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qui existe au monde. Je suis persuadé que nul homme sensé ne sera tenté de la juger vraie, ni de supposer que d'autres hommes sensés le fassent sérieusement; et pour le dire en un mot, il n'est personne qui ne regarde ceux qui le feraient comme autant de gens tombés en délire.

26. Je n'entre point dans le détail des autres conséquences; car. s'il en est une seule extravagante qui s'ensuive nécessairement du principe, il faut nécessairement que le principe soit lui-même extravagant. En effet, il est démontré que les conséquences ne sont qu'une même chose avec le principe. Il n'est donc pas vrai que nous n'ayons pour règle de certitude évidente que le sentiment intime de notre propre action.

27. On aura beau dire qu'on ne peut assigner un autre principe qui ne se trouve sujet à erreur; c'est ce qu'il faudra examiner: mais il demeurera constant que celui-là conduisant nécessairement à des extravagances, il serait lui-même sujet aux plus folles erreurs, puisqu'il exclurait toute certitude de tout ce qui est hors de nous. Nous n'aurions plus nulle certitude évidente ni de Dieu, nin des autres êtres, ni de tout ce que nous avons dit,, fait ou pensé un moment avant la pensée actuelle que nous en formonsa

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Il n'y aurait plus ainsi dans le monde aucun principe de vérité sur ce qui est hors de nous, à l'égard des choses qui nous inté ressent le plus, qui sont le mobile et le ressort de toute notre vie; c'est-à-dire, en d'autres termes, qu'il n'y aurait plus aucune règle certaine de raison, de conduite ou de sens commun.Or, quoi qu'en puissent dire certains philosophes, il y a au monde du sens.com mun, de la conduite et de la raison : il y a donc de la vérité, de la certitude et de l'évidence, à l'égard de ce qui est hors de nous.

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28. D'ailleurs les propositions opposées aux conséquences que, nous trouvons manifestement insensées, sont, par la loi des contraires, nécessairement judicieuses. ›

29. Ainsi la certitude où nous sommes, par exemple, que nous n'avons pas toujours subsisté avec l'usage de la raison, et mille autres semblables certitudes d'expérience universelle, ne sont point le sentiment intime d'aucune perception actuelle de notre âme, puisqu'elles tombent sur ce qui est passé, et que ce qui n'est plus ne saurait être le sentiment de notre perception actuelle : il faut donc rapporter cette certitude à un autre chef ou règle de vérité, que quelques-uns semblent méconnaître, et que j'appellerai le sen timent commun de la nature, ou, comme on dit d'ordinaire, le

sens commun.

CHAP. V.

·Du genre de premières vérités qui se tire du sens commun, dont les philosophes n'ont point coutume de parler.

30. Les philosophes n'ont pas coutume d'exposer ce qui fait le sujet de ce chapitre, soit qu'ils aient cru que le sens commun était quelque chose de trop vulgaire pour les occuper, soit qu'ils aient été embarrassés à distinguer nettement sa nature et ses prérogatives. Cependant les plus grandes erreurs, ce me semble, viennent de ce qu'on n'a pas suffisamment démêlé cette matière. C'est là qu'on doit trouver les principes incontestables et plausibles de tout ce qu'un homme raisonnable est capable de connaître touchant les premières vérités qui regardent les objets hors de nous.

31. Au reste, le terme de sens commun peut se prendre en diverses significations, qui forment des idées différentes.

32. Plusieurs le prennent pour une faculté qui réside dans le cerveau, et à laquelle se communiquent et aboutissent les autres facultés de chacun de nos sens; de la vue, de l'ouïe, du goût, de l'odorat et du toucher; mais le sens commun est quelque chose de spirituel, et de plus essentiel à l'homme.

33. J'entends donc ici par le SENS COMMUN, la disposition que la nature a mise dans tous les hommes ou manifestement dans la plupart d'entre eux, pour leur faire porter, quand ils ont atteint l'usage de la raison, un jugement commun et uniforme sur des objets différents du sentiment intime de leur propre perception; jugement qui n'est point la conséquence d'aucun principe antérieur.

34. Si l'on veut des exemples de jugements qui se vérifient principalement par la règle et par la force du sens commun, on peut, ce me semble, citer les suivants.

I. Il y a d'autres êtres et d'autres hommes que moi au monde. II. Il y a dans eux quelque chose qui s'appelle vérité, sagesse, prudence; et c'est quelque chose qui n'est pas purement arbitraire.

III. Il se trouve dans moi quelque chose que j'appelle intelligence, et quelque chose qui n'est point cette intelligence, et qu'on appelle corps; en sorte que l'un a des propriétés différentes de

l'autre.

IV. Tous les hommes ne sont point d'accord à me tromper et à m'en faire accroire.

V. Ce qui n'est point intelligence ne saurait produire tous les effets de l'intelligence; ni des parcelles de matière remuées au

hasard, former un ouvrage d'un ordre et d'un mouvement régu lier, tel qu'une horloge.

35. Je ne prétends pas borner le nombre des premières vérités aux précédentes, ni que toutes soient également, et avec la même facilité, admises par tout le monde; mais ce sont autant d'exemples, dont quelques-uns au moins ne sauraient être légitimement récusés ; et tous sont de telle nature, que si dans la conduite de la vie quelqu'un refusait sérieusement de les admettre pour des vérités, nous ne pourrions nous dispenser de le regarder sérieusement comme un esprit égaré.

Venons présentement à considérer de plus près les parties de la définition que nous avons apportées du sens commun.

36. Je dis 1o que la nature fait porter aux hommes qui ont atteint l'usage de la raison, des jugements sur des choses que nous ne connaissons point par la perception intime de notre propre expérience; car nous avons montré qu'on ne pouvait, sans extravagance, nier certaines vérités qui ne se prouvent nullement par notre sentiment intime, et qui sont des vérités essentielles à la conduite de la vie; telles au moins que celles-ci il existe d'autres êtres, et en particulier d'autres hommes que moi.

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2o Je dis que les jugements vrais qui nous sont dictés par la nature et par le sens commun, sont des premières verités; car si ces jugements n'étaient pas de premières vérités, ils seraient donc prouvés par des vérités antérieures et plus claires; et en cela même ils cesseraient d'être de premières vérités; puisque je définis cellesci, des jugements si clairs, qu'on ne peut les prouver par des propositions plus claires.

37. Je dis 3o que la disposition naturelle qui nous inspire ces premières vérités est conmune à tous les hommes, ou du moins à la partie d'entre eux qui est manifestement la plus étendue et la plus nombreuse : sans quoi la plupart, faute de principe, se trouveraient incapables de porter aucun jugement vrai et certain sur toutes les choses qui sont hors d'eux-mêmes, quelque essentielles qu'elles soient à la conduite de la vie; c'est-à-dire qu'ils seraient incapables de raison et de conduite.

38. Je dis 4° que ces jugements sont des règles de vérité aussi réelles et aussi sûres que la règle tirée du sentiment intime de no tre propre perception; non pas qu'elle emporte notre esprit avec la même vivacité de clarté, mais avec la même nécessité de consentement. Comme il m'est impossible de juger que je ne pense pas, lorsque je pense actuellement; il m'est également impossible

de juger sérieusement: que je sois le seul être au monde ; que tous les hommes ont conspiré à me tromper dans tout ce qu'ils disent;: qu'un ouvrage de l'industrie humaine, tel qu'une horloge. qui montre régulièrement les heures, est le pur effet du hasard.

39. D'ailleurs, comme à celui qui nierait la certitude de son: existence, on ne pourrait la lui prouver par aucune vérité anté rieure et plus simple; de même à un homme qui soutiendra qu'une montre peut avoir été formée par le hasard, on ne pourra jamais lui démontrer le contraire par une autre vérité plus simple ni plus évidente car toute démonstration suppose un principe admis entre celui qui doit persuader et celui qui doit être persuadé; or, dans la conjoncture que je dis, il n'y aurait point de principe commun entre eux, puisqu'il n'y aurait point de vérité antérieure dont ils convinssent, et qui servît de principe par rapport à ce qu'il s'agirait de prouver.

40. Cependant il faut avouer qu'entre le genre de premières vé rités tiré du sentiment intime, et tout autre genre de premières vé rités, il se trouve une différence : c'est qu'à l'égard du premier, one ne peut imaginer qu'il soit susceptible d'aucune ombre de doute; et qu'à l'égard des autres, on peut alléguer qu'ils n'ont pas unes évidence du genre suprême d'évidence. Mais il faut se souvenir que ces autres premières vérités qui ne sont pas du premier genre, ne tombant que sur des objets hors de nous, elles ne peuvent faire une impression aussi vive sur nous, que celles dont l'objet est en nousTO mêmes: de sorte que pour mier la première, il faudrait être hors: de soi; et pour nier les autres, il ne faut qu'être hors de la raison. Ainsi, pour ôter toute équivoque, si quelques-uns s'opiniâtraient às ne donner le nom de certitude évidente qu'au premier genre de vérité, qui est le sentiment intime de notre propre perception, et à ne donner aux autres que le nom de vraisemblance au suprême de- « gré, ce ne serait plus, comme on voit, qu'une question de nom dont je ne m'embarrasserais pas; car on serait toujours obligé de cons venir avec moi que ces sortes de vraisemblances au suprême degrés sont, parmi le genre humain, ce qu'on appelle des certitudes évi dentes; et pour en douter sérieusement dans l'usage de la vie, iki faut renoncer au sens commune

41. Au reste, le sens commun, tel que je l'ai exposé, n'est point une idée innée, comme quelques-uns pourraient se l'imaginer; et om ne peut le dire sans confondre des notions des choses. Car quin dit idée, dits une pensée actuelles et ici il s'agit seulement d'une e disposition à penser de telle manière en telle conjoncture. D'ail

leurs l'idée n'est qu'une simple représentation des choses, et il s'agit ici d'un jugement qu'on porte sur les choses et sur leur existence.

42. Peut-être au fond n'est-ce là que ce qu'ont voulu dire ceux qui se sont déclarés si fortement pour les idées innées, sans avoir jamais assez démêlé les termes dont ils se servaient. Mais s'ils entendent par des idées innées, ce que je veux dire par le sens commun, je ne disputerai pas sur un mot; et comme ils ne pourront se dispenser d'admettre avec moi le sens commun pour première règle de vérité, je consentirai volontiers d'admettre avec eux les idées innées que j'avais rejetées, à les prendre dans leur signification véritable.

CHAP. VI.

Si l'existence de Dieu est une première vérité.

43. Observons d'abord qu'on peut naturellement connaître l'existence de Dieu, sans que ce soit une première vérité. Tout ce que nous connaissons par voie de raisonnement, en conséquence de quelqu'une des premières vérités, nous le connaissons naturellement et avec autant de certitude: que ces mêmes premières vérités. Nous savons naturellement que le soleil est incomparablement plus grand que la terre; bien qu'il y ait une vérité plus simple, plus immédiate à l'esprit, et qui lui est plus aisée à concevoir.

44. Si donc quelques-uns avaient assez de pénétration pour apercevoir aussi promptement certaines conséquences que les premières vérités d'où elles se tirent, il se pourrait alors trouver des esprits à qui la connaissance de Dieu tiendrait lieu d'une première vérité.

45. A l'égard des autres et même du commun des hommes, il semble qu'il est des vérités plus immédiates à l'esprit, et qui s'y presentent encore plus promptement et plus aisément que celle de la connaissance de l'existence de Dieu. Il paraît même hors de doute que les enfants ont un grand nombre de connaissances' sur1 des objets sensibles et corporels avant celle-là, ou plutôt la connaissance des objets sensibles sont des degrés nécessaires, communé ment parlant, pour y parvenir. C'est ce que nous insinue l'apôtre saint Paul dans ces paroles remarquables: Nous parvenons à la connaissance de l'être invisible de Dieu par les choses de ce monde, qui ont été créées et formées ; elles nous font connaître aussi l'éter. nité de sa puissance et de sa divinité. Orysi les choses de ce monde nous font connaître Dieu, leur connaissance précède donc la con+ naissance de Dieu; puisque le moyen qui conduit à une fin, est avant cette fin.

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46. Ceci peut résoudre une difficulté qu'ont proposée quelques uns, sur ce qu'on a rapporté de certains sauvages, bien qu'en petit

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