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Du fond de sa retraite, dont il ne sortit qu'en 1678, il dirigea sa plume contre les Calvinistes et produisit la Perpétuité de la foi. Plusieurs écrivains ont attribué cet ouvrage à Nicole, son ami et son compagnon de solitude : d'autres se sont bornés à dire que Nicole fut le collaborateur d'Arnauld. Quoi qu'il en soit, ce livre, monument de génie et d'érudition, vrai modèle de dialectique dans les controverses, fit une grande sensation dans le monde, enleva des partisans nombreux à la réforme et conquit à Arnauld les suffrages des deux puissances. Il y ajouta encore le Renversement de la morale de Jésus-Christ par les Calvinistes.

Arnauld vécut en paix quelque temps, et Louis XIV lui-même le reçut avec faveur. Mais bientôt il se rejeta dans le labyrinthe des disputes jansénistes, où il dépensa malheureusement la plus grande partie de ses talents et de sa vie. Il quitta la France et se réfugia dans les Pays-Bas en 1679. Là, il se rendit encore utile à la cause catholique en publiant son Apologie du clergé de France et des catholiques d'Angleterre, contre le ministre Jurieu, ouvrage qui, au jugement de Racine, présente la force et l'éloquence des Philippiques de Démosthène.

Arnauld ne tarda pas à se jeter dans une controverse nouvelle et fort longue contre le P. Malebranche, à l'occasion de son Traité de la nature et de la grâce. Ce docteur voulant tourner son adver saire, au lieu de le combattre de face, l'attaqua d'abord au sujet de l'opinion que l'on voit tout en Dieu, exposée dans la Recherche de la vérité. Ce fut l'occasion du Traité des vraies et fausses idées, par lequel il débuta dans cette longue querelle qui dura jusqu'à sa mort, arrivée à Bruxelles en 1694. Arnauld avait quatre-vingt-deux ans, dont il en avait passé soixante dans les agitations d'une controverse interminable, ne produisant que de temps à autre des ouvrages vraiment utiles à la religion, et qui ont seuls survécu aux subtilités de son époque.

Cent quarante volumes, qui ont paru sous son nom, dont plusieurs sont dus à la collaboration de Pascal et de Nicole, attestent dans cet homme une activité incroyable, jointe à une capacité rare et à un fonds inépuisable d'érudition. On doit déplorer qu'à une époque si féconde en grands écrivains, la controverse la plus subtile, la plus opiniâtre et la plús multiforme qui fût jamais, ait consommé tant de ressources intellectuelles et produit tant d'ouvrages qui dorment d'un sommeil éternel dans la poussière des bibliothèques.

EXTRAITS D'Arnauld.

Règles pour la recherche de la vérité.

Ces règles sont, ce me semble, si raisonnables, que je ne crois pas qu'il y ait aucun homme de bon sens qui ne les approuve, et qui au moins ne demeure d'accord qu'on ne saurait mieux faire que de les observer quand on le peut, et que c'est le vrai moyen d'éviter dans les sciences naturelles beaucoup d'erreurs, auxquelles on s'engage souvent sans y penser.

La première est de commencer par les choses les plus simples et les plus claires, et qui sont telles, qu'on n'en peut douter, pourvu qu'on y fasse attention.

La deuxième, de ne point brouiller ce que nous connaissons clairement par des notions confuses dont on voudrait que nous nous servissions pour l'expliquer davantage, car ce serait vouloir éclairer la lumière par les ténèbres.

La troisième est de ne point chercher de raisons à l'infini, mais de demeurer à ce que nous savons être de la nature d'une chose, ou en être certainement une qualité; comme on ne doit point demander de raison pourquoi l'étendue est divisible et que l'esprit est capable de penser, parce que la nature de l'étendue est d'être divisible, et que celle de l'esprit est de penser.

La quatrième est de ne point demander de définition des termes qui sont clairs d'eux-mêmes, et que nous ne pourrions qu'obscurcir en les voulant définir, parce que nous ne pourrions les expliquer que par de moins clairs. Tels sont les mots de penser et d'être dans cette proposition: Je pense, donc je suis. De sorte que c'était une fort méchante objection que celle qui fut faite à M. Descartes, en ces termes, dans les sixièmes objections: Afin que vous sachiez que vous pensez, et que vous puissiez conclure de là que vous êtes, vous devez savoir ce que c'est que penser et ce que c'est qu'être; et ne sachant pas encore ni l'un ni l'autre, comment pouvez-vous être certain que vous êtes, puisqu'en disant je pense, vous ne savez pas ce que vous dites, et que vous le savez aussi peu en disant: Donc je suis. A quoi M. Descartes a répondu qu'il n'y a personne qui ne sache assez ce que c'est que penser et ce que c'est qu'être, sans avoir besoin qu'on lui ait jamais défini ces mots, pour être très-assuré qu'il ne se trompe pas quand il dit : Je pense, donc je suis.

La cinquième est de ne pas confondre les questions où on doit répondre par la cause formelle, avec celles où on doit répondre par la cause efficiente, et de ne pas demander de cause formelle de la

cause formelle, ce qui est une source de beaucoup d'erreurs, mais répondre alors par la cause efficiente. On entendra mieux cela par un exemple. On me demande pourquoi ce morceau de plomb est rond, je puis répondre par la définition de la rondeur (ce qui est répondre par la cause formelle) en disant que c'est parce que, si on conçoit des lignes droites tirées de tous les points de la surface que l'on voudra à un certain point du dedans de ce morceau de plomb, elles sont toutes égales. Mais si on continue à demander d'où vient que la surface extérieure de ce plomb est telle que je viens de dire, et qu'elle n'est pas disposée comme elle devrait être, afin que ce plomb fût un cube, un péripatéticien en cherchera une autre cause formelle, en disant que c'est à cause que ce plomb a reçu une nouvelle qualité appelée rondeur, qui a été tirée du sein de sa matière pour le rendre rond, et qu'il n'a pas une autre qualité qui l'aurait déterminé à être cube. Mais le bon sens doit faire répondre par la cause efficiente, en disant que la surface extérieure de ce morceau de plomb est telle que l'on vient de dire, parce qu'étant fondu il a été jeté dans un moule creux dont la surface concave était telle, qu'il fallait pour rendre la convexe du plomb telle qu'il fallait, afin que tous ses points, etc.

La sixième est de prendre bien garde de ne pas concevoir les esprits comme les corps, ni les corps comme les esprits, en attribuant aux uns ce qui ne convient qu'aux autres; comme quand on attribue aux corps la crainte du vide, et aux esprits d'avoir besoin de la présence locale de leurs objets pour les apercevoir.

La septième, de ne pas multiplier les êtres sans nécessité, ainsi qu'on fait si souvent dans la philosophie ordinaire; comme lorsque, par exemple, l'on ne veut pas que les divers arrangements et configuration des parties de la matière suffisent pour faire une pierre, de l'or, du plomb, du feu, de l'eau, s'il n'y a encore une forme substantielle de-pierre, d'or, de plomb, de feu, d'eau, réellement distinguée de tout ce que l'on peut concevoir d'arrangements et de configurations des parties de la matière.

Axiomes.

1. On ne doit recevoir pour vrai, quand on prétend savoir les choses par science, que ce que l'on conçoit clairement.

2. Rien ne nous doit faire douter de ce que nous savons avec une entière certitude, quelque difficulté qu'on nous puisse proposer contre 1.

'C'est là un des axiômes les plus sûrs et les plus utiles dans la recherche

3. C'est un visible renversement d'esprit de vouloir expliquer ce qui est clair et certain par des choses obscures et incertaines.

de la vérité; cependant c'est l'un des plus fréquemment violés, surtout lorsqu'il s'agit de la vérité religieuse. Nous devons appeler sur ce principe l'attention du lecteur, afin qu'il s'en pénètre profondément, et qu'il se préserve ainsi d'une éternelle mobilité d'opinions. Il n'y a aucune vérité contre laquelle on ne puisse faire, et contre laquelle on n'ait fait des objections; mais lorsqu'une démonstration est établie, les objections ne doivent point réagir sur la conviction acquise, parce que la démonstration est fondée sur des connaissances certaines, et que les objections, s'il s'en trouve, viennent de notre ignorance, et de ce que nous n'avons pas une idée complète de la chose démontrée. Aussi Bayle a-t-il observé que l'incompréhensibilité d'un dogme, et l'insolubilité des objections qui le combattent, ne sont pas des raisons légitimes de le rejeter. Bossuet fait la même remarque dans son Traité du libre arbitre, dont le chapitre 4 est consacré à prouver au long que la raison nous oblige à croire deux vérités certaines, alors même que nous ne voyons pas comment elles se concilient ensemble, Il finit par dire: « Il faut, pour ainsi parler, tenir fortement comme les deux bouts de la chaîne, quoiqu'on ne voie pas tou jours le milieu par où l'enchaînement se continue. »

M. le comte de Maistre a expliqué d'une façon piquante cette règle fondamentale d'une bonne logique :

<< Aucune objection ne peut être admise contre la vérité, autrement la vérité ne serait plus elle. Dès que son caractère est reconnu, l'insolubilité de l'objection ne suppose plus que défaut de connaissance de la part de celui qui ne sait pas la résoudre. On a appelé en témoignage contre Moïse l'histoire, la chronologie, l'astronomie, la géologie, etc.; les objections ont disparu devant la véritable science; mais ceux-là furent grandement sages qui les méprisèrent avant tout examen, ou qui ne les examinèrent que pour trouver la réponse, mais sans douter jamais qu'il y en eût une. L'objection mathématique même doit être méprisée; car elle sera sans doute une vérité démontrée, mais jamais on ne pourra démontrer qu'elle contredise la vérité antérieurement démontrée.

» Posons en fait, que par un accord suffisant de témoignages historiques (que je suppose seulement), il soit parfaitement prouvé qu'Archimède brûla la flotte de Marcellus avec un miroir ardent; toutes les objections de la géométrie disparaissent. Elle aura beau me dire; Mais ne savez-vous pas que tout miroir ardent réunit les rayons au quart de son diamètre de sphéricité; que vous ne pouvez éloigner le foyer sans diminuer la chaleur, à moins que vous n'agrandissiez le miroir en proportion suffisante, et qu'en donnant le moins d'éloignement possible à la flotte romaine, le miroir capable de la brûler n'aurait pas été moins grand que la ville de Syracuse? qu'avez-vous à répondre à cela? Je lui dirai; J'ai à vous répondre qu'Archimède brûla la flotte avec un miroir ardent. Kircher vient ensuite m'expliquer l'énigme; il retrouve le miroir d'Archimède (tulit alter honores) et des écrivains ensevelis dans la poussière des bibliothèques en sortent pour rendre témoignage au génie de ce docte moderne. J'admirerai fort Kircher; je le remercierai même: cependant je n'avais pas besoin de lui pour croire. On disait jadis au célèbre Copernic: Si votre système était vrai, Vénus aurait des phases comme la lune; elle n'en a pas cependant: donc toute la nouvelle théorie s'évanouit. C'était bien une objection mathématique dans toute la force du terme. Suivant une ancienne tradition, dont je ne sais plus retrouver l'origine dans ma mémoire il répondit: J'avoue que je n'ai rien à répondre; mais Dieu fera la grâce qu'on trouve une réponse. En effet, Dieu fit la grâce, mais après la mort du grand homme, que Galilée trouvât les lunettes d'approche avec lesquelles il vit les phases: de manière que l'ob

4. On doit rejeter comme imaginaires de certaines entités, dont on n'a aucune idée claire, et qu'on voit bien qu'on n'a inventées que pour expliquer des choses qu'on s'imaginait ne pouvoir bien comprendre sans cela.

5. Et cela est encore plus indubitable quand on les peut fort bien expliquer sans ces entités inventées par les nouveaux philosophes '.

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De la science. Qu'il y en a. -Que les choses qu'on connaît par l'esprit sont plus certaines que celles qu'on connaît par les sens. Qu'il y a des choses que l'esprit humain est incapable de saisir. Utilité que l'on peut tirer de cette ignorance nécessaire 2.

Si, lorsque l'on considère quelque maxime, on en connaît la vérité en elle-même, et par l'évidence qu'on y aperçoit, qui nous persuade sans autre raison, cette sorte de connaissance s'appelle intelligence; et c'est ainsi que l'on connaît les premiers principes.

Mais si elle ne nous persuade pas par elle-même, on a besoin de quelque autre motif pour s'y rendre, et cet autre motif est ou l'autorité ou la raison; si c'est l'autorité qui fait que l'esprit embrasse tout ce qui lui est proposé, c'est ce qu'on appelle foi; si c'est la raison, alors ou cette raison ne produit pas une entière conviction, mais laisse encore quelque doute, et cet acquiescement d'esprit accompagné de doute, est ce qu'on nomme opinion.

Que si cette raison nous convainc entièrement, alors ou elle n'est claire qu'en apparence et faute d'attention, et la persuasion qu'elle produit est une erreur si elle est fausse en effet, ou du moins un jugement téméraire, si étant vraie en soi, on n'a pas eu néanmoins assez de motifs de la croire véritable.

Mais si cette raison n'est pas seulement apparente, mais solide et véritable, ce qui se reconnaît par une attention plus longue et plus exacte, par une persuasion plus ferme, et par la quantité de clarté qui est plus vive et plus pénétrante, alors la conviction que cette raison produit s'appelle science sur laquelle on forme diverses questions.

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La première est, s'il y en a ; c'est-à-dire, si nous avons des connaissances fondées sur des raisons claires et certaines, ou, en gé

ection insoluble devient le complément de la démonstration. Cet exemple fournit un argument qui me paraît de la plus grande force dans les discussions religieuses, et plus d'une fois je m'en suis servi avec avantage sur quelques bons esprits. (Soirées de Saint-Pétersbourg).

Des vraies et fausses idées, c. 2 et 5.

2. Cet extrait se trouve dans la Raison du christianisme, t. 1, p. 138. Quoiqu'il s'étende du moins en partie, au delà des limites de la question présente, qui est l'exposition de l'ordre logique, j'ai pensé qu'il était préférable de le donner en son entier que de le mutiler.

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