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soixante-seizième année, lorsque, en revenant de conduire à Bénévent Tibère qui s'apprêtait à partir pour l'Illyrie, il fut pris à Nole de douleurs telles qu'il se sentit tout près de sa fin. Il fit aussitôt rappeler Tibère et le retint longtemps enfermé avec lui. Il s'inquiéta plusieurs fois de savoir si le bruit répandu de sa mort imminente n'avait point troublé la tranquillité publique. Puis, la dernière heure approchant, il tint à mourir décemment; il demanda un miroir, ordonna de peigner ses cheveux, de réparer sur son visage les ravages de la maladie, et fit entrer ses amis. 11 leur demanda << s'ils jugeaient qu'il avait convenablement joué la comédie de la vie... Ecquid iis videretur mimum vitæ commode transegisse », et il ajouta en grec la formule traditionnelle qui terminait les pièces de théâtre :

Εἰ δὲ πᾶν ἔχει καλῶς, τῷ παιγνίω

Δότε κρότον, καὶ πάντες ὑμεῖς μετὰ χαρᾶς κτυπήσατε.

Si tout est bien, applaudissez la pièce, et tous ensemble battez des mains avec plaisir.

Après quoi il les congédia et mourut entre les bras de
Livie.

Ses ennemis ont voulu voir dans ses dernières paroles l'aveu fait par lui de n'avoir joué pendant toute sa vie qu'une comédie. Je crois qu'ils en ont méchamment abusé

tranquille d'Auguste tel que l'a présenté Suétone, qui était bien placé pour savoir la vérité et qui d'ailleurs est entré dans des détails qu'on n'invente pas. Conséquemment on rejette le sombre tableau que Tacite, on le sent trop, n'a imaginé (Ann., 1, 4) qu'avec l'intention de faire peser sur Livie et sur Tibère l'accusation d'un meurtre dont aucune preuve n'a jamais été fournie. Remarquons, en passant, que, malgré la contradiction absolue de ces deux récits, dont l'un ou l'autre doit être entièrement abandonné, Beulé, qui trouvait, dans l'un, des paroles d'Auguste qu'il pouvait interpréter à son détriment, dans l'autre, un moyen d'attribuer à Livie un crime servant de châtiment aux forfaits de l'ancien triumvir, n'a pas hésité à prendre indifféremment des deux côtés tout ce qui convenait à sa thèse. (Auguste, sa famille et ses amis, ch. I et ch. 111, p. 15 et p. 149-151 de la 5e éd.).

1

ou qu'ils se sont étrangement trompés. Comment supposer que cet homme si habile ait voulu, à l'instant de sa mort, jeter lui-même sur sa vie entière la plus cruelle des critiques? N'est-il donc pas d'un usage constant de comparer le monde à une grande scène, la vie humaine à un drame et les puissants de la terre à des personnages qui, sur cette scène et dans ce drame, tiennent les rôles principaux? Eh bien, Auguste avait conscience d'avoir tenu le sien avec maîtrise, et lorsqu'il parlait ainsi, il ne se servait, pour signifier qu'il était satisfait de son œuvre, que du langage allégorique de tout le monde, langage accompagné d'un sourire et d'une sérénité d'esprit qui ne manquait pas de grandeur sur le seuil de la tombe 1.

(1) Victor Duruy n'est pas contraire à l'avis que j'exprime.

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On a voulu croire, dit-il, que l'empereur, à son dernier jour, óta ce masque qu'il avait porté quarante-quatre ans. Quand la pièce dure si longtemps il n'y a plus d'acteur; le rôle passe dans la vie, et l'on devient à peu près ce que l'on veut paraître. Ce n'est pas le sceptique badin, mais le grave politique qui s'entretient à ses derniers moments avec son successeur, qui s'inquiète si la tranquillité n'est pas troublée; et je le vois mourir comme il a vécu, avec cette pensée, si nécessaire au monde romain, de l'ordre public. » Hist. des Rom., éd. in-8 jés., t. IV, p. 145. Voir surtout la page éloquente par laquelle Jules Zeller termine l'étude consacrée à Auguste dans l'ouvrage intitulé Les Empereurs romains, caractères et portraits historiques, 1863, in-18, 1re partie, 1.

CHAPITRE II

LES DEUX PRINCIPAUX AUXILIAIRES D'AUGUSTE, AGRIPPA ET MÉCÈNE.

1. AGRIPPA. Son origine. Ses rapports avec Octave datent de leur enfance. On le trouve avec lui à Apollonie et il l'accompagne en Italie et à Rome après le meurtre de César. Son énergie. Grands services qu'il rend à Octave dans toutes ses guerres et récompenses qu'il reçoit de lui. Son ambition qui ne tend à rien moins qu'à l'héritage de l'empereur et qu'arrête une mort prématurée. II. Travaux d'utilité publique exécutés par lui. Son goût pour les arts plastiques le fait travailler à grands frais à l'éducation artistique du peuple et lui inspire l'idée d'une exposition universelle de tableaux et de statues. C'est néanmoins sa gloire militaire que célèbrent surtout les poètes. III. Mais dans cet ami libéral de l'architecture, de la statuaire et de la peinture il y avait aussi un orateur, un historien et un savant géographe. Ses discours; ses lettres; son autobiographie; son travail sur les aqueducs, de Aquis; ses écrits sur la géographie générale du monde, d'après lesquels fut dressé l'orbis pictus, carte générale de la terre, qui vulgarisa la science géographique.-IV. MÉCÈNE. Sa haute naissance. Il se lie avec Octave à Apollonie et lui est très utile dès les commencements de sa vie politique. C'est lui qui dès lors, jusqu'à la victoire décisive d'Actium, mène toutes les négociations. Octave lui donne aussi une large part, non seulement dans ses conseils, mais dans l'administration de Rome et de l'Italie. Le prudent conseiller tend à faire aimer celui à qui il s'est attaché. Le goût des lettres et un penchant naturel à protéger les lettrés le font se charger de la mission délicate de les séduire et de les charmer. Un cercle nombreux et brillant d'écrivains se forme autour de lui, qui s'attachent ardemment ou se rallient au nouveau gouvernement, et qui, en même temps, font de lui-même un éloge dont il tirera aux yeux de la postérité son plus grand titre de gloire. Mécène est, en effet, plus connu comme protecteur des lettres que comme écrivain. Son style prétentieux à l'excès rendait mal sa pensée, qui était celle d'une ame grande et vigoureuse; opinions à ce sujet de Sénèque et de Quintilien. Ses œuvres littéraires : discours; dialogues ; un Banquet (Symposium); mémoires historiques (Res gestæ Augusti); tragédies; poème didactique intitulé De cultu suo; poésies diverses, dont deux sont des témoignages de sa profonde affection pour Horace. V. Cause

de son éloignement des affaires dans les derniers temps de sa vie. Jusqu'à sa dernière heure, il reste fidèle à ses deux grandes amitiés, Auguste et Horace.

I

Il ne nous reste plus à examiner dans Auguste que l'orateur et l'écrivain; mais auparavant il est bon, me semblet-il, d'apprécier les deux hommes qui l'ont le plus aidé dans l'ensemble de son œuvre et tout particulièrement dans la partie qui nous intéresse; car Agrippa et Mécène, nous l'avons dit, ont avec Auguste protégé les lettres et les arts et, comme lui, ils ont écrit. En disant tout de suite ici ce qui concerne leur vie et leurs écrits, nous n'aurons plus à revenir plus tard sur leur compte.

Agrippa, malgré l'éclat de sa carrière, n'a pas eu de biographe dans l'antiquité; l'autobiographie qu'il avait écrite et qui devait épuiser le sujet est sans doute cause de cette abstention; et comme son livre est aujourd'hui perdu, on serait assez embarrassé d'y suppléer sans les indications éparses dans les écrits de Dion, Appien, Velleius, Suétone, Pline et quelques autres. Plusieurs auteurs modernes ont eu l'excellente idée de réunir ces divers renseignements, et de leurs travaux, dont les principaux sont ceux de Frandsen' et de A.-F. Motte', nous apprenons ce qu'il nous est utile de savoir.

(1) M. Vipsanius Agrippa. Eine historische Untersuchung über dessen Leben und Wirken, von D. P. S. Frandsen, Professor am Gymnasium in Altona 1836.

(2) Étude sur Marcus Agrippa par Adh. Fr. Motte, Paris, 1872, in-8 de XV-256 pages. Cf. Mémoire, de l'abbé Leblond, sur la vie et les médailles d'Agrippa, gendre d'Auguste, Ac. des Inser. et bel. let., tom. XL, p 37-68, 1780; R. Mencenati, De Vita rebusque gestis M. V. Agrippæ commentarius, testimoniis scriptorum veterum concinnatus, Romæ,

Son enfance toutefois nous est peu connue. Il appartenait à une famille nommée Vipsania dont l'ignobilitas est certifiée par Tacite et Velleius', c'est-à-dire dont aucun membre n'avait encore joui du jus imaginum. Il est faux cependant qu'il ait jamais eu, comme on l'en a accusé, la honteuse faiblesse de rougir de son origine, puisque les Athéniens, qui étaient d'adroits flatteurs, la mentionnèrent sur le piedestal de la statue qu'ils lui élevèrent, chose dont ils se seraient bien gardés si une telle mention lui avait été désagréable. Ses parents d'ailleurs étaient riches: certains disent que son père appartenait par sa fortune à l'ordre équestre, et ce qui prouve qu'il naquit dans un milieu non seulement opulent, mais honorable, c'est l'éducation aristocratique qu'il reçut et qui lui permit d'être en rapport de très bonne heure avec le petit-neveu du dictateur. De deux passages de Cornélius Népos et de Nicolas de Damas 2, on est en effet en droit de conclure qu'Agrippa et Octave furent liés dès leur enfance et que leur amitié existait bien avant leur séjour à Apollonie.

Cette union s'y resserra davantage dans leurs travaux militaires comme dans leur étude commune des lettres et des arts de la Grèce, et lorsque arriva la mort de César, ils partirent ensemble à la conquête de son héritage. Non pas qu'Agrippa se considérât comme un instrument aveugle entre les mains de son ambitieux ami; car lui-même ne manquait pas d'ambition et il comprenait tout l'intérêt qu'il avait à travailler au triomphe de l'héritier du grand Jules. « C'était, dit Velleius 3, un homme d'un mérite émi

1821; B. Van Lanckeren Matthes, Specimen historico-litterarium de M. V. Agrippa in rempublicam romanam meritis, Amsterdam, 1841; Weichert, Imp. Cæsaris Augusti scriptorum reliquiæ, Fasc. 1 L. 1, exc. Ill; p. 81, Grimæ, 1841; Van Eck, Quæstiones historicæ de M. V. Agrippa, Leyde, 1842; Beulé, Auguste, sa famille et ses amis, ch. V.

(1) Tac., Ann., 1, 3; Vell., II, 96 et 127.

(2) Corn. Nep., Vit. Attic., 12; Nic. Dam., dans les Fragm. hist. græc. éd. Müller, tom. III, p. 430.

(3) Vell., II, 79.

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