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Hanc olim veteres vitam coluere Sabini,
Hanc Remus et frater, sic fortis Etruria crevit
Scilicet et rerum facta est pulcherrima Roma,
Septemque una sibi muro circumdedit arces.
II, 532-535.

Les mœurs dégénérées, les guerres civiles l'ont fait négliger; il importe de la relever, de rendre aux citoyens l'estime d'un art si fécond en richesses comme en héros. Pour cela il faut que les victoires d'Auguste finissent d'affermir la paix du monde; il faut que le respect des dieux ramène l'ordre dans les mœurs. Aussi fait-il du culte de la divinité la première règle de la vie et chante-t-il le triomphe de l'empereur comme le gage assuré de la fortune publique. Il nous semble bien parfois que les éloges décernés au chef de l'État prennent le ton de la courtisanerie; mais ils répondent aux sentiments de reconnaissance qu'éprouvaient presque unanimement les Romains qui, aspirant au relèvement définitif des ruines causées par les guerres civiles, confondaient dans les mêmes vœux la dynastie de César et la nation. Et tous ces morceaux sur les tristes résultats de la discorde, sur les triomphes d'où dépend la pacification de l'empire, sur le rôle glorieux de l'Italie et sur les destinées de Rome, loin d'être de vains hors-d'œuvre, sont l'essence même du poème qui est une œuvre nationale et dynastique. Pour nous, à vingt siècles d'intervalle, le caractère spécial des Géorgiques n'a plus qu'un intérêt historique bien éloigné, mais, si nous nous reportons dans le milieu qui les a vues paraître, nous reconnaissons combien le patriotisme qu'elles expriment devait impressionner les contemporains et ajouter pour eux à l'effet produit par les diverses et merveilleuses qualités de l'ouvrage.

En insistant sur celles-ci comme je viens de le faire, je ne crains pas d'être accusé d'exagération Virgile luimême, en mourant, ne considérait-il pas les Géorgiques comme la meilleure de ses œuvres et le plus beau monument de sa gloire? Il avait pourtant écrit la grande épo

pée de l'Énéide; mais il n'avait pas eu le temps d'y mettre la dernière main, de sorte qu'il se défiait du jugement que porterait sur elle la postérité, tandis qu'il avait achevé, poli et parfait dans ses moindres détails le poème que nous venons d'étudier et sur lequel il croyait pouvoir fonder l'espoir de son immortalité.

Nous allons voir d'ailleurs quelle erreur était la sienne, en condamnant au feu son Enéide, et quelle perte eût subie la littérature latine, si Auguste ne s'était pas opposé à l'exécution du testament qui en prescrivait la destruction.

CHAPITRE V

LES SIX PREMIERS LIVRES DE L'ÉNÉIDE.

I. La légende grecque d'Énée. Principe de cette légende dans Homère; caractère et mission du héros d'après l'Iliade; mission sensiblement modifiée par les successeurs d'Homère. Comment la légende grecque s'insinua chez les Romains en s'alliant aux traditions anciennes du pays latin, s'empara peu à peu des esprits, passa à l'état de croyance, fut rapportée par les premiers poètes épiques et adoptée par les historiens et les érudits. Motifs qu'avaient l'aristocratie et le peuple de Rome pour l'admettre. Intérêt puissant qu'y trouvait Auguste. Avantage que Virgile vit à la prendre pour sujet d'un poème qui devait être la glorification d'Auguste et de Rome, et réunir en lui seul une Odyssée et une Iliade latines. — II. Livre premier : Après une tempète suscitée par la colère de Junon, Énée, détourné de l'Italie, aborde sur les côtes de Lybie où règne Didon, qui lui fait un accueil hospitalier et, s'enflammant d'amour, lui demande le récit de ses malheurs. Remarques sur la description de la tempète, imitée d'Homère; sur le discours de Jupiter à Vénus, lequel est une des bases de l'Énéide; sur la situation du héros devant les peintures du temple de Carthage; sur le moyen employé par Vénus pour enflammer Didon, imité d'Apollonius de Rhodes. - Ill. Livre deuxième première partie du récit d'Énée, la ruine de Troie. Remarques sur l'histoire du cheval de bois, qui est loin d'avoir été inventée par Virgile; sur la conduite d'Enée lors du meurtre de Priam; sur son prétendu calme après la disparition de Créüse, son épouse. — IV. Livre troisième : dernière partie du récit d'Enée son départ de la Troade et ses pérégrinations jusqu'à son arrivée chez Didon. Épisodes moins pathétiques que dans le livre précédent; observations auxquelles ils donnent lieu. Intérêt tout particulier que ce livre présente aux archéologues.— V. Livre quatrième : l'amour de Didon. La peinture des progrès de sa passion est un modèle de perfection. L'entretien de Junon et de Vénus sur l'union d'Énée et de Didon ne répond pas tout à fait au ton de l'épopée; mais que de beautés dans les tableaux qui suivent scène de la chasse et de l'hymen; action de la Renommée; dernière entrevue de Didon et d'Énée; désespoir et mort de la reine. Remarques sur le développement du caractère du héros, sur l'analyse que fait Virgile de l'âme d'une amante, sur le soin qu'il prend de rattacher à son sujet, qui est Rome, 'les épisodes les plus capables d'en détourner l'attention. VI. Livre cinquième : les Troyens abordent en Sicile, où Énée sacrifie aux mànes de son père et célèbre des jeux en son honneur. Importance attachée par l'auteur à cette description, imitation très originale de celle

des jeux célébrés, dans l'Iliade, par Achille en l'honneur de Patrocle. Explication qui y est donnée de la généalogie de certaines grandes familles de Rome. La fin du livre (incendie d'une partie de la flotte, fondation d'une ville troyenne en Sicile, voyage d'Énée vers Cumes) montre également combien le poète s'attache à marquer dans ce passé lointain l'explication ou de faits qui devaient suivre ou de choses de son temps. VII. Livre sixième : descente d'Énée aux enfers sous la conduite de la sibylle. Dans des sacrifices, des cérémonies et des incidents préliminaires, Virgile se livre encore au même travail explicatif que dans le livre précédent. Mais, à l'entrée des enfers, pour lui comme pour le héros, l'instant est solennel il invoque les dieux, sentant combien hautes, combien graves sont les questions qu'il aborde. Analyse de ses peintures, de ses idées savantes et nobles, philosophiques et patriotiques. Dans son poème national, il est de tous les poètes anciens celui qui a le mieux préparé les esprits à la religion chrétienne.

I

Non seulement les craintes qu'avait conçues Virgile ne se réalisèrent pas; mais l'Énéide, malgré certaines parties visiblement non revues et inachevées, fut accueillie par les Romains avec un enthousiasme plus grand encore que les Géorgiques. C'est que, dans une langue poétique tout aussi belle, les convictions patriotiques et dynastiques, dont ils avaient été heureux de trouver l'expression en plusieurs passages du poème didactique, avaient pris une forme bien plus nette et plus grandiose. Une épopée nationale venait de naître, qui répondait à leurs aspirations et, consacrant le culte indivisible d'Auguste et de Rome, donnait pleine satisfaction à leur reconnaissance comme au légitime orgueil que leur inspiraient la domination maintenant incontestée du monde et l'éclat de toutes les gloires d'un long passé.

Mais comment Virgile a-t-il eu l'idée de prendre pour sujet d'un poème épique, qui devait être la glorification d'Auguste et de Rome, l'établissement du Troyen Énée dans le Latium, c'est-à-dire une légende concernant un

héros qui a vécu plus de quatre cents ans avant que Rome ait été fondée 1? Quel intérêt présentait la personne de ce héros pour en faire l'Achille ou l'Ulysse d'une Iliade ou d'une Odyssée latine? Telle est la première question qui se pose au début de toute étude un peu approfondie de l'Énéide.

Le rôle d'Énée, dans l'Iliade d'Homère, n'a pas l'importance de ceux de héros tels qu'Achille, Ajax, Diomède, Ulysse, Hector ou Sarpédon; mais il ne s'y présente pas non plus, sous une figure insignifiante, dans un état tout à fait obscur et secondaire. Il y paraît comme le personnage qui peut se vanter d'être issu de l'irréprochable Anchise et d'avoir Vénus pour mère : les Troyens n'ont pas seulement en lui un conseiller dont ils recherchent avec respect les avis; en maintes circonstances aussi ils recourent à sa bravoure, et lorsque, dans le V° chant, Mars leur parle de lui, il le leur désigne comme le « guerrier qu'ils honorent à l'égal du divin Hector » 2. Au chant V° de même, dans le moment où les Troyens en fuite sont poursuivis par les Grecs jusque sous leurs murs, Hélénus, celui des fils de Priam qui possède le mieux la science des augures, pour rétablir le combat, après s'être approché d'Énée et d'Hector, leur adresse à tous deux ces paroles : « Énée, et toi, Hector, c'est sur vous surtout, parmi les Troyens et les Lyciens, que repose cette tâche, parce que vous excellez dans toute entreprise, qu'il s'agisse de combattre ou de délibérer. Priam,à la vérité, qui semble craindre dans Énéc le chef futur de la branche cadette de la grande famille de

(1) Sur la légende d'Énée, voir : Preller, Römisch. Myth., p. 667 sq.; Schwegler, Röm. Gesch., 1, p. 279 sq. et p. 367 sq.; A. Scheben, De poetis Eneæ fugam atque fata describentibus, Münstereifel, 1828, in-4o; Wörner, Die Sage von den Wanderungen des Eneas, Leipzig, 1882; Sainte. Beuve, Étude sur Virgile, Paris, 1879, ch. IV et X, p. 109 sq.; Hild, La Légende d'Enée avant Virgile, Paris, 1883; G. Boissier, Nouvelles Promenades archéol., 2e éd., Paris, 1899, ch. II, S 1, p. 127 sq.

(2) Il., V, 467.

(3) I., VI, 77-79.

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