Immagini della pagina
PDF
ePub

NOTES

SUR

LA VIE ET LES ÉCRITS DE SALLUSTE.

(1) J'ai publié, il n'y a pas moins de trente-cinq ans, une traduction du Catilina....

M. Dussaut, célèbre critique de cette époque, prétendit, en rendant compte de cet ouvrage, qu'une bonne traduction des classiques était impossible en français. Tout le monde alors traita cette opinion de paradoxale. Quant à moi, j'adopterais volontiers l'avis de M. Dussaut, mais pour de tout autres motifs. Peut-être ne paraîtra-t-il pas déplacé d'examiner en peu de mots ce problème, qui tient en grande partie, ce me semble, au mécanisme de notre intelligence, et que l'on prétend expliquer par des raisons presque purement grammaticales. C'est, j'en conviens, une entreprise téméraire que de vouloir surprendre les secrets de l'esprit humain en travail : la génération de nos idées échappe à nos recherches, elle est aussi fugitive et aussi mystérieuse

que celle des êtres matériels. Mais si on ne peut la démontrer, on la sent. J'ose croire que si chacun voulait comparer ce qui lui arrive, lorsqu'après une longue méditation, les idées qu'il cherchait se présentent à lui, et que pressé par elles il s'élance pour peser de toutes ses forces du côté où lui paraît être la vérité, on serait bien convaincu que l'expression doit surgir avec la pensée. Ne croyons pas que la réflexion toute seule puisse nous fournir jamais des images et des mouvements tels que ceux qui naissent de l'inspiration! Sans doute l'homme de talent peut corriger à froid, et en prenant conseil de la raison, ce qu'il avait en quelque sorte jeté dans l'action spontanée de toutes les facultés et de toutes les puissances de son âme; sans doute il peut effacer ainsi beaucoup de fautes et ajouter parfois d'heureux détails; mais tous les grands traits, d'où dépendait l'énergie de la composition, étaient trouvés. Cette dernière opération de l'esprit est presqu'entièrement négative. Dans l'écrivain original il y a deux hommes, l'auteur et le critique, celui qui produit et celui qui juge. Dans le traducteur, il n'y en a qu'un, c'est le dernier; c'est celui qui est stérile. Et cela se conçoit. Est-il possible, quelque amoureux que l'on soit de son texte, de se transformer en autrui au point de s'exprimer comme l'eût fait l'écrivain original, s'il eût parlé dans la langue du traducteur, ainsi que le veut Dumarsais? Mais celui-là a senti, c'est-à-dire, a vu ce qu'il a peint; et vous ne pouvez le voir comme lui. L'homme, dit Bossuet, ne peut égaler ses propres pensées; comment pourrait-il égaler celles d'autrui? Il est difficile de dire aussi jusqu'à quel point celui qui compose, qui est entièrement maître de ses propres idées, les modifie parfois afin de rencontrer ces

tournures vives, saillantes, expressives, qui sont dans le génie particulier de chaque idiome. Or, c'est ce que ne peut jamais faire le traducteur, qui, n'étant point maître de son sujet, doit copier servilement les pensées et autant que possible les formes de son original, sans pouvoir en dévier. Faut-il demander maintenant pourquoi nos grands écrivains, qui imitent si souvent et si heureusement les anciens, les traduisent si peu 1? C'est que tout est possible au génie, hormis d'aller contre sa propre nature, qui est de produire librement; c'est que les grands talents se rencontrent plutôt dans leur vol, qu'ils ne se suivent à la trace aux champs de l'intelligence; c'est que quand ils empruntent à leurs devanciers, ils ne prennent que ce qui convient à leur sujet et à leur propre allure. Les traducteurs ont cela de commun avec les commentateurs, les rhéteurs, et tous ceux qui travaillent sur un fond étranger, qu'ils sont en général frappés de froideur et d'impuissance; lorsqu'ils se passionnent, par aventure, comme ils s'échauffent sur les pensées d'autrui, le lecteur ne ressent guère les mouvements de leur éloquence plus ou moins factice, et leur course ne saurait jamais être bien longue. Ceci n'est pas un système inventé à la décharge des mauvais traducteurs : c'est l'explication naturelle de ce fait, trop bien constaté, que nous n'avons point dans notre langue de traductions irréprochables des grands auteurs classiques. Ajoutons maintenant la différence des idiomes. Dans une langue

1

L'un des plus habiles prosateurs du XVIIIe siècle, J.-J. Rousseau, avait entrepris de traduire les Annales de Tacite, mais il n'alla pas au delà du premier livre, parce que, dit-il, un tel jouteur l'eût bientôt lassé.

morte, quoi qu'en puissent dire les érudits, les nuances nous échappent souvent. Telle phrase ou telle épithète offrira peut-être à dix interprètes différents autant de sens divers, et tous plus ou moins probables. Je ne prétends pas qu'il n'y ait rien à gagner dans cette rude gymnastique je la regarde au contraire comme un exercice trèsutile pour apprendre à bien écrire dans notre propre langue. Mais songer à traduire ces grands génies, et à les traduire tout entiers, c'est vraiment vouloir arracher à Hercule sa massue.

:

La conclusion de ceci, c'est que les traductions ne sauraient jamais tenir lieu des originaux, et que les meilleures sont celles qui s'en éloignent le moins.

(2) La science du gouvernement devait avoir déjà fait de grands progrès en Italie, lorsque furent jetés les premiers fondements de la constitution romaine. Cette constitution était mixte, c'est-à-dire monarchique, aristocratique et populaire. Le roi avait l'initiative des lois, faisait la paix ou la guerre, commandait les armées et assemblait le peuple; le sénat était le conseil d'État auquel se communiquaient toutes les grandes affaires; le peuple sanctionnait les lois et élisait ses magistrats.

Une des institutions qui servit le mieux à organiser l'esprit de liberté chez les Romains, ce fut la division par centuries, sous Servius-Tullius. Le peuple romain, comme l'on sait, exerçait directement son droit de souveraineté. Tous les citoyens furent divisés en 193 centuries et en six classes; le bas peuple fut mis dans la dernière centurie, qui formait la sixième classe, plus nombreuse

« IndietroContinua »