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trois, la plus humaine, la plus parfaite. Et puis ne craignez pas que les sentiments personnels l'enserrent dans le cercle étroit d'un égoïsme qui ne lui permettrait de se laisser toucher que par son intérêt ou celui de ses intimes; il a pitié des malheureux et sait, non sans courage, faire entendre leurs gémissements et leurs protestations aux plus puissants; il aime sa patrie, dont il admire la grandeur et qu'il voudrait voir à jamais délivrée des maux de la guerre; il embrasse en ses voeux l'humanité entière à laquelle, dans un élan d'enthousiasme, il prédit une ère nouvelle qui sera celle de la justice et du bonheur universels.

A l'égard de la nature d'ailleurs, dans toutes ses Églogues indistinctement, à quelque genre qu'elles appartiennent, sa sensibilité est telle que, non content de comprendre à merveille tout ce qui se passe en elle, il l'associe constamment aux joies et aux douleurs de l'homme, dont il lui fait en quelque sorte partager lá vie. Non seulement nul mieux que lui ne décrit, par exemple, l'heure du soir, où, sous les derniers rayons du soleil, son regard suit l'ombre qui s'étend sur la montagne, et les boeufs, qui reviennent à pas lents vers la ferme; non seulement il connait, dans la nature animée, les bêtes, les arbres, les plantes et les fleurs par leurs noms et par leurs qualités comme des êtres qui lui sont chers; mais à tous il prête les sentiments de l'âme humaine; si Tityre délaisse pour un temps sa demeure, aussitôt les pins, les fontaines, les arbustes pleurent son absence et le rappellent :

Ipsæ te, Tityre, pinus,

Ipsi te fontes, ipsa hæc arbusta vocabant ;

Eclog., I, 38-39.

Si Gallus se désespère, les monts, les rochers, les lauriers, les bruyères, non moins que les hommes et les dieux, déplorent son sort, et ses brebis l'entourent en compatissant

à sa peine; car, dit-il, elles ne restent pas insensibles à

nos maux,

Stant et oves circum, nostri nec pænitet illas.
Eclog., X, 16.

Aussi avec quelle sincérité fait-il l'éloge de cette vie des. champs qu'il préfère à tous les plaisirs de la ville! Et avec quel accent de vérité dépeint-il le malheur de ceux qui se trouvent enlevés tout à coup aux charmes des lieux champêtres, habités et aimés depuis longtemps! Grâce à sa sensibilité, Virgile, malgré le travail d'imitation auquel il se livre, est déjà, dans ses Eglogues, un véritable poète, et, ne resterait-il de lui que ce recueil, il mériterait d'être classé au nombre de ceux qui doivent être le mieux étudiés.

Cependant, plus on avance dans l'étude de ces petites compositions, plus on s'aperçoit de l'impatience qui le prenait de sortir d'un genre de poésie qui ne répondait plus aux besoins de son génie. Tantôt il parle du plaisir qu'il éprouvera plus tard à chanter les hauts faits d'un héros, tantôt il s'exerce à résumer une doctrine philosophique, tantôt enfin, sans sortir du cadre qu'il s'impose encore, il écrit une véritable élégie. On sent qu'il se cherche une voie nouvelle. Il a désormais la certitude de s'être fait une langue, un style, une versification dont les qualités ne l'abandonneront plus', et il peut prendre une décision

(1) Je parlerai de sa langue et de sa versification lorsque j'aurai terminé l'analyse des Géorgiques et de l'Énéide. Notons seulement ici l'erreur que Gebauer, O. Ribbeck et H. Kolster ont commise en s'efforçant de diviser en strophes toutes les Églogues indistinctement. Parce qu'elles présentent, comme toutes les autres œuvres de Virgile d'ailleurs, des périodes poétiques régulièrement pondérées, il ne s'ensuit pas qu'il faille y chercher les divisions savamment combinées que ces érudits se sont ingéniés à représenter par des figures algébriques. Il ne faut voir, croyons-nous, d'arrangement absolument symétrique que dans celles des Églogues où se trouvent des chants alternés; et c'est ce que nous avons remarqué à mesure qu'ils se sont présentés. Ailleurs, on n'arrive au résultat cherché que par le moyen d'hypothèses qui se contredisent souvent et en recourant à toutes sortes de

conforme à ses goûts. Le même amour de la campagne, qui l'a porté tout d'abord vers le poème pastoral, va le porter vers celle des poésies didactiques qui enseigne les travaux rustiques; à l'étude littéraire, au travail de pur agrément va succéder l'œuvre utile, ayant un but moral et social et qui, tout en donnant satisfaction à ses aspirations personnelles, répondra aux vues politiques de ses puissants protecteurs 1.

procédés difficiles à admettre, tels que suppression de vers, supposition de lacunes, altération du texte des manuscrits. Cf. Conington, De Verg. mar. etc.. t. I. p. 44; E. Benoist, Euv. de Virg., t. 1, p. 4; Waltz, Les Bucol., p. 35.

(1) Pour les motifs qui l'incitèrent à écrire les Géorgiques, voir plus haut, p. 224.

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CHAPITRE IV

LES GEORGIQUES.

1. Nombreuses lectures qui ont servi à Virgile pour la préparation de ses Géorgiques. Imitations fréquentes, mais qui ne nuisent nullement à son originalité en empruntant aux uns et aux autres la poésie et les documents du passé, il s'assimile le tout dans une œuvre bien personnelle.-11. Simplicité du plan deux parties, traitant, la première, du règne végétal, la deuxième, du règne animal; chaque partie composée de deux livres; et chacun des quatre livres renfermant deux divisions. III. Analyse du livre premier: 10 travaux des champs considérés en eux-mêmes; 2o examen du calendrier et des signes qui doivent en régler l'exécution. Introduction, épisode et morceaux principaux.-IV. Livre deuxième : 1o notions générales sur les diverses espèces d'arbres et sur les sols qui leur conviennent; 2o culture de la vigne et accessoirement des autres arbres. Habileté d'exécution qui donne et de l'attrait et une unité parfaite aux préceptes les plus techniques et les plus variés de l'arboriculture. Beauté particulière de certains morceaux. V. Livre troisième, qui, comme le premier, commence par une introduction importante. Les deux divisions sont : 1o l'élevage du gros bětail; 20 celui des brebis, des chèvres et des chiens. Importance de l'épisode sur le fléau qui détruit les troupeaux et richesse de ce livre en développements poétiques. VI. Livre quatrième, sur l'apiculture: 1o mœurs des abeilles et formation de leurs ruches; 20 récolte de leur miel et soins à prendre, soit pour les défendre contre leurs ennemis, soit pour renouveler leurs ruches détruites. Les derniers préceptes donnent matière au rappel de la belle fable d'Aristée; appréciation de ce grand épisode final.—- VII. Observations d'ensemble. Soin qu'a pris Virgile de ne pas s'astreindre à tout dire. Précision de son enseignement. Agrément qu'il y a répandu. Perfection du style et goût exquis de la forme. Profondeur de la pensée, qui n'est point philosophique à la manière de Lucrèce, mais qui est pieuse. Charme que répand sur tout le poème la sensib.lité du poète. Patriotisme ardent qui l'animait. Vive admiration des contemporains, bien méritée.

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I

Il avait fallu que Virgile se préparât aux Géorgiques par des lectures spéciales. Les connaissances personnelles qu'il avait acquises par son expérience de la vie rustique étaient

grandes; mais il ne pouvait paraitre ignorer ce qui avait été écrit avant lui, soit en vers, soit en prose, sur la matière qu'il se proposait de traiter, et beaucoup d'écrivains déjà s'étaient occupés du même sujet; il n'était pas mauvais non plus qu'il se rendît compte des qualités que d'autres avaient déployées dans le genre de poésie qu'il allait aborder.

Certes, il ne laissait pas que d'avoir lu depuis longtemps, presque au même titre que l'Iliade et l'Odyssée, toutes les poésies du vieil Hesiode', Les Travaux et les Jours, la Théogonie, le Bouclier d'Héraclès, les divers petits poèmes didactiques, généalogiques et épiques qui lui sont attribués. Mais il avait dû revenir avec soin sur l'étude de la première de ces œuvres. Les Travaux et les Jours, en effet, dont l'ensemble se compose de quatre parties bien distinctes (1o une exhortation au travail, 2° des conseils sur l'agriculture, suivis de quelques avis sur la navigation, 3° des préceptes de morale à l'usage des habitants de la campagne, 4o une sorte de calendrier marquant les jours favorables pour telle ou telle chose), l'intéressaient maintenant au plus haut point, au moins dans deux de ces parties, la deuxième et la quatrième. La deuxième surtout avait trait à son sujet. Là, Hésiode, après avoir démontré aux paysans la nécessité de la tâche qui leur incombe (v. 384-404) et leur avoir adressé des instructions générales sur l'installation agricole, sur la confection des instruments de culture et sur le choix des serviteurs (405-447), procède à l'énumération des soins auxquels ils doivent se livrer dans le cours d'une année. C'est par l'automne, c'est-à-dire par le labour et les semailles, d'où dépend le reste, qu'il commence (448-492). Il indique ensuite, pour l'hiver, qui

(1) Voir, sur Hésiode, MM. A. et M. Croiset, Hist. de la Littér, grecque, 2 éd., tom. 1, pp. 447-548, et particulièrement en ce qui concerne Les Tra vaux et les Jours, pp. 439-505.

(2) La quatrième partie, Les Jours, comprend 62 vers et commence au vers 765.

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