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un modèle inabordable. Lui-même semble en avoir eu le sentiment. Loin de chercher à lutter avec le poète dont l'admirable sincérité d'accent avait rendu avec tant de vivacité, de force et de pathéthique, les souffrances de la femme torturée par toutes les ardeurs de l'amour, il laisse de côté ce qu'il y a de vivant et de réel dans le récit passionné fait par la magicienne à la divine Séléné après l'accomplissement du sacrifice et il se borne à la description de la cérémonie magique. Mieux eût valu ne pas encourir une comparaison qui, en s'imposant, devait forcément, quelque mérite qu'eût le chant d'Alphésibée, tourner au détriment de son auteur.

VIII

ÉGLOGUE I. MÉLIBÉE ET TITYRE.- Aucun risque de ce genre avec la pièce qui, mise en tête du recueil pour le motif que j'ai indiqué', ne vint que la huitième par ordre de composition. C'est un poème pastoral absolument virgilien. Si le style ne peut point ne pas s'y ressentir de la longue étude que le poète a faite des Idylles, il est impossible d'y relever aucune imitation directe, et ceux qui l'ont essayé n'ont réussi qu'à noter quelques concordances d'expressions insignifiantes dues au hasard beaucoup plus, sans doute, qu'à une réminiscence. Déjà, dans l'Eglogue IV, dont le sujet était particulièrement original, il avait montré une grande indépendance, quoique lié dans une certaine mesure par les traditions mythologiques de l'âge d'or; mais, cette fois, il use d'une liberté complète; et son originalité a d'autant plus d'intérêt pour nous qu'elle se porte

(1) Page 217.

sur les faits contemporains et sur un des événements lesplus importants de sa propre vie. La scène se passe dans sa propriété d'Andes, sous les vieux hètres, à l'endroit où sa prairie descendant en pente douce aboutissait aux eaux dépendant du Mincio.

Mélibée, dépossédé de son patrimoine lors du partage des terres aux vétérans et partant pour l'exil avec son troupeau de chèvres, rencontre Tityre qui, assis à l'ombred'un hétre, joue tranquillement de ses pipeaux rustiques. Il s'étonne de le voir si heureux quand tout le monde, comme lui-même, est frappé par le malheur. Tityre lui répond qu'il doit son bonheur à un dieu dont il ne négligera jamais le culte. Sans lui porter envie, Mélibée ne peut s'empêcher, en face de cette félicité, de s'apitoyer de nouveau sur son propre sort, qu'il eût dû, hélas! prévoir depuis longtemps, prévenu comme il l'avait été par de mauvais présages, et il lui demande quel est ce dieu qui l'a protégé (v. 1-18). Tityre, pour le lui dire, commence le récit d'un voyage qu'il a fait à Rome, cette ville grandiose qui produit à qui ne l'a point vue encore une impression sans pareille. Mais quel motif avais-tu de la voir? interroge l'autre. Le désir d'être libre, réplique Tityre, qui entre alors dans la confidence de ses affaires personnelles. Grâce à l'économie de sa chère Amaryllis, si peu semblable en cela à Galatée qui dépensait tout ce qu'il gagnait, il avait pu enfin amasser quelque pécule et songer, sur le tard, à aller réclamer le rachat de sa liberté. Mélibée s'explique maintenant l'aspect de tristesse qu'avait pris un moment la propriété; cette absence en était la cause. Oui, mais elle était nécessaire, et Tityre raconte comment il a vu à Rome le jeune héros, son sauveur, qui lui a dit de faire paître ses boeufs, d'atteler ses taureaux comme par le passé. «< Heureux vieillard! ainsi tes champs te resteront! » s'écrie Mélibée.

Fortunate senex! ergo tua rura manebunt.
v. 46.

Et, par le tableau des charmes que présente le domaine de Tityre, il lui dit combien grande doit être sa joie de n'en être pas dépossédé. Aussi, répond l'heureux propriétaire, en revenant sur l'idée qu'il a exprimée dès le début et en donnant à l'expression de sa reconnaissance une simplicité plus naturelle dans le dernier vers que dans les quatre premiers, << jamais les traits de mon bienfaiteur ne s'effaceront de ma mémoire ». A cette conclusion, Mélibée joint la sienne. Au bonheur dont va jouir son voisin, il oppose les douleurs de l'exil auquel lui-même se voit condamné avec tant d'autres. Il s'attendrit en pensant à la chaumière qu'il ne verra peut-être plus jamais, aux champs qu'il avait si bien soignés et que la cruauté des guerres civiles fait passer aux mains d'un soldat brutal; il prend en pitié lui et son cher troupeau qui ne retrouveront nulle part ailleurs les choses qu'ils aimaient tant au pays natal'. Et il se retire; l'invitation que lui adresse Tityre de passer la nuit chez lui ne sera pas acceptée; l'ombre qui s'allonge en descendant du sommet de la montagne ne peut que précipiter son départ,

Majoresque cadunt altis de montibus umbræ.

v. 83.

Il y a dans Tityre bien des particularités qu'on ne saurait appliquer à Virgile: par exemple, l'âge du personnage qui est un vieillard; son état d'esclave qui le force à aller à Rome pour y racheter sa liberté ; sa liaison d'abord avec Galatée, la dépensière, puis avec Amaryllis, la femme économe. Le poète avait besoin de mettre en présence les deux interlocuteurs d'un poème pastoral, il les a créés en l'état infime où ils devaient être, mais en leur appliquant une allégorie transparente pour tout le monde. Il revenait d'obtenir d'Octave le privilège d'être maintenu en possession de sa propriété, alors que tous ses voisins étaient bru

(1) Je donne tout ce passage à l'Appendice, cc1.

talement expulsés; il représenta ceux-ci en Mélibée et il préta à Tityre sa situation privilégiée en lui faisant exprimer les sentiments de reconnaissance qu'il éprouvait pour son bienfaiteur. C'est à nous de reconnaître dans ses personnages la part de la fiction et celle de la vérité. Ce qui est vrai, c'est le bonheur ressenti par lui-même, qui peut, comme par le passé, ainsi que le dépeint Mélibée (v. 51-58), jouir d'un doux repos, dans la fraîcheur de ses eaux et de ses arbres, bercé par le chant des vignerons, le bourdonnement des abeilles et le roucoulement des ramiers; c'est la gratitude profonde qu'il voue à son sauveur; c'est aussi la douleur des malheureux qui, privés de leurs biens, s'en vont en exil.

On lui a reproché d'avoir donné aux témoignages de sa reconnaissance une forme exagérée et de n'avoir pas mis dans la bouche de Tityre les paroles de compassion que méritaient les Transpadans dépouillés. Il y a, en effet, dans la promesse que fait Tityre de rendre désormais à Octave le culte qu'on réserve aux dieux quelque chose qui blesse nos idées à nous. Mais, ne l'oublions pas, telles n'étaient pas celles des Romains qui venaient d'établir la divinité de César et qui n'allaient pas tarder à associer le culte d'Octave, de son vivant, à celui de leurs dieux Lares. Et la seconde partie du reproche est absolument imméritée. Si, dans cette Églogue, qui est adressée à Octave lui-même, Tityre ne prononce aucun mot qui puisse, par une sorte de blame, diminuer l'expression de son dévouement, à côté de lui n'y a-t-il pas Mélibée qui se charge de parler au nom des Transpadans et d'appeler sur eux la compassion? Pouvait-on imaginer rien de plus osé que ces plaintes si pathétiques que fait entendre le malheureux pâtre en déplorant les calamités de la guerre civile et le rapt de sa terre en faveur d'un soldat inhumain? En vérité, ce qui me frappe le plus dans cet ensemble, c'est non pas l'adulation du remerciement, mais bien le courage qu'il y avait à y joindre le cri de détresse de tous ceux qui ne partageaient pas le bonheur du privilégié. L'énergie de la protestation des

victimes est au moins égale à celle des actions de grâces de celui qui était épargné. Le poète me semble avoir rempli son devoir, tout son devoir.

IX

ÉGLOGUE IX. MOERIS. Nous avons vu, dans la biographie de Virgile, combien fragile et éphémère fut sa sécurité. Les vétérans, loin de Rome, en ces temps de trouble, étaient parfois plus puissants que ceux à qui Rome obéissait et qui, pour les guerres futures, avaient tout à craindre de leur mécontentement. Les bonnes paroles d'Octave, qui lui avaient inspiré tant de confiance, ne produisirent pas l'effet sur lequel il comptait. Ceux qui, dans le partage des terres, venaient d'acquérir un droit sur sa propriété non moins que sur les propriétés voisines, élevèrent contre lui leurs revendications. Il fallut engager, soutenir des procès; et, un jour, le centurion Arrius, qu'excitait un pareil débat, l'eût certainement tué si, pour échapper à son glaive, il ne s'était précipité dans les eaux du Mincio qu'il traversa à la nage. Il fit toutes les concessions que lui commandait son salut et se réfugia à Rome. Mais il semble bien qu'en ce moment même il ne désespérait pas encore de revenir bientôt en maître dans son domaine. Du moins tenta-t-il de nouvelles démarches pour atteindre ce résultat, et la neuvième Eglogue ne fut évidemment composée qu'à cette intention. Pour comprendre le but et la pensée de ce petit poème bucolique, il suffit de savoir que le Ménalcas dont il y est question du commencement jusqu'à la fin n'est autre que Virgile lui-même.

Deux bergers, l'un àgé, du nom de Moris, l'autre beaucoup plus jeune, Lycidas, se rendant en même temps à Mantoue, se sont rencontrés sur la route et s'y dirigent ensemble. Moris, ancien fermier de Ménalcas, qui vient

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