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» l'un, pour la perfection de son style, l'autre, » pour la profondeur des idées... Il s'en faut

Si le peuple n'a aucune part au gouvernement, le roi ou les nobles abuseront de leurs avantages, et il sera tôt ou tard opprimé; s'il en a trop, s'il veut diriger les affaires par lui-même, ou par ses créatures, tout tombe en confusion. Il y a pourtant quelque chose de plus funeste et de plus redoutable encore que l'abus de la liberté, c'est l'abus de la puissance illimitée. « Contre elle, dit Bossuet*, il n'y » a point de barrière ni d'hospitalité qui ne soit trompeuse, » ni de rempart assuré pour la pudeur, ni enfin de sûreté >> pour la vie des hommes... Avouons de bonne foi qu'il n'y >> a point de tentation égale à celle de la puissance, ni rien » de plus difficile que de se refuser quelque chose, quand >> les hommes vous accordent tout et qu'ils ne songent qu'à >> prévenir ou même à exciter vos désirs. Il y en a, poursuit » Bossuet, qui, touchés de ces inconvénients, cherchent » des barrières à la puissance royale. Ce qu'ils proposent » comme utile, non-seulement aux peuples, mais aux rois, >> dont l'empire est plus durable lorsqu'il est plus réglé...» Et voici ce qu'il répond: « Sans se donner un vain tourment >> à chercher dans la vie humaine des secours qui n'aient >> point d'inconvénients, et sans examiner ceux que les >> hommes ont inventés dans l'établissement des gouver»> nements divers, il faut aller à des remèdes plus géné>> raux, à ceux que Dieu lui-même a ordonnés aux rois » contre les tentations de la puissance...

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bien, ajoute-t-il, que la morale et la politi» que de Salluste vaillent celles de Tacite,

Ici nous entrons dans un nouvel ordre d'idées, dans l'ordre des idées chrétiennes, qui tendent à réformer le monde politique en réformant le monde moral. Toutefois, quoique Bossuet, trop dominé sans doute par les opinions de son siè cle, donne la préférence à la monarchie absolue tempérée par le christianisme, sur les autres formes de gouvernements, il ne veut pas qu'elle soit arbitraire. Écoutez ces magnifiques paroles: « Il y a, dit-il, des lois dans les em» pires contre lesquelles tout ce qui se fait est nul de >> droit; il y a toujours lieu à revenir contre, ou dans d'au>> tres occasions, ou dans d'autres temps... L'action contre » les injustices et contre les violences est donc immor>> telle. >>>

Ceux qui veulent faire essentiellement dépendre de telle ou de telle forme de gouvernement le bonheur d'une nation, prouvent qu'ils n'ont guère profité des leçons de l'histoire. Il

y a eu beaucoup de grands rois, il y en a eu très-peu de bons. Les rois me semblent avoir été les plus dangereux ennemis de la royauté. On ne citerait peut-être pas une seule révolution, parmi les plus fatales à leur puissance, dont ils n'aient été les complices directement ou indirectement. Si la royauté est aujourd'hui si discréditée en Europe, c'est surtout à elle-même qu'elle doit s'en prendre : c'est que les rois ne savent ni par qui ni pour qui ils règnent; c'est qu'ils ne savent point distinguer leurs amis de leurs ennemis; c'est que beaucoup ne savent se faire

» qui dans ce genre n'a rien au-dessus de lui, etc.

aimer ni respecter; c'est que l'expérience est sans enseignements pour eux*. La liberté des États n'est pas dans la forme républicaine; car peu de républiques ont su la concilier avec la justice: elle n'est pas non plus dans l'acte écrit, octroyé ou voté, sous le nom de charte ou de constitution; car on l'élude facilement : il faut donc chercher encore ailleurs de véritables garanties pour les nations.

L'histoire ancienne et l'histoire moderne s'éclairent et se contrôlent l'une par l'autre aux yeux de l'observateur. On devine le passé par le présent; et l'on juge mieux le présent, si l'on compare avec attention les événements arrivés de notre temps à ceux d'autrefois. Au fond, ce sont toujours les mêmes hommes et les mêmes passions qui s'agitent, et des circonstances analogues ramènent à peu près les mêmes résultats. Sans vouloir exclure la part de la Providence, qui tient en ses mains les destinées des nations et qui déjoue souvent toutes nos prévisions, il est évident que la différence est grande entre celui qui, dans l'appréciation des affaires humaines, marche éclairé par l'expérience des siècles, et celui qui ne connaît d'autre lumière que ses pensées propres et son expérience individuelle. Si cela ne m'éloignait trop de mon sujet, je pourrais citer tels hommes d'État, fort distingués d'ailleurs, auxquels il n'a manqué

* Nous avons développé ces idées en parlant des causes de la révolution française, et des révolutions de 1789 et de 1830, en Belgique, sous Joseph II et Guillaume 1er, dans notre Histoire du royaume des Pays-Bas.

>> On ne peut pas dire de lui, comme de

qu'une connaissance plus approfondie de l'histoire pour éviter beaucoup de méprises. Combien de simples citoyens, dans des États libres, jouissant d'une honnête position sociale, mais avides de se créer une influence et une réputation populaires, ont contribué de toute leur âme à soulever des questions et des passions dont ils ignoraient la force et la tendance, qu'ils croyaient pouvoir arrêter à leur point de vue, et dont ils devaient être les premières victimes! Que remarquons-nous en définitive dans l'histoire? Quelques nations s'élèvent au-dessus des autres, grâce à de sages institutions, et aux grands hommes qui les gouvernent. Tant que ces institutions restent debout, ces nations prospèrent. Rome croît en puissance et en vertus jusqu'à la fin de la seconde guerre punique; Athènes s'élève au faîte de la gloire en luttant contre Xercès. Mais bientôt ceux que la crainte et le danger avaient réunis, se divisent; les partis se forment, et chacun veut dominer. La multitude prend le dessus sous prétexte qu'elle est la plus nombreuse, la plus forte et la plus mal partagée; les démagogues l'excitent contre ceux qui tiennent le pouvoir et les richesses, et cela avec d'autant plus de facilité, que les plus puissants sont souvent les plus corrompus. Dès lors il n'y a plus de république. Liége et Gand ont eu, comme Athènes et Rome, leurs Cléons et leurs Clodius, toujours parlant des libertés du peuple, des droits du peuple, des franchises du peuple, le ruant contre les nobles, contre les riches, contre les meilleurs citoyens, contre le prince, et poussant vigou

» Salluste, que ce n'est qu'un parleur de » vertu 1. » C'est là, nous paraît-il, un jugement bien tranchant, et qui n'apprend rien au lecteur parce qu'il ne va pas au fond des choses. M. de La Harpe ne tient aucun compte des temps dans lesquels ont vécu ces trois écrivains et qui ont dû imprimer une physionomie particulière à cha

reusement l'État à sa ruine; et puis, quand le pays est détruit, quand tout est renversé, on est trop heureux de se réfugier sous un maître absolu.

Toutefois, une distance incommensurable sépare le monde ancien du monde moderne. Là, toute civilisation périt avec une religion toute humaine; et elle entraîne dans sa chute les gouvernements et les nations. Chacun sait ce que Rome était devenue sous ses empereurs. Aujourd'hui un État qui se corrompt est exposé encore à d'épouvantables catastrophes; mais qu'il retourne aux principes constitutifs de toute société chrétienne, à ces principes qui mettent un frein aux passions et aux intelligences désordonnées, et il peut se relever plein de jeunesse et de vigueur. De même que l'humanité communique à ses propres œuvres le germe de destruction qui est en elle, de même le christianisme ressuscite à la vie tout ce qui vient se retremper à sa source divine. Nous reviendrons plus tard sur ces idées. 1 Cours de littérature, 1. III, c. 1.

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