Immagini della pagina
PDF
ePub

commerce de devoirs réciproques et prend place à leurs fêtes de famille. Dans ses réceptions, il reçoit les gens du peuple et leur parle avec douceur'. La maison qu'il habite au Palatin est celle qui a appartenu à Hortensius; il l'agrandit pour qu'elle ne reste pas indigne de sa fortune; mais, en procédant à l'achat des terrains voisins, il a bien. soin de faire dire qu'il veut en consacrer une partie à des édifices religieux et qu'il travaille dans l'intérêt du public plus que pour lui; il y fait, en effet, élever ce temple d'Apollon Palatin, ces deux bibliothèques, l'une grecque et l'autre latine, dont vont parler si souvent les écrivains du temps, et devant la magnifience de ces constructions l'agrandissement de sa propre demeure s'accomplit presque sans qu'on s'en aperçoive 3. Il y vit très modestement. Les meubles et les objets à son usage n'y sont pas, pour la plupart, au niveau du luxe ordinaire. Il couche sur un lit fort bas et recouvert simplement. Les repas qu'il y offre fréquemment ne se composent que de trois mets, de six au plus dans les grandes occasions; et les autres jours, il se contente d'aliments communs, se nourrissant surtout de pain de ménage, de petits poissons, de fromage et de figues. Les vêtements qu'il porte sont faits le plus souvent par son épouse Livie qui rappelle, en les travaillant elle-même, les vertus des matrones d'autrefois. Toute sa manière de vivre, en un mot, est celle d'un simple particulier et les moindres détails de sa conduite s'accordent avec la forme qu'il entend laisser à son gouvernement. Le souvenir du meurtre de César lui inspire une telle horreur des titres de roi et de dictateur qu'il fait tout au monde pour écarter

(1) Un homme du peuple se montrant embarrassé pour lui remettre en mains propres une demande, il le plaisanta amicalement et lui reprocha de s'y prendre avec autant de précaution que s'il s'agissait de présenter une pièce de monnaie à un éléphant. Suét., Oct. Aug., 53.

(2) Il avait demeuré d'abord auprès du forum romanum, dans une maison qui avait appartenu à l'orateur Calvus.

(3) Cf. G. Boissier, Promenades archéologiques, ch. II, 1.

(4) Suét., Oct. Aug., 73-76.

des esprits la pensée de les lui donner, et l'appréhension qu'il éprouve, de se voir conférer par n'importe quel autre titre significatif l'évidence du pouvoir absolu, est si grande que le mot dominus lui-même, mot tant employé pourtant par simple politesse dans la conversation courante, suscite chez lui, lorsqu'on le lui applique, une réprobation absolue. Il ne souffre pas qu'on l'appelle ainsi dans sa maison, il défend même aux siens de se servir entre eux de ce terme de courtoisie, et il n'hésite pas, un jour, à flétrir par un édit une adulation du peuple qui, pendant une représentation théâtrale, s'est tourné vers lui en couvrant d'applaudissements unanimes cette apostrophe adressée par l'acteur à un personnage de la scène : « O dominum æquum el bonum ! O maître juste et bon ! >>

Mais s'il tient à ce que les Romains remarquent en lui la noble simplicité du concitoyen, détenteur légal des magistratures de la république, il ne tient pas moins à leur faire sentir les bienfaits de son gouvernement. Il n'a plus rien de commun avec ce cruel triumvir, plus acharné que ses collègues aux proscriptions et qui, après chaque victoire remportée sur les partisans des meurtriers de César, répétait aux suppliants: «Il faut mourir !» Il est devenu clément, généreux. En fermant le temple de Janus, resté ouvert si longtemps, il semble, à partir de son retour à Rome, deux ans après la bataille d'Actium, avoir promis, avec le pardon de ses ennemis, la paix, la sécurité, le bonheur de tous. Comme si son triomphe définitif avait fait de lui un autre homme, il ose tout de suite, par un acte public, renier son passé et en prononcer lui-même la condamnation, en édictant la suppression de toutes les ordonnances triumvirales. Et bientôt, pour mieux témoigner encore qu'il se sépare tout à fait de sa vie d'autrefois, il cherche un nouveau nom qui puisse couvrir et faire oublier celui d'Octave sur lequel ce passé trop condamnable n'appelle point la sympathie. On

(1) Suét., Oct. Aug., 53.

(2) A cette date les meurtriers de César avaient péri tous, y compris le poète Cassius de Parme qu'il avait fait égorger dans sa retraite.

lui propose d'abord celui de Romulus, qui le ferait regarder comme le second fondateur de Rome; mais ce nom de roi fait dieu par une fin violente lui paraît d'un mauvais augure; il préfère le nom d'Auguste que l'habile Munatius Plancus suggère au Sénat. Emprunté à la langue sacerdotale, ce terme désignait, dans les vieux rituels, les temples consacrés selon les rites'; le Sénat, en le lui décernant, semble donc, comme dit Florus, « vouloir lui donner de son vivant même un avant-goût de l'apothéose qui lui est réservée»; et lui, en s'investissant par cette dénomination d'une sorte d'autorité divine, prend l'engagement moral de répandre autour de lui tout le bien que doit aux hommes le représentant des dieux sur la terre.

Le premier de ses bienfaits est la paix intérieure dont tout le monde alors est affamé. Déjà, au temps de Lucrèce, on la réclamait, et le poète, bien qu'il fit profession de nier l'action des dieux, trouvait dans son patriotisme une prière ardente pour supplier la déesse mère des Romains, l'aimable et douce Vénus, d'obtenir de son divin amant la fin des guerres civiles. Cinquante années de luttes intestines, de massacres, de désordres sans nom, viennent de montrer ce que coûte la compétition des ambitieux. On a besoin de tranquillité. C'est au repos bien plus qu'à la liberté que tendent tous les voeux; et ce repos, si souhaité, Auguste le garantit.

Pour qu'il soit assuré bien complet, ce n'est pas seulement dans Rome et l'Italie qu'il met l'ordre; il organise régulièrement les provinces et, après y avoir étouffé tous les troubles, y met des gouverneurs qui, au lieu de se payer de leurs mains, reçoivent un traitement fixe et, restant sous sa surveillance, ne peuvent plus commettre les effroyables abus dont les habitants étaient autrefois victimes. Il y relève les ruines et y trace ces magnifiques voies qui se prolongent dans tous les sens jusqu'aux extrémités de l'empire. De plus il donne aux frontières assez de

(1) Cf. G. Boissier, La religion romaine, liv. I, ch. 1, 1, ad finem. (2) Florus, IV, 12.

solidité pour que cette immense administration ne soit pas inquiétée par les attaques des voisins. La constitution d'une armée permanente, dont les exigences à la vérité pourront devenir un danger, mais qu'il soumet à une sévère discipline, lui permet de faire face à tout. En Europe, il ferme la barrière du Rhin et porte au Danube ses avant-postes; en Asie, il se fait rendre les drapeaux de Crassus par les Parthes; en Afrique, il contient les nomades. Si quelque part surgit un danger, il y va ou y envoie quelqu'un des siens, Agrippa, Germanicus, Drusus, Tibère, et il puise à son trésor particulier pour subvenir anx frais de l'expédition lorsque le trésor public' n'y suffit pas, prodiguant ainsi sa personne, sa famille et ses biens. Il ne recourt d'ailleurs aux armes que si l'intérêt de la paix l'exige, il n'a nul désir de conquête, et avec les plus turbulents ou les plus puissants des peuples voisins son habile politique ne lui est pas moins utile que son armée. Les provinces, qui se sentent protégées tout à la fois contre les rapines du dedans et les entreprises du dehors, saluent son gouvernement comme une délivrance, et leur sécurité confirme celle de Rome.

Mais c'est à Rome surtout qu'il prodigue ses faveurs. La paix qu'il lui donne, il veut la rendre aussi agréable, aussi belle que possible. Il se sert au profit de tous des richesses qu'il a trouvé accumulées dans le palais de Cléopâtre. Il complète le cens de sénateurs ruinés, paye les dettes de nombreux chevaliers, supprime les créances de l'État, distribue de l'argent à tous les citoyens, sans oublier dans ses largesses les enfants même les plus jeunes. Fréquemment il donne au peuple des rations de blé. Il ne se contente pas de le nourrir: il pourvoit à ses plaisirs. Il

(1) Le trésor public, ærarium, avait été laissé au Sénat, mais Auguste possédait une caisse particulière où avait été portée pour premier fonds une somme considérable et qu'entretenaient certains impôts et les contributions de ses provinces.

(2) Suét., Oct. Aug., 41; Dion, III. 17.

(3) Dion, LIII, 2.

lui offre des fêtes comme on n'en a jamais vu, dont l'une dure cinquante-neuf jours. Il y fait paraître les bêtes inconnues, les monstres surprenants que lui envoient des contrées lointaines. Une fois, le cirque représente une chasse de bêtes fauves dans laquelle sont égorgés plusieurs centaines de lions; une autre fois, un lac creusé près du Tibre étale deux flottes entières montées par trois mille combattants qui se livrent une bataille 1. Et il prend soin de témoigner à la multitude qu'il partage son amusement, sachant qu'elle a reproché naguère à César de travailler avec ses secrétaires pendant la célébration des jeux; il y vient exactement, il y apporte le plus vif intérêt 2.

Des plaisirs plus nobles s'adressent en même temps aux yeux et aux esprits par la splendeur des œuvres d'art dont il décore la ville. Il l'a reçue de briques, il veut la laisser de marbre. Des monuments magnifiques et innombrables, temples, aqueducs, fontaines, thermes, portiques, bibliothèques, théâtres 3, marchés, sont élevés ou par lui, à ses frais, ou sous son inspiration, par ceux de ses amis, comme Agrippa, dont l'opulence se prête à de pareilles dépenses. Dans cette vaste entreprise artistique, une idée géniale lui fait même trouver le moyen de rattacher le présent au passé et de donner à son pouvoir une consécration nouvelle, tout en flattant au plus haut point l'orgueil des Romains. Il restaure, en y laissant leurs anciennes inscriptions, tous les monuments qui, jusque-là, ont perpétué la mémoire des grands hommes de la république. Il déclare que nul d'entre eux ne doit être exclu du culte des gloires nationales. Sous les portiques du Forum, qui porte son nom et que remplit le souvenir de ses propres actions, il dresse leurs statues en costume de triomphateurs.

Flattés dans leurs sentiments les plus vifs, satisfaits dans

(1) Suét., Oct. Aug., 43.

(2) Id, 45.

(3) Suétone note avec soin (Oct. Aug., 31) qu'il n'y eut même pas d'exception pour le grand adversaire de César et que la statue de Pompée fut placée, sous une arcade de marbre, en face du théâtre portant son nom.

« IndietroContinua »