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douze chants de ce poème, dont chacun a son caractère propre dans l'originale et harmonieuse beauté de l'ordonnance générale. Tout en expliquant pourquoi l'ensemble ne donne pas à beaucoup près l'impression de chaleur et d'animation que procure la lecture d'Homère, j'en analyse la perfection artistique: l'unité d'action produite par la mission d'Enée et la vision incessante des glorieuses annales du peuple romain; la variété et l'exactitude des peintures; la noblesse et la gravité des pensées; les qualités du style, de la langue et de la versification. Et ce qui me frappe tout particulièrement, là comme dans ses compositions précédentes, c'est sa sensibilité : elle lui inspire par moments comme un pressentiment des croyances qui vont se faire jour dans le monde; elle me fait comprendre l'influence profonde et durable que ses œuvres ont exercée sur l'imagination des hommes.

Sans la majestueuse pureté, sans le caractère mystique et quasiment divin qu'on est si tenté de prêter au poète de Mantoue, Horace, par l'élévation de son génie, par la perfection de son goût et de son art, se fit, de même que lui, une place tout à fait prépondérante parmi les poètes, nombreux du temps d'Auguste. Aussi l'étude de sa vie et de ses œuvres remplit-elle le TROISIÈME LIVRE en entier. En prenant ses divers poèmes, non pas dans l'ordre où les présentent ordinairement les manuscrits et les éditions, mais selon celui dans lequel il les a composés et publiés, Satires, Épodes, Odes, Épîtres, je suis le développement et les tranformations successives de sa pensée, de son caractère et de son talent. L'analyse détaillée des deux livres des Satires permet déjà, sous quelque rapport qu'on établisse la comparaison entre eux, d'y relever des différences très sensibles et un commencement de l'évolution que l'âge et ses efforts constants vers le bien et le beau produiront chez lui, tant pour les questions philosophiques et morales que pour les questions littéraires, dans la deuxième manière de ses entretiens (Sermones), les Épitres. D'autre part,si agressive de pensée et de langage que soit la poésie satiri

que de ses Épodes, imitée de celle d'Archiloque, on l'y entend exprimer, en plusieurs pièces, d'autres sentiments profonds que celui de la colère, et certaines, par les tons différents qu'il y prend, tons d'amitié, d'amour, de patriotisme, indiquent combien par ce genre il se disposait à composer ses Odes. En abordant celles-ci, je commence par constater la science qu'il a mise à modifier la versification des Grecs pour l'approprier le plus possible au génie latin; puis je les divise, dans chacun des recueils qu'elles composent, en groupes distincts d'après le sujet qu'elles traitent et le sentiment qu'elles traduisent: odes religieuses, patriotiques et nationales, qui font de lui comme un interprète des grandes pensées du règne d'Auguste et prennent, à un moment, toute l'apparence d'une sorte de carmen de moribus ayant pour but d'exposer et de célébrer les intentions réformatrices du prince; odes morales et philosophiques; odes adressées à d'illustres personnages et à ses autres amis ; odes bachiques; odes adressées à des femmes; odes qui ne rentrent dans aucune de ces catégories; et cette méthode me conduit facilement à une vue d'ensemble qui fait ressortir l'exacte correspondance de la beauté extérieure de l'œuvre avec celle du fond. Dans les Épitres enfin, y compris celle qu'on a improprement appelée Art poétique, dernière manifestation de son âme et qui sont comme le testament du poète philosophe et de l'artiste littéraire, je trouve le digne couronnement de sa carrière. Carrière bien remplie, en vérité, puisque, par la haute idée qu'il donne de la poésie, par l'admiration que produisent les beautés de ses petits chefs-d'œuvre, lyriques et autres, par l'attrait que présente la modération de sa philosophie éclectique, par la sympathie qu'excite aussi sa bonne humeur, par sa facilité à laisser voir ce qu'il sent, ce qu'il pense, et à nous ouvrir, en étudiant lui-même et ceux qui l'entourent, l'étude de l'âme humaine et des passions de l'humanité, il est arrivé à ce résultat, qu'on n'a jamais cessé de le cultiver et qu'on le cultive encore à tout âge.

Le QUATRIÈME LIVRE comprend l'examen de tous les au

tres poètes. Très grand en est le nombre; mais de la plupart le temps a détruit les œuvres avec quelques poèmes didactiques,il n'a guère respecté que celles de trois auteurs qui représentent par excellence la poésie élégiaque, Tibulle, Properce et Ovide. Après quelques mots sur C. Cornélius Gallus, leur prédécesseur immédiat et glorieux dans ce genre de composition, mais dont il ne reste rien, j'étudie chacun d'eux. Des élégies de Tibulle, plus simple, plus constamment tendre et plus pénétrant que Properce et Ovide, vous distinguerez quelques morceaux de Lygdamus et de Sulpicia, qui, dans les recueils, ont été confondus avec elles. Properce, bien que trop souvent on puisse relever quelque obscurité dans ses idées et quelque pédantisme dans son art, vous attachera par la variété des sujets, des tableaux pittoresques, des scènes dramatiques qu'il fait successivement passer sous les yeux ; vous constaterez que sa pensée n'a ni la fraîcheur, ni l'ingénuité juvénile de celle de Tibulle, mais qu'elle a plus de mouvement, d'ampleur et d'énergie; ce qui explique pourquoi, vers la fin de sa vie, qui fut trop courte, il se sentait porté à suivre les conseils de Mécène pour chanter autre chose que les amours en célébrant les gloires de Rome et d'Auguste, et comment aussi, malgré ses défauts, il eut chez les Romains et a encore chez nous des admirateurs disposés à lui donner la préférence sur le chantre de Délie. Tous les deux sont dignes d'être comptés au nombre des poètes les meilleurs de la littérature latine.

Ovide, leur émule dans l'élégie, inférieur à eux par le sentiment et la pensée, mais d'une fécondité extraordinaire, est celui de tous les poètes de Rome qui a produit le plus, et bien que nous ne possédions pas tout ce qu'il a écrit, nous ne saurions en moins de quatre chapitres procéder à un examen complet de ce qui le concerne. D'abord, je dis sa vie avec la chronologie de ses œuvres; je parle de celles qui sont entièrement ou partiellement perdues et j'indique celles qui lui ont été attribuées à tort ou qui peuvent être contestées. Puis je passe à ses poèmes vraiment

authentiques et qui nous restent. 1° Poésies érotiques : les Amours, où il raconte plus ou moins véridiquement ses amours personnelles et, avec moins d'émotion, chante Corinne comme Tibulle et Properce venaient de chanter Délie et Cynthie; les Héroïdes, qui décrivent, sous forme de correspondance entre amants, des amours dont il découvrait le roman dans les légendes antiques; l'Art d'aimer, exposition didactique de la science des amours, poème qui devait avoir pour lui les suites les plus funestes, lorsque, plus tard, l'empereur y vit ou voulut y voir un instrument de corruption générale; les Remèdes d'amour, dont le titre semble annoncer une réfutation de l'ouvrage précédent, ce qui n'est pas. 2° Deux compositions de très vaste envergure: les Métamorphoses, récit de toutes les transformations qui se sont produites dans le monde depuis le Chaos jusqu'au transfert de César au nombre des astres et jusqu'à la déification d'Auguste; les Fastes, dont le but mi-religieux, mi-historique, était de rapporter l'origine des fêtes et des rites et les faits les plus importants de l'histoire de Rome, le tout classé, avec les phénomènes célestes, mois par mois, jour par jour, et le tout aussi écrit pour la plus grande gloire d'Auguste, puisque la gloire historique de Rome et celle de la religion aboutissaient désormais à lui; deux sujets immenses et bien choisis pour satisfaire le chef de l'Etat, mais à la majesté desquels ne sut pas se conformer l'esprit léger du poète, et qui, traités par lui sur un ton souvent en désaccord avec le véritable sentiment du culte, produisirent, en somme, sur Auguste, malgré leurs beautés poétiques et malgré les louanges qu'il y recevait, une déception peu propre à amortir son récent mécontentement. 3°. Les poésies de l'exil, Tristes, Pontiques, Ibis, exprimant la douleur causée par la relégation loin de Rome en un pays barbare, quatre-vingt-dix-sept morceaux dans lesquels il y a sans doute des passages émus, des traits pittoresques, une grande habileté de plume à varier les formes qui recouvrent les mêmes pensées, mais, malgré cela, d'une lecture qui, à mesure qu'on s'y avance, devient

d'une monotonie de plus en plus sensible par le retour continu de trois ou quatre thèmes invariables, et qui, en outre, nous indispose par un manque presque absolu de dignité dans le malheur. Bref, en lisant tout Ovide, vous admirerez la grâce et l'éclat de son esprit, la fécondité de son imagination, son talent descriptif; vous goûterez le charme de sa parole limpide, abondante, pleine de finesse et d'élégance; mais vous regretterez que, parfois chez lui, l'esprit fasse tort à l'émotion, que l'abondance se change en rhétorique diffuse, que sa langue même, par insuffisance de travail, n'ait pas, si belle qu'elle soit, la précision et le relief de celle de Virgile; cependant les critiques que vous mêlerez à l'éloge ne vous empêcheront pas de lui rendre pleine justice, et, tout en le plaçant sur le seuil de la décadence, vous verrez encore en lui un des beaux génies du siècle.

A côté des grands poètes dont il nous est donné d'apprécier le mérite par nous-mêmes, il fallait mentionner la multitude de ceux dont nous n'avons que quelques fragments ou que seuls nous font connaître les jugements portés sur eux par les écrivains de l'antiquité. J'ai donc classé par groupes et produit successivement une cinquantaine de ces auteurs, plus ou moins célèbres, de poésies légères, de tragédies et de comédies, d'épopées historiques et mythologiques, de poèmes didactiques. Mais, après cette longue énumération, ce vous sera une satisfaction de trouver, dans le dernier des genres ainsi passés en revue, deux poèmes qui nous ont été conservés presque complets: l'un, en un seul livre, de Gratius Faliscus, qui traite de la chasse et qui ne manque pas de valeur; l'autre, de Manilius, d'un ton plus élevé et plus remarquable à divers titres; c'est un traité en cinq livres sur les astres, plus astrologique qu'astronomique, mais très original, très digne d'attention et qui, sans briller d'un éclat comparable à celui des chefs-d'œuvre précédemment étudiés, ne laisse pas de projeter encore quelques rayons de belle lumière poétique sur les dernières années du règne d'Auguste.

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