 1738. Le premier volume, qui contient les Or. pro Quintio, pro Roscio, et les Verrines, a seul paru. Il a été reproduit en partie dans l'édition de Lemaire; Paris, 1827.

Zumpt (1), mais cependant se recommandent par une richesse historique trop dédaignée aujourd'hui par certains philologues qui semblent mettre toute leur gloire à amonceler, en guise de commentaires, les fautes d'orthographe de tous les manuscrits connus. Enfin, en descendant jusqu'à notre époque, il faut étudier ce qu'ont écrit Garaton (2), en Italie; V. Leclerc (3) et Burnouf (4), en France; Orelli, Classen (5), Wunder (6), Osenbruggen (7); Keller (8), en Allemagne ; c'est bien certainement dans ces œuvres éparses que sont enfouis les matériaux les plus importants pour la restitution de ce grand édifice de la législation romaine.

Les commentateurs de Cicéron m'ont un peu éloigné des œuvres systématiques sur le droit criminel des Romains; j'y reviens maintenant.

(1) Zumpt, M. T. Ciceronis Verrinarum libri vii; Berlin, 1831, in-8°.

(2) M. T. Ciceronis Opera, cum notis variorum; Naples,

1777-1788.

(3) OEuvres complètes de Cicéron, traduites en français avec 'le texte en regard, par J. Victor Leclerc; Paris, 1821-25, 30 vol. in-8°; 2e édit. 1823-27, 36 vol. in-18.

(4) Burnouf, Les Catilinaires et le Dialogue sur les Orateurs illustres de Cicéron; Paris, 1826. Les notes de Tacite, traduites par le même auteur, ont aussi une certaine valeur.

(5) Classen, Cic. Or. pro Cluentio Habito; Bonn, 1831. On ne lira pas sans intérêt la Disputatio juridico-litteraria de Van Assen sur le même plaidoyer; Harlem, 1809.

(6) Ed. Wunderus, Ad Orat. pro Cn. Plancio; Lips., 1830. (7) Osenbruggen, In Milonianam; Lips., 1841. In Orat. pro Roscio Amerino; Brunsvick, 1844.

(8) Keller, Semestrium ad M. T. Ciceronem libri sex; Zurich, 1842-43. Les deux premiers livres seuls parus contiennent les plaidoyers Pro Quintio et Pro Cacinna.

A la fin du dernier siècle, l'attention des savants, éveillée sans doute par le livre de Montesquieu, se porta sur cette question, et il parut à la fois, en Allemagne et en Italie, plusieurs écrits sur le droit criminel des Romains, tels que celui de Madihn (1), de Malblanc (2), de Sachse (3), de Heyne (4) et d'Invernizzi (5); de tous ces écrits je ne connais que la dissertation de Heyne; le livre d'Invernizzi est une rareté bibliographique. Quant aux autres, à en juger par leur influence sur les travaux de l'Allemagne moderne, ils n'ont qu'une assez médiocre valeur. Je n'en dirai pas autant de Pilati de Tassulo qui, dans son Traité des Lois politiques des Romains (6), a consacré un chapitre aux lois criminelles. Dans ce passage, comme dans tout le livre de Pilati, il y a de l'originalité et des vues ingénieuses. On désirerait seulement une érudition un peu plus solide.

C'est de nos jours seulement qu'on a senti la nécessité de reprendre sur des bases nouvelles l'œuvre de Sigonius, et qu'on s'est mis à étudier sérieusement le droit criminel des Romains. L'Allemagne (car, notre grande honte, dès qu'il s'agit d'érudition il faut

à

(1) Vicissitudines cognitionum criminalium apud Romanos usque ad Cæsarum tempora; Hala, 1772.

(2) Conspectus rei judiciaria rom. germanica; Nuremberg,

1797.

(3) Fris. Saxii Diss. de ordine judiciorum publicorum apud Romanos; Traj. ad Rhen., 1784, in-4°.

(4) De judiciorum ratione et ordine apud Romanos et Græcos ; Gott., 1788. Opusc., t. IV, p. 49-90.

(5) Ph. Invernizzi, De publicis et criminalibus judiciis libri ; Romæ, 1787, in-4°

(6) La Haye, 1780; 2 vol. in-8°.

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