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Puis de nouveau il lui posa la même question. Thrasyllus finit par répondre qu'il n'en savait rien, mais que, quel qu'en fût l'auteur, ces vers étaient excellents: réponse dont éclata de rire Auguste, qui en plaisanta longtemps.

Quelque savoir cependant que l'élève d'Areus et d'Apollodore eût acquis en ce qui concerne le grec, il est certain qu'il ne le sut jamais assez pour le parler avec le talent qu'y montrèrent Cicéron, Atticus et plusieurs autres. Nous pouvons nous en rapporter là-dessus à Suétone, qui affirme qu'il ne parla jamais le grec avec une facilité parfaite, qu'il ne se hasarda jamais à produire un discours, une composition quelconque en cette langue. Lorsque même les circonstances exigeaient, comme cela lui arriva à Alexandrie, qu'il émît en grec un édit, une proclamation, une harangue, il écrivait en latin ce qu'il avait à dire, le faisait exactement traduire par un autre et n'émettait publiquement que cette traduction de son œuvre personnelle. Sa prudence d'ailleurs était telle en toutes choses, que nous ne devons pas nous étonner outre mesure d'une habitude qui, après tout, tint peut-être plus à un calcul qu'à une véritable inhabileté.

Quant à sa manière de parler et de composer en latin, nous l'expliquerons plus loin en montrant ce qu'il fut comme orateur et comme écrivain. Pour le moment, qu'il nous suffise d'avoir indiqué comment, depuis ses premières années jusqu'au temps de son séjour à Apollonie, il eut constamment auprès de lui les maîtres choisis comme les meilleurs par sa mère Atia et par J. César; combien une telle instruction était de nature à développer en lui le goût des lettres et plus tard le désir d'en favoriser à Rome l'épanouissement.

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III

Ce fut à Apollonie qu'Octave apprit le meurtre de son oncle. Il n'avait pas encore tout à fait dix-neuf ans; mais les légions de Macédoine, aux travaux desquelles il prenait part et qu'il avait réussi déjà à s'attacher, lui demandèrent aussitôt de marcher sous ses ordres. Salvidienus, dont César avait fait un de ses principaux officiers, lui conseillait d'accepter leur offre. Marcus Vipsanius Agrippa, son ami d'étude, qui n'était guère plus âgé que lui et dont l'esprit viril se portait avec décision aux résolutions les plus tranchantes, le lui disait aussi. Mais Octave, avec sa réserve et sa prudence naturelles, ne voulut pas accomplir un acte qui l'eût mis tout d'abord en guerre ouverte avec le Sénat. Il aima mieux partir sans troupes pour l'Italie, où il apprit, en débarquant au petit port de Lupia, la scène des funérailles et les décrets du Sénat relatifs au testament. Sans retard il décida de prendre le nom de son père adoptif et de s'appeler désormais Octavianus Cæsar. Atia, dit-on', et Philippus, son beau-père, qui ne le voyaient pas sans crainte hériter, si jeune, d'un nom et d'une fortune en butte aux plus violentes passions, lui conseillaient de renoncer à ce dangereux héritage. Mais il leur résista. Quand César, objecta-t-il à Philippus, m'a cru digne de porter son nom, ne serait-ce pas un sacrilège de m'en croire moi-même indigne ? Et pour répondre à sa mère, il usa de l'érudition dont elle l'avait munie: il lui cita les vers du XVIIe chant de l'Iliade, où Achille repousse les prières de Thétis en préférant la gloire d'une belle mort, fùt-elle rapide, à la honte de ne pas accomplir la

(1) Vell. Paterc., Hist. rom., II, 60.

(2) Appien, Bell. civ., III, 13.

vengeance due aux mânes de celui qui lui était si cher:

Αὐτίκα τεθναίην, ἐπεὶ οὐκ ἄρ ̓ ἔμελλον ἑταίρῳ
Κτεινομένῳ ἐπαμῦναι...1

Il se rendit à Rome, non sans avoir en route rendu visite à Cicéron, à qui il témoigna tous les égards possibles en lui donnant à croire qu'il se laisserait tout à fait conduire. par lui; et, dès son arrivée, il se présenta devant le préteur pour notifier régulièrement son acceptation du testament dont il promit ensuite au peuple assemblé d'exécuter tous les legs.

3

Je n'ai plus à retracer ici les événements qui se succédèrent depuis son arrivée à Rome jusqu'à la formation du triumvirat dans lequel il s'unit à Antoine et à Lépide. J'ai dit ailleurs comment Cicéron crut pouvoir, contrairement à l'avis de M. Brutus, s'appuyer sur lui pour combattre Antoine; comment, avec le titre de propréteur, il reçut du Sénat l'imperium et un pouvoir égal à celui des deux consuls en charge, Hirtius et Pansa, pour se joindre à eux dans la direction des armées chargées de délivrer Décimus Brutus assiégé dans Modène; à quel point, à l'heure de la victoire, la mort simultanée des deux consuls favorisa son ambition, puisqu'on le soupçonna d'y avoir contribué par quelque crime; avec quelle hardiesse ensuite, mécontent du Sénat qui eût voulu lui enlever tout commandement, il rentra dans Rome à la tête de huit légions et se fit donner par l'assemblée du peuple le pouvoir consulaire; quelle habileté consommée, enfin, il déploya dans ses pourparlers

(1) Iliad., ch. XVIII, v. 98 sqq.

(2) Cicéron écrivait alors à Atticus: « Modo venit Octavius, mihi totus deditus...» (Epist., XIV, 11) et encore : « Nobiscum perhonorifice et amice Octavius. (Epist., XIV, 12.)

(3) Voir la biographie de Cicéron qui forme tout le premier chapitre du livre V de la première partie de cette histoire et, au chapitre III du livre VI, l'analyse des lettres de Cicéron et de Brutus,

avec Lépide pour se faire un allié d'Antoine lui-même et contracter avec eux deux cette union scélérate que scella le plus horrible des forfaits.

Je n'ai pas eu, à la vérité, l'occasion de noter l'opiniâtreté avec laquelle, malgré les soucis et les travaux d'une vie si tourmentée, il s'appliqua constamment à l'étude des lettres. Les historiens rapportent1 que, même au plus fort de la guerre de Modène, il trouvait chaque jour quelques moments à consacrer à la lecture, à la composition ou à la déclamation. Cette application, je le sais bien, ne pouvait surpasser ni celle qu'avait montrée César en écrivant des poésies, des livres d'histoire, voire des traités de grammaire durant ses campagnes les plus pénibles, ni celle de Cicéron qui, au milieu de sa lutte contre Antoine, terminait son magnifique traité des Devoirs; mais, si l'on songe à l'âge qu'avait Octave, on la trouvera bien surprenante. Il faut avouer d'ailleurs que, si tant de travail n'avait jamais rien dû produire que des œuvres semblables à celle qui inaugura le triumvirat, on serait en droit de regretter une instruction mise avec une si habile perfidie au service d'une cause criminelle. Vous avez vu, en effet, par l'analyse qui a été donnée de l'édit de proscription des triumvirs, que cette proclamation n'a pu être écrite ni par Lépide ni par Antoine, qu'elle est bien de la composition d'Octave, et que, toute d'hypocrisie et de froide cruauté, elle est, avec ses raisons spécieuses et ses cauteleuses précautions, l'œuvre d'un orateur très savant en l'art de donner à un forfait sanguinaire les apparences de la justice et même de la clé

mence.

Sa cruauté dépassa celle de ses complices. Lorsque Lépide crut le moment venu de mettre fin aux meurtres, il n'eut pas honte de déclarer au Sénat que, quant à lui, il ne cesserait pas de proscrire tant qu'il croirait avoir à le faire 3.

(1) Suét., Oct. Aug., 84.

(2) 1re partic, liv. VII, ch. 1, 5.

(3) Suét., Oct. Aug., 27.

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Parti avec Antoine pour combattre en Macécoine l'armée du parti républicain, commandée par Brutus et Cassius, lorsqu'elle eut été défaite dans les plaines de Philippes, il se montra encore sans pitié envers les vaincus, et comme Antoine était disposé à ensevelir honorablement Brutus, il fit décapiter le cadavre et expédier la tête à Rome avec ordre de la déposer aux pieds de l'image de César 1. Enfin, lorsque l'impérieuse Fulvie, irritée de la répudiation de sa fille Claudia, eut excité cette guerre où le consul Lucius Antonius, père du triumvir, réussit à s'emparer de Rome. et n'en fut chassé que par Agrippa, qui le contraignit à se réfugier dans la forte place de Pérouse et finalement à la livrer avec ses malheureux habitants, la vengeance d'Octave s'exerça de nouveau par un massacre épouvantable : au milieu de saturnales de sang, les magistrats de la ville et trois cents chevaliers ou sénateurs, dit-on 3, furent égorgés par ses ordres devant un autel élevé à celui dont les ides de mars avaient fait un dieu.

A ces actes de violence, dans lesquels il trouvait un moyen facile de se débarrasser successivement de tous ceux qu'il jugeait pouvoir dans l'avenir faire obstacle à son élévation, il avait soin de donner toujours le caractère d'un devoir accompli, d'un hommage rendu à la mémoire de son oncle. Aux heures mêmes où il semblait céder à l'emportement, l'atroce cruauté, dont il se rendit si souvent coupable en cette partie de sa carrière politique, ne s'exerçait pas sans calcul, son habileté ne l'abandonnait jamais.

Elle était mise parfois à une rude épreuve. Un peu avant la guerre de Pérouse sa situation fut des plus critiques. Il avait distribué de l'argent et des terres aux légionnaires et aux vétérans. Mais les habitants réclamaient des indemni

(1) Dion, XLVII, 49.

(2) Claudia, que Fulvic avait euc de Clodius, était à peine nubile, lorsque, les légions d'Octave et d'Antoine réclamant une alliance entre leurs chefs, Octave avait consenti à l'épouser. I la répudia encore vierge. Suét., Oct. Aug., 62.

(3) Suét., Oct. Aug., 25.

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