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Le gouvernement était donc essentiellement aristocratique : chaque fois que Rome se trouvait sérieusement menacée, elle tournait ses regards vers le grand conseil de la nation; c'était de lui qu'elle attendait son salut. L'autorité dirigeante était dans le sénat; et il faut bien qu'elle soit quelque part, or elle n'est nulle part quand tout le monde se la dispute. Comment, ce qui est nécessaire dans la famille, ne le serait-il pas dans l'État? Qu'est-ce qu'un gouvernement où le grand ressort du respect et de la crainte est ôté? La liberté peut-elle y régner encore, si ce n'est au profit des factieux et des méchants? Les Romains résistèrent avec une constance admirable à tous les coups de la fortune, à l'adversité, et même à la prospérité. Pendant la seconde guerre punique, ils éprouvèrent une suite de défaites accablantes : la république semblait perdue. Que serait-il arrivé en pareille occurrence, à Athènes ou dans quelques-unes de nos communes belges du

moyen âge, si célèbres par

leur amour pour

la liberté? On eût crié de toute part à la lâcheté, à la trahison; les généraux et les chefs de l'État eussent été proscrits ou mis en pièces par le peuple. A Rome, tout reste calme; chacun se serre autour du gouvernement; on lui obéit avec plus de zèle que dans les temps ordinaires; et la république est sauvée par le concours de toutes les forces et de toutes les volontés. Les succès même ne faisaient point sortir ce peuple de son caractère. Pendant cette même guerre, les Romains gagnèrent de grandes batailles en Sicile, en Espagne, en Italie: toujours même sagesse d'une part, et même modération de l'autre. On ne les vit point s'enivrer de leurs triomphes et devenir ingouvernables; tant que le danger existe, tant qu'Annibal et Carthage restent debout, Rome redouble d'efforts, et elle ne s'arrête point qu'elle ne les ait terrassés.

Mais après la chute de sa rivale, cette

énorme puissance, désormais sans contrepoids, s'accrut sans mesure; elle fit de faciles conquêtes qui lui procurèrent d'immenses richesses; elle perdit ses mœurs, oublia ses principes, et sa vieille constitution périt. Comme il arrive d'ordinaire, la corruption commença par les classes élevées et par le Gouvernement, puis elle se propagea dans le peuple et devint incurable. Les divisions qui existaient là, comme elles existaient partout, entre les divers ordres de l'État, dégénérèrent en guerres 1 intestines telle

1 La lutte entre les patriciens et les plébéiens présente plusieurs phases. D'abord les plébéiens ne cessent de réclamer l'égalité des droits et l'admissibilité à toutes les charges de l'État; ils y parviennent successivement (3). Et ici les nobles se contentent de disputer le terrain pied à pied. Mais l'aristocratie, qui s'était montrée assez traitable en abandonnant une grande partie de ses prérogatives, opposa une résistance désespérée aux lois agraires, qui attaquaient ses propriétés on sait comment finirent les Gracques... Cette mordante réflexion est de Machiavel.. Toutefois Machiavel n'a pas complétement signalé, ce me semble, la véritable raison de cette différence de conduite.

ment furieuses, qu'elles ne s'éteignirent qu'avec la république 1.

En effet, les lois où il n'était question que de droits politiques, pouvaient bien préparer dans l'avenir une révolution en excitant les passions populaires; mais elles ne mettaient pas immédiatement l'État en péril, comme les lois agraires, qui, en revendiquant des biens depuis longtemps usurpés et dénaturés, aliénés ou partagés, devaient renverser violemment la fortune d'une foule de particuliers. Ces lois constituaient, non de simples changements politiques, mais une véritable crise sociale, une spoliation, un appel à la force brutale: c'était le signal d'une guerre imminente et atroce entre le pauvre et le riche.

En définitive, tel fut le résultat de cette longue querelle entre les tribuns et les aristocrates de Rome: ceux-là y gagnèrent de pouvoir occuper toutes les places de magistrature jusqu'au consulat inclusivement et d'épouser des patriciennes; mais le peuple, constamment leurré de vaines promesses de lois agraires, d'abolitions de dettes, etc., n'en fut pas moins misérable. Il n'en faut point conclure que l'opposition ne soit pas nécessaire sous un régime de liberté, puisqu'elle est au contraire de l'essence de cette sorte de gouvernement; mais que pour être vraiment utile, elle doit se montrer avant tout, sage, loyale et patriotique.

1 Tacite s'exprime sur ce point comme Salluste. «< Vetus >> ac pridem insita mortalibus potentiæ cupido, cum im>> perii magnitudine adolevit erupitque. Nam rebus mo» dicis, æqualitas facile habebatur: sed ubi subacto orbe,

Une noblesse nouvelle, la noblesse d'argent, celle des financiers, des publicains, des entrepreneurs, enrichis par le maniement des deniers publics, par la spoliation des provinces conquises ou alliées, par les usures et les rapines, envahit toutes les magistratures et tous les pouvoirs. Ces hommes furent sans pitié pour le peuple, dont ils étaient sortis, qu'ils méprisaient et dont ils étaient méprisés. La vieille aristocratie suivit leur exemple; elle s'allia et se confondit avec eux; et le peuple, le vrai peuple romain, écrasé par la misère, disparut à jamais. Une tourbe innombrable de prolétaires et d'affranchis de toutes les nations, le

» et æmulis urbibus regibusque excisis, securas opes con» cupiscere vacuum fuit, plera inter patres plebemque >> certamina exarsere modo turbulenti tribuni, modo >> consules prævalidi, et in urbe ac foro tentamina civi>> lium bellorum. Mox ex plebe infima C. Marius, et nobi>> lium sævissimus, L. Sulla, victam armis libertatem in >> dominationem verterunt. Post quos, Cn. Pompeius, >> occultior, non melior. Et nunquam postea, nisi de prin>>cipatu quæsitum. » Hist. II, 38.

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