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tion que dans un temps comme le nôtre, où tout le monde se mêle de parler de tout, et même d'en décider. C'est alors principalement qu'il convient de tâcher, par l'examen des premières notions des choses, à bien entendre celles dont on parle, et à donner ainsi quelque exactitude aux raisonnements qu'on se permet.

» Si l'on ne m'a point flatté, cet ouvrage servira du moins à rendre intelligibles des sujets qui communément ne le paraissent pas, et qui néanmoins sont essentiels : les plus ordinaires dépendant d'idées précises et un peu abstraites, avec lesquelles il faut s'accoutumer, pour ne pas s'exposer à porter des jugements faux ou défec

tueux.

» Au reste, rien ne doit moins effrayer que les idées de précision et d'abstraction. Pour se familiariser imperceptiblement avec celles de ce Traité, il faut seulement lire peu à la fois, et se donner le loisir de réfléchir sur ce qu'on aura lu. Il est certain que parmi un grand nombre de personnes qui ont vu les ouvrages des plus célèbres métaphysiciens de ce temps, ceux qui les ont entendus, entendront aussi le mien, et beaucoup plus facilement. Si le chemin que semblaient faire quelques philosophes paraît raccourci dans ce que je dis, c'est que la vraie science consiste moins à savoir beaucoup, qu'à savoir avec précision et netteté. Il s'agit pour cela de regarder de près où l'on porte chaque pas et surtout le premier, pour n'en faire aucun qui ne soit sûr. »

La première question est celle-ci : Faut-il admettre des premières vérités dans les différents objets de nos connaissances ? Une telle question ne peut arrêter longtemps un esprit solide et de bonne foi; car il est clair que nous ne pouvons rien prouver qu'à l'aide de certains principes déjà admis. S'il fallait prouver ceux-ci, il en fau

beaucoup d'autorité au sen's commun, et il est en cela d'accord avec tous les hommes sages; mais il n'est point tombé à cet égard dans les exagérations qui ont été reprochées à M. de La Mennais et à ses disciples. Nous ne voyons pas que, pour ériger le sens commun, il abatte et réduise à rien nos moyens individuels de connaissance, comme le fit l'auteur de l'Essai sur l'indifférence. Cette remarque est importante, pour éviter qu'on ne s'alarme lorsqu'on voit un auteur reconnaître la force du sens commun parce qu'on a exagéré d'un côté, il ne faut pas exagérer de l'autre. Ceux qui ont combattu et condamné la doctrine de l'Essai sur l'indifférence n'ont pas entendu proscrire le sens commun, comme les disciples de cette école l'ont répété souvent. Non, l'exagération seule a été repoussée des hommes sages, comme conduisant au scepticisme, et à un protestantisme philosophique tout à fait vague et indéfinissable. J'ai cru devoir faire ces observations afin de garantir le livre du P. Buffier du discrédit qui pourrait s'attacher à un ouvrage qui a été réimprimé pour servir d'appendice au tome II de l'Essai sur l'indifférence en matière de reùgion.

drait encore d'autres qui auraient besoin d'être prouvés à leur tour, jusqu'à l'infini. Donc, l'esprit humain serait dans une éternelle impossibilité de trouver un point d'appui, et à force de vouloir raisonner, on rendrait son raisonnement impossible. Concluons de là que, comme il y a des choses trop claires pour être définies, il y en a de trop certaines pour être démontrées. Les amateurs de subtilités peuvent bien discuter à perte de vue sur un sujet si simple ; mais en écoutant la voix de la nature, en prenant l'humanité telle qu'elle est, d'une manière pratique, nous écarterons ces vaines subtilités comme dignes tout au plus d'amuser les oisifs qui font de la philosophie une escrime, et de la raison une abstraction. Demander s'il faut admettre des vérités premières, antérieures à tout raisonnement, c'est demander s'il faut rejeter le Pyrrhonisme, dont j'aurai occasion de parler dans la suite de ce livre.

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Mais s'il faut admettre des vérités premières, quelles sont les niarques caractéristiques auxquelles on peut les discerner? Quoiqu'il se trouve une diversité apparente dans l'opinion des hommes qui se sont occupés de cette matière, ils s'accordent cependant à produire certaines marques par lesquelles on peut facilement constater les principes lorsqu'on veut suivre la voix de la nature, et prendre au sérieux la recherche de la vérité. Ces marques sont : que ses principes soient si clairs, qu'on ne puisse les prouver par des connaissances antérieures et plus claires; 2o qu'ils soient si universellement reçus parmi les hommes en tout temps et en tout lieu, et par toutes sortes d'esprits, que ceux qui les contestent se trouvent dans le genre humain être manifestement moins d'un contre cent, ou même contre mille; 3o d'être si fortement imprimés dans nous, que nous y conformions notre conduite, malgré les raffinements de ceux qui imaginent des opinions contraires.

Voici quelques-unes de ces premières vérités, exposées par Arnaud dans son Traité des vraies et fausses idées, dirigé contre le P. Mallebranche'. J'en tranche ce qu'il y a de spécial à l'égard de son adversaire.

« Rien ne nous est plus certain que la connaissance que nous avons de ce qui se passe dans notre âme, quand nous nous arrêtons là. Il m'est très-certain, par exemple, que je conçois des corps quand je crois concevoir des corps, quoiqu'il puisse n'être pas certain que les corps que je conçois, ou soient véritablement, ou soient tels que je les conçois.

1 Cologne, 1683.

>> Il est certain que j'ai un corps, et que la terre, le soleil, la lune et beaucoup d'autres corps que je connais comme existants hors de mon esprit, existent véritablement hors de mon esprit.

La conséquence est nécessaire de l'acte au pouvoir, c'est-àdire qu'il est certain que qui fait une chose, a le pouvoir de la faire, et par conséquent que l'on doit dire qu'il a cette faculté.

» Je demande que chacun fasse une sérieuse réflexion sur ce qui se passe dans son esprit, lorsqu'il connaît diverses choses, en considérant tout ce qu'il y remarquera par une simple vue, sans raisonner ni chercher ailleurs des comparaisons prises des choses corporelles, et ne s'arrêtant que sur ce qu'il verra être si certain qu'il n'en puisse douter.

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Et, si quelqu'un ne le peut pas faire de lui-même, je lui demande qu'il me suive, et qu'il examine de bonne foi si ce que je dirai m'être clair ne lui sera pas aussi clair et certain.

» 1. Je suis assuré que je suis, parce que je pense; et qu'ainsi je suis une substance qui pense.

» 2. Je suis plus certain que je suis, que je ne le suis que j'ai un corps, ou qu'il y a d'autres corps. Car je pourrais douter qu'il y a des corps, que je ne pourrais pas pour cela douter que je ne fusse.

>>

3. Je connais l'ètre parfait, l'être même, l'être universel; et ainsi je ne puis douter que je n'en aie l'idée, en prenant l'idée d'un objet pour la perception d'un objet.

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4. Je suis assuré que je connais des corps, quand je pourrais douter s'il y en a qui existent; car il me suffit que je les connaisse comme possibles. Et, quand je connaîtrais un corps comme existant qui ne le serait pas, je me tromperais en cela; mais il ne serait pas moins vrai que ce corps serait objectivement dans mon esprit, quoiqu'il n'existât pas hors de mon esprit.

» 5. Quand mes sens ne pourraient m'assurer de l'existence des choses matérielles, la raison m'en assurerait, en ajoutant à mes sentiments que Dieu ne saurait être trompeur; et par conséquent il m'est très-certain que quand je vois la terre, le soleil, les étoiles, des hommes qui m'entretiennent, ce ne sont point des corps. ou des hommes imaginaires que je vois, mais les ouvrages de Dieu, et de véritables hommes que Dieu a créés comme moi. Et il ne m'importe qu'entre mille de ces objets il y1 en puisse avoir quelqu'un qui ne serait que dans mon esprit, il me suffit, pour ce que je prétends, que je ne puisse douter, de quelque côté que me vienne cette certitude, de la raison ou de la foi, que pour l'or

dinaire les corps que je crois voir sont de véritables corps qui existent hors de moi.

>> 6. Il ne m'est pas moins certain que je connais une infinité d'objets en général, et non-seulement en particulier : comme le nombre pair en général, ce qui comprend une infinité de nombres, un nombre carré en général, et ainsi des autres; qu'il en est de même des corps, connaissant certainement un cube en général, un cylindre, une pyramide, quoiqu'il y en ait de chacune de ces espèces d'une infinité de grandeurs différentes.

» 7. Je ne puis douter aussi que je ne connaisse les choses en deux manières, ou par une vue directe ou par une vue expressément réfléchie, comme quand je fais réflexion sur l'idée ou la connaissance que j'ai d'une chose, et que je l'examine avec plus d'attention, pour reconnaître ce qui est enfermé dans cette idée.»

Je vais maintenant laisser parler le P. Buffier, et reproduire, au moins dans ce qu'elle a d'essentiel, la première partie de son Traité des premières vérités. C'est une simple exposition qui sera justifiée dans la troisième partie de ce livre, où je traiterai de la certitude.

EXTRAIT DU P. BUFFIER.

I. DESSEIN ET DIVISION DE L'OUVRAGE. Le sujet que je traite en ce volume est peut-être celui qui fournit le plus à espérer pour les lecteurs, et le plus à craindre pour l'auteur. Connaître les vérités dans leur source, faire une analyse de celles où il faut remonter pour établir tout ce qui a besoin d'être prouvé, et au delà desquelles on ne remonte point; rapporter des principes qui se fassent jour au travers des préjugés du peuple, de l'embarras des écoles, de la prévention même de certains savants ou philosophes à la mode : rien est-il plus capable d'intéresser?

2. En effet, le discernement des premières vérités est comme la clef de toutes les sciences, le ressort de tout jugement droit, la règle de ce qu'on peut découvrir de plus exact dans nos connaissances, l'âme et l'essence en quelque sorte de la vérité en général, laquelle, dans la pratique, ne subsiste que par les premières vérités. Comme elles se puisent dans ce que l'esprit humain a de plus intime et de plus immédiat à lui-même, elles appartiennent à une science particulière qui fait le sujet de ce traité. Si quelques-uns la prenaient pour une vraie métaphysique, ils ne se tromperaient

peut-être pas: mais quelle qu'elle soit, elle doit accompagner, précéder ou suivre de si près la logique, qu'elles se prêtent l'une à l'autre un secours nécessaire, pour en former l'art de penser avec justesse et précision : ce qui est l'objet le plus digne de l'homme et le fruit le plus solide des sciences.

3. Mais si le sujet de ce livre est intéressant pour les lecteurs, combien est-il redoutable pour l'auteur? Les recherches qu'il comporte demandent des réflexions souvent abstraites. Quelque soin qu'on prenne pour les exposer de la manière la plus claire, elles sont peu goûtées et souvent peu entendues par les esprits ordinaires. On a tâché de les appuyer ici sur le sens commun; et le sens commun lui-même n'est pas toujours aisé à saisir ou à démêler exactement, surtout pour ceux qui ne sont pas familiarisés avec les objets au-dessus des sens et des idées populaires.

4. On se consolerait si l'on pouvait compter ici sur l'approbation des savants : et c'est un nouvel écueil. Ceux qui, par leur profession, se donnent pour maîtres dans les matières abstraites, méconnaissent quelquefois les vérités les plus importantes, quand elles ne sont pas revêtues des formalités et d'expressions autorisées parmi eux et qu'espérer de gens qui trouvent un ouvrage superficiel, parce qu'ils n'y trouvent rien que d'intelligible, qu'on écarte les fausses subtilités, et qu'on en abrége la pratique et les règles?

5. Si j'ai de la sorte à craindre du côté de quelques philosophes scolastiques (je dis de quelques-uns, car il en est plusieurs qui allient très-bien la subtilité avec la solidité), aurai-je meilleur parti de ceux qui ont acquis de la réputation par leur nouveau plan de philosophie? Leur nom seul est un éloge. Après tout, je n'ai pas cru que les grands noms de Descartes, du P. Malebranche, et d'autres semblables, dussent faire plus de peur que ceux de Platon et d'Aristote : j'avoue même que j'aurais honte de balancer à prendre un sentiment contraire au leur, quand la raison y conduit. On est redevable à Descartes d'une manière de philosopher méthodique, dont l'usage s'est établi à son occasion ou à son exemple; et on lui est encore plus redevable que ne pensent quelques-uns de ses sectateurs, puisque sa méthode sert quelquefois à le combattre lui-même pour le P. Malebranche, il a saisi l'imagination de beaucoup de personnes : mais la métaphysique de M. Locke a fait revenir une grande partie de l'Europe de certaines illusions travesties en systèmes. Leur fondement particulier est qu'on ne voit pas clair dans les principes communs; tandis qu'on voit encore

C. C.

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