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détournés, et dont les titres assez insignifians semblent ne rien promettre de philosophique, il foule aux pieds les préjugés mêmes qu'il avait été forcé de respecter ailleurs; et il ajoute que Diderot n'a pu exécuter qu'en partie le projet qu'il avait formé de retrancher de ses recherches sur la philosophie des anciens, et en général de ses autres ouvrages tout ce qu'il avait écrit, contre sa pensée, en faveur des préjugés religieux, et de restituer, d'un autre côté, dans les endroits affaiblis, mutilés sans pitié par le censeur, mais plus encore par l'imprimeur, la vraie leçon de son manuscrit. Il est vrai qu'une lettre virulente écrite par Diderot à l'imprimeur de l'Encyclopédie, fait foi du vif ressentiment que le philosophe éprouvait de voir ses articles mutilés; il y fait entendre à l'imprimeur que ce sont précisément les pensées hardies qui font la fortune de l'entreprise encyclopédique (1). Naigeon assure avoir inséré dans son édition les articles de Diderot avec les corrections qu'il a trouvées dans les papiers du philosophe. En comparant le texte de cet éditeur avec celui de l'Encyclopédie, nous avons trouvé en effet quelques variantes que nous n'avons pas cru devoir admettre, mais que nous indiquerons du moins ici. A l'article sur les Juifs, on lit dans l'Encyclopédie au sujet d'un prétendu miracle de Juda le saint: « Mais ce miracle est fabuleux. » Naigeon a mis : « Mais ce miracle est fabuleux comme tous les miracles. » A l'égard de Bayle, l'article Philosophie Pyrrhonienne dit : « Bayle ne tarda pas à connaître la vanité de la plupart des systèmes religieux, et à les attaquer tous, sous prétexte de défendre celui qu'il avait embrassé. » Le même article reproduit par Naigeon porte ce qui suit: « Bayle ne tarda pas à connaître la fausseté de tous les systèmes religieux, et à les attaquer tous, etc. » Mais la différence la plus frappante se trouve dans les deux leçons d'un passage où il s'agit de Jésus-Christ. Diderot avait écrit dans l'Encyclopédie : « Jésus-Christ suivait ses idées et débitait ses propres pensées, etc. » On lit dans l'édition de Naigeon : « Jésus-Christ suivait ses idées et débitait ses propres rêveries; il y a des folies, des erreurs et des vérités communes à toutes les nations, et plusieurs hommes disent les mêmes choses sans s'être jamais connus ni avoir lu les ouvrages les uns des autres. Tout ce qu'on peut dire de raisonnable à cet égard, c'est que les Thalmudistes ont fait des comparaisons semblables à celles de Jésus-Christ; mais que l'application que ce juif obscur et fanatique en faisait, et les leçons qu'il en a tirées, ont en général un caractère plus grave que celles que ces similitudes et ces paraboles ont fournies aux auteurs du Thalmud. » Il y a quelques autres variantes ; mais elles sont de peu d'importance. Le soin que nous avons eu de ne donner que le texte de Diderot, ne nous a pas empêchés du reste d'admettre les corrections des passages qui avaient été évidemment mal imprimés dans l'Encyclopédie, et que Naigeon a rétablis, soit d'après les indications de Diderot, soit d'après sa propre sagacité.

On a souvent parlé des défauts de l'Encyclopédie; personne ne les a peut-être exposés aussi bien que Diderot lui-même à l'article Encyclo

(1) « Diderot ne se rappelait jamais, dit Naigeon, cette circonstance, une des plus critiques de sa vie, sans frémir des excès auxquels un ressentiment, d'ailleurs très-juste, peut quelquefois porter l'homme le plus honnête, et du caractère le plus doux. »

«

pédie qu'on trouvera dans le volume II; mais il a fait connaître en même temps les nombreux obstacles contre lesquels les éditeurs avaient à lutter et qui excusent en grande partie les défauts de leur entreprise. << Nous avons vu, dit l'infatigable Diderot, à mesure que nous travaillions, la matière s'étendre, la nomenclature s'obscurcir, des substances ramenées sous une multitude de noms différens, les instrumens, les machines et les manœuvres se multiplier sans mesure, et les détours nombreux d'un labyrinthe inextricable se compliquer de plus en plus. Nous avons vu qu'il n'y avait qu'un travail de plusieurs siècles qui pût introduire entre tant de matériaux rassemblés la forme véritable qui leur convenait, donner à chaque partie son étendue, réduire chaque article à une juste longueur, supprimer ce qu'il y a de mauvais, suppléer à ce qui manque de bon, et finir un ouvrage qui remplît le dessein qu'on avait formé quand on l'entreprit. Mais nous avons vu que l'Encyclopédie ne pouvait être que la tentative d'un siècle philosophe, que ce siècle était arrivé, que la renommée, en portant à l'immortalité les noms de ceux qui l'acheveraient, peut-être ne dédaignerait pas de se charger des nôtres; et nous nous sommes sentis ranimés par cette idée si consolante et si douce, qu'on s'entretiendrait aussi de nous lorsque nous ne serions plus. >>

SALONS D'EXPOSITION, IDÉES SUR LA PEINTURE, etc.

Ce fut à la demande de son ami Grimm que Diderot composa pour la Correspondance manuscrite, adressée aux souverains du nord, les articles sur les expositions des objets de beaux-arts qui ont lieu à Paris tous les deux ans. Il est aisé de voir qu'ils n'étaient pas destinés au public. Diderot s'y abandonne à toute sa verve; il écrit sans gêne et sans retenue; il se plaît dans son travail, il l'étend ou il le raccourcit suivant la disposition momentanée de son esprit. Il dit lui-même : « Je suis peut-être un peu long; mais si vous saviez comme je m'amuse en vous ennuyant! c'est comme tous les autres ennuyeux du monde. » Il prononce d'une manière tranchante sur les artistes et leurs ouvrages; d'un trait de plume il ôte tout mérite à un peintre ou un sculpteur ; il raconte des anecdotes de leur vie, il cite des traits graveleux; il parle avec une liberté de pensée et de ton qu'on ne se permet ordinairement dans des entretiens familiers. En un mot, Diderot n'écrit évidemment que pour Grimm et ses correspondans. Voilà la considération qu'il ne faut pas perdre de vue en lisant ou jugeant ses Salons, dont malheureusement nous ne possédons pas la collection complète. Ils ne furent publiés qu'après sa mort. Ils n'étaient pas destinés à l'être; mais on regretterait qu'ils fussent restés dans la possession d'un petit nombre de personnes. L'originalité de Diderot, la verve, la fougue même de son imagination, l'étonnante richesse de ses pensées, ne se montrent peutêtre dans aucun de ses écrits avec autant d'éclat que dans celui-ci ; il est apprêté et quelquefois contraint dans les ouvrages qu'il destinait à l'impression; ici il est véritablement lui-même; son génie y perce de toute part, et si l'on n'approuve pas tout ce qui échappe à sa plume rapide, on s'étonne du moins comment il a pu décrire avec autant d'intérêt une

que

suite immense de tableaux et de statues, et varier à l'infini la forme et le fond de ses descriptions.

Parmi les écrivains qui ne sont pas artistes, Diderot est sans doute un de ceux qui ont eu le plus d'idées grandes, neuves et justes sur les arts; on les trouve répandues dans les Salons, et exposées plus méthodiquement dans son Essai et dans ses Pensées détachées sur la peinture, la sculpture et l'architecture. Les artistes qui, dit-il, ne flattent pas les littérateurs, lui ont assuré qu'il était presque le seul d'entre ceuxci, dont les images pouvaient passer sur la toile presque comme elles étaient ordonnées dans sa tête. Cependant il y a dans ce grand nombre d'observations et idées, plusieurs qui manquent d'exactitude, qui sont systématiques, ou qui justifient le titre de bizarres que Diderot a appliqué injustement à toutes. Un célèbre écrivain allemand, qui a écrit, comme Diderot, sur les sciences et sur les arts d'imagination, et qui a réussi comme lui dans les uns et les autres, M. Goethe les a combattues et réfutées dans son recueil des Propylées ; il y accuse Diderot, peut-être un peu à tort, d'établir une théorie qui tend à confondre la nature et l'art en engageant l'artiste à ne voir, à n'étudier que la nature. Il ne serait pas difficile de trouver dans les OEuvres de Diderot des passages où il dit expressément que l'artiste ne doit pas se borner à une imitation servile de la nature.

L'histoire de la peinture en cire que Diderot rédigea pour assurer à M. Bachelier les honneurs de la découverte de cet art, et qui n'est remarquable que par les faits qui y sont exposés, fut peu répandue, et cet ouvrage était devenu si rare que Naigeon, en publiant une édition des OEuvres de Diderot, eut beaucoup de peine à s'en procurer un exemplaire. Nous avons réuni à ces ouvrages sur les beaux-arts divers écrits, entre autres le traité de la Poésie dramatique que Diderot avait joint à la comédie du Père de Famille, mais que nous avons été obligés de placer ici pour ne pas surcharger le sixième et dernier volume. Comme en parlant de ce volume nous aurons occasion de dire quelques mots des idées de Diderot sur l'art dramatique, nous y renvoyons ce que nous aurions à dire de ce traité.

Les Poésies de Diderot n'avaient pas encore été réunies; elles paraissent ici pour la première fois ensemble. Ce sont pour la plupart d'agréables badinages qui n'annoncent pas un grand poëte, mais qui prouvent du moins que cette grande facilité de composition que possédait Diderot, ne l'abandonnait même pas dans un genre où il s'est peu exercé. S'il ne fallait pour faire de bons vers que de l'esprit, de l'imagination et de la verve, Diderot eût été poëte; mais il faut encore un goût délicat et l'art de se jouer des entraves de la versification, tout en s'y soumettant, et c'est ce qui paraît lui avoir manqué. On prétend il est vrai que Voltaire a dit : Eh! pourquoi donc M. Diderot n'a-t-il voulu être que philosophe? la nature en avait fait un poëte: mais si ce n'est pas une ironie, ce n'est qu'un de ces complimens qu'il ne coûtait rien à Voltaire de prodiguer à ceux qui le flattaient.

Nous avons terminé ce volume par une collection de Lettres qui roulent toutes sur des sujets intéressans. Diderot avait l'habitude, comme on sait, d'écrire rapidement et sans gêne; le genre épisto

laire s'y prêtait parfaitement ; aussi était-il un excellent correspondant. Nous regrettons de n'avoir pas pu recueillir un plus grand nombre de ses lettres; nous aurions eu du plaisir surtout à publier sa correspondance avec Mlle. Voland: si l'on en juge par le peu qui en a été publié, c'était, non pas un recueil de fades complimens ou de galanteries, mais une suite de sujets variés et intéressans traités avec toute la chaleur ou avec tout le piquant que Diderot savait répandre sur les écrits d'affection. Malheureusement il n'a été publié que des fragmens de cette correspondance; et le reste, s'il existe, comme nous le présumons, est encore inédit.

ROMANS, CONTES.

Voici la partie des OEuvres de Diderot qui a peut être contribué le plus à répandre son nom dans le monde, mais que le goût et la morale sont obligés de condamner. Nous avons déjà parlé de l'origine des Bijoux indiscrets; peut-être ce roman, lors de la publication, ne paraissait-il pas plus indécent que cinquante autres qui circulaient alors, et qui étaient analogues à la licence des mœurs du temps. La corruption s'autorisant de l'exemple de la cour, marchait la tête levée dans la capitale du royaume, et il se peut que Diderot encore jeune ne regardât pas comme très-dangereuses des peintures lascives qui, à la honte de ce temps, n'avaient rien de nouveau. D'autres auteurs, il est vrai, peignaient avec plus de finesse et jetaient au moins un voile sur leurs tableaux séduisans, tandis que Diderot ne déguise rien, et ne songe même pas à appeler les Grâces à son secours. Si ces tableaux grossiers étaient restés manuscrits, certes nous les aurions laissés ensevelis dans les cartons; mais ils ne sont que trop connus; ils ont été plusieurs fois publiés séparément; ils font partie des éditions des OEuvres de Diderot, et par cette raison nous n'avons pas cru devoir les en séparer.

Nous porterons un jugement moins sévère sur Jacques le Fataliste, quoiqu'on y rencontre encore des passages également condamnables pour leur licence et leur cynisme, et quoique le fond de ce roman soit encore moins ingénieux que celui des Bijoux indiscrets; mais du moins si les aventures d'un maître et du plus bizarre des valets sont peu de chose, ce fond léger est rehaussé par une foule de réflexions. originales, de traits piquans, d'épisodes pleins d'intérêts et d'anecdotes remarquables. Maître Gousse, le prémontré Hudson, le capitaine de Jacques, le chevalier de Saint-Ouin, et surtout Mme. de la Pommeraie, sont là pour embellir et varier agréablement un récit qui perdrait beaucoup sans ces épisodes. Ce roman respire une philosophie pratique, puisée dans la connaissance des hommes qui y figurent, non pas précisément sous leur beau côté, mais sous celui qu'ils montrent ordinairement dans le grand monde. Les observations de Diderot ne sont pas consolantes, mais elles sont vraies, et elles peuvent être utiles dans le commerce avec les hommes. Quant à l'invention du plan, Jacques le Fataliste n'est qu'une imitation de roptimiste; Diderot met en scène un homme entêté du système du fatalisme, comme Voltaire avait rapporté toutes les aventures de son

héros à celui de l'optimisme. C'est dans sa vieillesse que Diderot composa ce roman; il fut ajouté en manuscrit à la correpondance littéraire de Grimm, et ce fut sur une des copies envoyées en Allemagne qu'on le traduisit et qu'on le publia dans ce pays avant qu'il fût connu en France (1).

L'Oiseau blanc est un conte dans le goût oriental; genre qui plaisait beaucoup alors, mais qui a perdu sa vogue depuis qu'on en a abusé jusqu'à la satiété. Rien de plus facile que d'imaginer des aventures merveilleuses; mais rien de plus rare que des contes où le merveilleux réussit à intéresser un lecteur éclairé.

On connaît par l'extrait de la correspondance de Grimm, l'origine du roman de la Religieuse. Il suffit de rappeler ici que les amis du marquis de Croismare entamèrent une correspondance avec lui sous le nom d'une prétendue religieuse échappée du couvent, pour engager cet homme aimable à revenir de ses terres à Paris. « Mais, dit Grimm, tandis que cette plaisanterie échauffait l'imagination de notre ami en Normandie, celle de Diderot s'échauffait de son côté. Il se mit à écrire en détail toute l'histoire de notre religieuse; s'il l'avait achevée, il en aurait fait le roman le plus vrai, le plus intéressant et le plus pathétique qui eût jamais existé. On n'en pouvait pas lire une page sans fondre en larmes, et cependant il n'y avait point d'amour, autant que je puis m'en souvenir. C'était un ouvrage de génie qui se ressentait de la chaleur d'imagination de son auteur; c'était aussi un ouvrage d'une utilité publique et générale; car c'était la plus cruelle satire qu'on eût jamais faite des cloîtres; elle était d'autant plus dangereuse, qu'elle n'en renfermait que des éloges : notre jeune religieuse était d'une dévotion angélique, et conservait dans son cœur simple et tendre le respect le plus sincère pour tout ce qu'on lui avait appris à respecter. » Grimm croyait ce roman perdu; cependant l'ouvrage manuscrit avait fait une impression trop vive sur ses lecteurs pour en être oublié. Il s'en répandit des copies; mais il ne fut publié qu'après la mort de l'auteur, le même temps où parut Jacques le Fataliste. On admira ce tableau peint avec un art admirable; mais on y blâma généralement une tache hideuse; nous voulons parler des pages qui peignent les mœurs obscènes d'une supérieure de couvent. Naigeon assure avoir obtenu de Diderot la promesse de faire un sacrifice prescrit par la pudeur et les convenances morales, en retranchant ces pages froides, insignifiantes et fastidieuses pour l'homme même le plus dissolu, et révoltantes ou inintelligibles pour une femme honnête. Mais cette promesse était malheureusement infructueuse. L'ouvrage s'est répandu dans le monde avec cette tache qui le souille, et il est trop tard de l'en délivrer.

vers

Les Contes de Diderot sont au fond des histoires véritables, fruits des études que l'auteur a faites des hommes. Diderot raconte avec agrément: sa narration est vive et dramatique, et il devient pathétique quand le sujet l'exige. On ne sait pourquoi il tenait à ces interruptions qu'il amène fréquemment, en supposant un auditeur qui coupe le récit du conteur par des questions ou des réflexions. Il observe que lorsqu'on fait un

(1) Ce fut le prince Henri de Prusse qui en envoya une copie à Paris.

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