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dans la période vraiment classique d'une littérature. Sans doute, et nous l'avons bien vu dans les quatre volumes qui précèdent, de grands poètes et de grands prosateurs avaient, avant Virgile, Horace, Properce, Tibulle, Ovide et Tite-Live, illustré les lettres latines; on peut même dire de plusieurs qu'ils témoignèrent de qualités individuelles qui n'ont jamais été surpassées. Mais, obligés de former eux-mêmes la langue dont ils avaient à se servir, ils ne pouvaient dans une étude si aride s'avancer qu'avec incertitude; et d'autre part, placés à la fois sous l'action de deux mobiles puissants, le tempérament national et l'influence hellénique, ils ne savaient pas encore bien pondérer leur mouvement, les uns montrant de la gaucherie parce qu'ils voulaient rester Romains, et les autres tombant dans le dilettantisme parce qu'ils se livraient trop entiers à l'imitation de l'art des Grecs. Il fallait que l'inexpérience de la langue cessat; il fallait aussi qu'une juste pondération s'établit entre les deux éléments contraires qui agissaient sur les écrivains, pour que la perfection se produisit. C'est cet exact équilibre, obtenu grâce aux longs tâtonnements de leurs prédécesseurs, qui d'une manière générale se fait remarquer chez les écrivains du siècle d'Auguste; aux réminiscences de la littérature grecque ils allient habilement les coutumes, les gloires, les vertus nationales; ils ne se font aucun scrupule, alors même qu'ils se moquent des vieux auteurs latins, d'aller puiser chez ceux-ci ce qu'ils y trouvent d'excellent, et avec l'élégance grecque de la forme ils gardent au fond la gravité romaine.

Communément aussi, à la conciliation harmonieuse des diverses inspirations auxquelles ils obéissent se joignent d'autres qualités non moins précieuses: l'ordre et la régularité, l'exaltation de l'amour patriotique, le sentiment de l'utilité et de la noblesse de leur travail. En effet, le calme et la sérénité, que donnait alors au monde l'autorité d'un seul après les compétitions sanglantes qui l'avaient si longtemps troublé, se reflètent dans leurs œuvres. Rome,

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délivrée des guerres civiles et maîtresse incontestée de l'immense empire dont elle vient de fixer elle-même les limites, leur apparaît dans toute sa majesté et ils chantent à l'envi la paix triomphante dont elle jouit pour la première fois en toute assurance. Et la grandeur du sujet leur donne conscience de leur rôle la littérature n'est plus cette sorte de bagatelle dont ne s'occupaient que dans leurs loisirs les hauts personnages de la société; le chef de l'Etat et ses conseillers intimes la protègent ouvertement, l'associent à leurs desseins, voient en elle un moyen puissant de pacification des esprits, un moyen de gouvernement.

Les écrivains, qui ont l'heureuse chance de paraître en ces circonstances si favorables à l'épanouissement complet des lettres latines, ont donc, plus ou moins, mais tous, indépendamment de leurs qualités propres, le caractère auquel on reconnaît un âge classique.

Mais quelle part de mérite est-il équitable d'attribuer à Auguste dans ce concours de belles œuvres produites en un si grand nombre au moment le plus prospère de sa domination? A-t-il exercé une action personnelle sur les événements? A-t-il secondé la fortune? S'est-il montré effectivement l'initiateur du progrès des arts et de la perfection des lettres en son temps? Devons-nous, en un mot, le juger digne d'avoir donné son nom à son siècle ? Voilà une question dont l'examen n'a pas toujours été fait sans passion.

Lorsque, sous le gouvernement qui régissait la France. il y a un demi-siècle, le droit d'écrire librement sur la politique du jour avait été supprimé, on chercha dans des travaux d'érudition et dans l'étude des peuples anciens le moyen de combattre par des allusions malicieuses un état de choses contre lequel on ne pouvait lutter ouvertement. Le temps d'Auguste et de ses premiers successeurs parut à plusieurs celui qui convenait le mieux à leurs préoccupations satiriques. Ils ne se firent point faute alors, pour se donner satisfaction, de dénaturer sensiblement l'histoire

romaine. Ils s'attachèrent à ne montrer dans Auguste que la continuation du personnage d'Octave qui, le pouvoir une fois conquis per fas et nefas, se sert de la rare astuce dont il est doué pour dissimuler la petitesse de son âme, n'est clément à certains moments que par intérêt, se défie de lui-même au point d'écrire ce qu'il a à dire dans ses entretiens avec sa femme, afin que sa pensée ne l'entraîne jamais au delà de ce qu'il faut, joue un rôle en habile comédien jusqu'à la dernière heure de sa vie, et, malgré toutes les précautions qu'il prend pour rester maître de lui, instrument néanmoins de l'ambitieuse Livie, laquelle règne derrière lui, finit par retourner contre lui les crimes qu'il a commis étant jeune, fait tuer un à un ceux qui sont appelés à lui succéder afin de leur substituer Tibère, et devient ainsi, selon ces érudits, pour la moralité de l'histoire, la personnification du châtiment attaché aux flancs du criminel. Quant au goût des lettres et des arts, oui sans doute, Auguste l'a. Les aides dont il se sert dans la protection qu'il se plaît à offrir aux poètes comme aux artistes l'ont aussi. Mais leur œuvre est néfaste. Sans eux, n'aurions-nous pas reçu de l'âge classique des travaux bien supérieurs à ceux qu'il nous a légués? Tous ces grands esprits, qui, livrés à eux-mêmes, eussent pu soutenir et répandre les idées généreuses en glorifiant le passé de la république et la liberté, en somme qu'ont-ils été sinon de complaisants adulateurs? Loin de respecter le génie, Auguste l'a donc corrompu'. Au grand détriment de la patric et dans un

(1) La conclusion de tout ce raisonnement devait être et était en effet qu'on ne pouvait trouver dans les écrivains du siècle d'Auguste un bon élément de l'éducation de la jeunesse. On voulait bien ne pas en réclamer l'élimination absolue, parce que, disait-ou, comme la littérature française est fille de la littérature latine, la connaissance du latin est nécessaire et que c'est précisément chez les auteurs de l'àge classique qu'on en trouve la meilleure forme; mais on demandait que le latin fùt relégué au second plan, que la plus grande part de l'enseignement, la première en date et la plus longue, appartint à la littérature grecque, aliment plus viril et plus généreux, qui prépare mieux les philosophes, les penseurs, les citoyens, les hommes d'État. Beulé ne concluait pas autrement l'ouvrage, d'ailleurs très intéressant, qu'il a intitulé Auguste, sa famille et ses amis (1867, in-8).

but égoïste, il l'a détourné de sa voie. Et nous, la postérité, nous n'avons qu'à exprimer un ressentiment profond, lorsque nous songeons aux nobles œuvres qu'il a étouffées dans leur germe et qu'il nous a volées.

A ceux qui raisonnaient ainsi d'autres répondaient, qui faisaient volontiers table rase de tout ce qu'avait fondé et développé le régime républicain, afin de ne rien voir de grand à Rome qu'à partir du jour où la toute-puissance y fut concentrée dans les mains d'un seul homme. De même qu'ils oubliaient ce qu'il avait fallu d'habileté et de sens administratif au Sénat pour permettre à un peuple aussi petit en nombre que le peuple romain d'étendre et d'exercer sa domination jusqu'aux limites du monde connu, ils ne voulaient pas se rappeler les progrès considérables faits en littérature dans les derniers temps de la république, ils se gardaient bien de remarquer que les grands génies euxmêmes qui illustrèrent le commencement du principat appartenaient à la génération précédente, étant nés et ayant grandi au milieu des luttes qu'avait suivies cette paix universelle 1. Sur Auguste, en un mot ils tenaient à reporter, avec toute initiative, tout l'éclat de la gloire de Rome. Et de plus, pour que leur idole restât à l'abri de toute flétrissure, ils allaient jusqu'à vouloir expliquer et excuser les crimes de l'ancien triumvir qui, insinuaient-ils, n'avait fait après tout qu'obéir à la raison d'État et que tirer vengeance des meurtriers de César, son père adoptif.

De part et d'autre, avec ces systèmes de considérations dénuées d'impartialité, on portait sur la personne et sur le gouvernement d'Auguste des jugements peu conformes à la vérité; et comme, pour présenter de lui un portrait trop uniformément noir ou trop flatteur, on ne donnait jamais qu'un compte inexact de l'état général des esprits en son temps, on méconnaissait nécessairement les sentiments

(1) Lors de la bataille d'Actium, Horace avait trente-cinq ans et Virgile en avait quarante.

véritables des écrivains qui illustrèrent cette époque. Il nous sera facile à nous qui, dans les questions littéraires que nous examinons ici, n'obéissons à aucune passion politique, à aucune préoccupation intéressée, de les traiter avec plus de pondération. Voyons donc, avant d'aborder l'étude des gran is poètes et des écrivains proprement dits, ce que fut Auguste avec ses deux principaux auxiliaires dans le gouvernement de l'empire, Agrippa et Mécène, qui tous les trois d'ailleurs ont écrit aussi; et faisons pour eux comme pour tous ceux dont nous nous occupons, ne négligeons pas la partie de leur biographie qui peut servir à expliquer leur action intellectuelle et leurs œuvres.

II

Octave naquit, sous le consulat de Cicéron et d'Antoine', le neuvième jour avant les calendes d'octobre de l'an de Rome 691 (21 septembre de l'année 64 av. J. C.), à Rome même, dans le quartier Palatin, près de l'endroit appelé Capita Bubula (Tètes de bœufs)2.

La famille à laquelle il appartenait était originaire de Velitræ (Velletri) qu'elle habitait3. Son père Octavius, qui était riche et avait le rang de chevalier, n'avait pas voulu, comme ses ancêtres, confiner sa vie dans cette modeste ville du Latium; il était venu à Rome briguer les charges publiques, et, après s'être honorablement acquitté de magistratures moins élevées, avait obtenu la préture, puis le gouvernement de Macédoine. Chargé par le Sénat, lorsqu'il partit pour sa province, de poursuivre en route les restes des bandes de Spartacus et de Catilina qui infestaient

(1) Vell. Paterc., Hist. rom., 36.

(2) Suét., Oct. Aug., 5.

(3) Suét., Oct. Aug., 1.

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