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ce calcul, que le talent seul pouvait faire. Il se décida d'abord à écrire la Conjuration de Catilina, événement qui s'était passé sous ses yeux, qui avait failli bouleverser l'État, et dont les principales causes étaient toujours imminentes. Néanmoins il semble qu'il n'acheva pas immédiatement cet ouvrage. « Une ambition malheureuse, dit-il, le précipita dans le tourbillon des affaires publiques; mais ses espérances ayant été cruellement déçues, il revint bientôt à ses études chéries. >>

Avant de le suivre sur ce terrain orageux, considérons un instant la situation des partis à cette époque. Rome, fondée par des rois, leur dut ces institutions qui firent sa prodigieuse fortune. Ces rois étaient électifs, parce qu'ils étaient avant tout des chefs de guerre. Leur pouvoir était balancé par celui des grands et du peuple. Parmi les grands se recrutait le sénat, qui formait le conseil du prince : le peuple, qui ne connaissait

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d'autre métier que la guerre, fournissait à la patrie des armées toujours prêtes. Les rois ayant cherché à se rendre indépendants de l'aristocratie, avec laquelle ils étaient le plus souvent en lutte, elle saisit l'occasion de s'en débarrasser; mais en les chassant, elle retint pour elle-même la plupart de leurs prérogatives. Alors l'opposition qui avait existé entre la royauté et les nobles recommença entre ceux-ci et le peuple. Toutefois la conduite du sénat fut si habile, et les circonstances si favorables à ses desseins, que pendant un espace de cinq siècles, en excitant et en contenant tour à tour les plébéiens, tantôt par l'amour de la liberté et de la patrie, tantôt par le frein des lois et de la religion, il parvint à se maintenir à la tête des affaires, au milieu des tempêtes civiles, des revers et des prospérités les plus inouïes.

La société romaine était à la fois politique, guerrière et religieuse. C'était sous ce

rapport, le peuple le plus fortement organisé qui fût jamais (2). Cette mission de conquérir et de gouverner le monde, qu'elle croyait tenir des dieux; cette foi en elle-même et en sa destinée, la rendait inébranlable et l'élevait au-dessus de ses ennemis dans les plus grands périls. D'autres nations ont été aussi belliqueuses et aussi braves, mais nulle n'a porté aussi loin l'art de faire la guerre, de préparer et de conserver ce qu'elle avait acquis. En même temps qu'elle pliait ses citoyens au joug de la discipline et qu'elle les rendait invincibles au dehors, elle les habituait au dedans à obéir aux lois. Elle subjuguait les peuples moins par la supériorité de ses armes que par les habiletés de sa politique. Les traités et les alliances étaient pour elle des occasions de conquêtes prochaines ou éloignées. Les autres nations furent guerrières par accès; Rome le fut par principe, le fut constamment, et ne cessa de l'être que quand elle eut tout envahi : alors

b.

elle perdit ses vertus politiques et sa liberté. On sent qu'une telle société, fondée sur la force et sur un patriotisme ardent, mais égoïste, quelque grande, quelque puissante, quelque intelligente qu'elle fût, devait finir par se détruire de ses propres mains, lorsqu'elle se trouverait seule vis-à-vis d'ellemême.

On a beaucoup discuté sur les dissensions qui s'élevèrent à Rome entre les divers ordres de l'État, et l'on a généralement considéré comme un grand progrès le triomphe définitif du peuple, ou plutôt des plébéiens, sur l'aristocratie. Mais pour bien juger de telles questions, il faut distinguer les diverses époques de la république, et surtout prendre garde d'y mêler les idées de notre temps. Tant que les guerres dans lesquelles se trouvait engagée la nation l'exposèrent à des périls assez graves pour compromettre son existence, l'union entre les différentes classes, quoique fréquemment troublée, se main

tenait par la crainte de l'ennemi commun1. Il existait entre le peuple et l'aristocratie de vieux liens de respect et d'affection qui finissaient toujours par amener les partis opposés à des concessions réciproques. Tant que Rome eut à soutenir une lutte à mort avec les différentes peuplades de l'Italie et avec Carthage, le sénat, composé en grande partie d'illustres guerriers qui avaient commandé sur le champ de bataille à ces mêmes soldats citoyens dont ils devaient venir briguer les suffrages sur la place publique, les ménageait et en était ménagé. Si quelques nobles étaient animés d'un orgueil héréditaire et intraitable qui les rendait odieux au peuple, d'autres cherchaient à captiver sa bienveillance et se déclaraient hautement ses défenseurs. L'on comprend quelle devait être l'influence d'un chef habile et heureux sur ceux dont il avait partagé les fatigues et les

1 Metus hostilis in bonis artibus civitatem retinebat. SALLUSTE.

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