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Ses odes surtout, en prêtant à son enseignement l'éclat de la poésie lyrique, lui donnent la forme la plus nette et la plus saisissante; c'est là principalement qu'au milieu des allusions aux légendes mythologiques et aux grands faits historiques, sa voix, prenant plus d'ampleur, se fait le mieux entendre, et il semble aussi qu'il y prenne plus de goût que partout ailleurs à commenter les projets et les réformes d'Auguste. Il rappelle l'éducation qu'avait reçue, au temps des guerres puniques, la jeunesse qui rougissait les mers du sang Carthaginois, cette mâle postérité de rustiques soldats et de mères rigides; et il attribue les maux dont Rome a soufferts, les dangers récents au milieu desquels a failli sombrer son empire, à la démoralisation qui a gangrené les familles :

Fecunda culpæ sæcula nuptias

Primum inquinavere, et genus, et domos;
Hoc fonte derivata clades

In patriam populumque fluxit.

Carm., III, 6, v. 17-20.

Pour remédier à ces mœurs déréglées, il recommande, avec la piété envers les dieux, toutes les vertus civiles et domestiques sur lesquelles repose le salut de l'État. Le bien de l'État, la grandeur de la patrie, voilà, en effet, ce qui l'intéresse, ce qu'il demande sans cesse aux dieux, et le motif qui fait que tout ce qu'il dit s'applique aux mesures réparatrices du moment. Ses éloges de la modération et ses critiques du luxe concordent avec les lois somptuaires en préparation; ses vœux au sujet de la fécondité des mariages 1, avec la loi contre les célibataires; ses exhortations à la jeunesse pour lui inspirer le goût des travaux du Champ de Mars, avec les récompenses officiellement promises à ces sortes d'exercices; ses attaques contre les

(1) Carm., sæc., v. 47.

(2) Carm., III, 2, v. 1-13; III, 24, v. 51-54.

femmes mariées qui volent à de criminelles amours', avec la loi contre les adultères. Il ne se contente même pas d'appuyer les mesures prises, il les provoque. << A quoi sert de gémir, s'écrie-t-il, si par le châtiment on ne coupe pas <<< le mal dans la racine? »

Quid tristes querimoniæ,

Si non supplicio culpa reciditur?

Carm., III, 24, v. 33-34.

Et il adjure Auguste de sévir contre les dérèglements: « Quelque grand que puisse être, lui dit-il, celui qui entreprend de mettre un terme à nos meurtres impies et à la rage de nos guerres civiles, s'il veut que le monde décore ses statues du titre de Père, il doit oser soumettre au frein la licence indomptée. »

O quisquis volet impias

Cædes, et rabiem tollere civicam,
Si quæret Pater urbium

Subscribi statuis, indomitam audeat
Refrænare licentiam.

Id., v. 23-29.

VII

Si Auguste tira profit du concours que lui prêtèrent en général les poètes et les écrivains, il sut longtemps, sachons le reconnaitre, leur laisser l'indépendance dont la privation d'ailleurs leur eût enlevé, avec toute dignité, toute autorité. Durant la première, c'est-à-dire la plus heureuse et la plus belle période de son règne, il témoigna dans sa conduite à l'égard des lettrés un esprit généreux et vrai

(1) Carm., III, 6, v. 25-32.

ment libéral; il les protégea sans exiger d'eux aucun acte de servilité. Jamais il ne s'offensait de l'éloge qu'ils osaient faire des derniers défenseurs du gouvernement républicain, et lorsque Virgile représentait Caton dans les Champs Élysées comme « le roi des hommes vertueux »,

His dantem jura Catonem ;

En., VIII, 70.

lorsque Horace vantait « en face de la soumission du monde entier, l'indomptable vertu de ce héros »,

Et cuncta terrarum subacta,

Præter atrocem animum Catonis;

Carm., II, 1, v. 23-24.

ou prenait plaisir à louer dans ses vers les L. Sextius, les Q. Dellius, les Pompeius Grosphus, les Cassius de Parme, qui tous avaient combattu le parti d'Octave, non seulement leur liberté de langage ne lui déplaisait pas, mais il l'approuvait et trouvait, pour marquer son approbation, plus d'une occasion de parler absolument comme eux. Nous avons vu déjà qu'il avait rendu un hommage public à l'adversaire de César, le grand Pompée, en plaçant sa statue devant un théâtre de Rome; il n'agit pas autrement à l'égard de Brutus le tyrannicide, dont les habitants de Milan avaient, en souvenir de certains bienfaits, conservé la statue, il les en félicita. Un jour, un courtisan, pensant lui faire plaisir, s'était mis à faire devant lui la critique du caractère et de la conduite de Caton; il le reprit : « Caton, affirma-t-il, était un bon citoyen qui avait raison de s'opposer à un changement dans l'Etat. » Une autre fois, ayant surpris un de ses petits-fils qui lisait à la dérobée un livre de Cicéron, il lui dit : « Cicéron était un honnète homme qui aimait bien sa patrie. » La condamnation solennelle qu'il avait prononcée lui-même sur son passé en supprimant par un édit les ordonnances triumvirales et en adoptant

le nom d'Auguste, semblait lui permettre d'oublier maintenant tous les anciens actes d'Octave et de porter ainsi des jugements impartiaux sur ceux que naguère il avait poursuivis avec le plus d'acharnement ou de cruauté. Son intérêt lui prescrivait cette largeur de vue.

Aussi ne faut-il pas voir, à cette époque du moins, dans l'administration qui fut préposée à la direction et à la surveillance des bibliothèques publiques une sorte de cabinet de censure spécialement chargé d'une mission de répression politique. De même que la bibliothèque de l'Atrium Libertatis' avait été classée et dirigée par le savant Varron, la bibliothèque Octavienne et celle du temple d'Apollon Palatin3, composées toutes deux de deux parties distinctes, réservées l'une à la littérature grecque et l'autre à la littérature latine, étaient confiées à des érudits tels que Pompeius Macer, Hygin, Mélissus, Sextus, etc. Leur rôle à la vérité ne consistait pas uniquement à ranger et à conserver les ouvrages mis à la disposition des lecteurs ils en prononçaient l'admission; mais leur examen portait sur le mérite littéraire et non sur les opinions politiques des écrivains. Les poésies de Catulle et de Bibaculus, par exemple, bien qu'elles renfermassent des passages on ne peut plus. acerbes et injurieux contre César et ses amis, n'avaient pas été exclues et étaient livrées à ceux des curieux qui désiraient les lire. La lettre même, très correcte et très simple', qu'Auguste écrivit à Pompeius Macer pour lui recommander de ne pas communiquer au public certains opuscules composés par César dans son enfance et dans son adolescence, comme ses Louanges d'Hercule, sa tragédie

(1) Voir Thorbecke, de Asinio Pollione, p. 35 sqq.

(2) Mon. Ancyr., 19.

(3) Voir la dissertation de Lürsen de Templo et Bibliotheca Apollinis Pallatini, Franequeræ, 1719, in 12; l'ouvrage intitulé Il Palazzo de' Cesari sul monte Palatino, restaurato da Cost. Thon... illustrato da Vinc. Ballanti, Rome, 1828. Cf. G. Boissier, Promenades archéologiques, Le Palatin, in-12, 1880.

(4) Suét., Jul. Cæs., 56.

d'OEdipe, son Recueil de mots remarquables, prouve simplement que si, à titre de curiosité, on conservait parfois dans ces bibliothèques des œuvres de peu de valeur à cause du grand renom de leurs auteurs, on prenait soin de ne pas les mettre à la disposition du premier venu. L'avis d'Auguste, même en ce cas particulier, ne s'appuyait sur aucun motif politique; il voulait seulement soustraire à la critique littéraire de quelque curieux malveillant les premiers essais, naturellement peu châtiés, d'un écrivain qui, pendant le reste de sa vie, s'était montré d'une remarquable sévérité sur la correction du style. Il va de soi cependant que, lorsqu'il s'agissait d'ouvrages légalement réservés au feu, tels que tous ces recueils d'oracles qu'il avait été ordonné de détruire lors de la revision des Livres sibyllins, les érudits bibliothécaires n'avaient point à en apprécier le mérite, leur devoir alors se réduisait à appliquer la loi.

La longanimité d'Auguste, à cette époque de sa vie, était si grande qu'il laissait impunis les discours et les quelques libelles diffamatoires que dirigeaient contre lui le très petit nombre de ceux qui lui étaient opposés. A peine y répondait-il par des plaisanteries, préférant ne témoigner que de l'indifférence à l'égard d'attaques qui se perdaient au milieu de l'enthousiasme général et auxquelles la moindre répression eût attribué plus d'importance et de force qu'elles n'en avaient en réalité. Un jour que, dans un procès criminel intenté à Æmilius Ælianus de Cordoue, il entendait reprocher à l'accusé, entre autres crimes, celui d'avoir mal pensé et médit de lui: « Je voudrais bien, s'écria-t-il en se tournant vivement vers l'accusateur, que vous pussiez me prouver cela; je lui ferai voir que j'ai aussi une langue, et j'en dirai contre lui bien plus encore qu'il n'en a dit contre moi; » et il ne s'en occupa pas davantage, ni dans le moment, ni dans la suite. On connaît aussi la réponse qu'il fit à Tibère qui, dans une lettre, s'était plaint à lui, avec assez d'amertume, de tant de tolérance : « Gardez-vous, mon cher Tibère, de trop céder à l'ardeur de

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