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vent obligé de s'y soumettre'. Sous ce rapport, nul doute que l'humanité ne soit susceptible d'un progrès indéfini. La perspicacité des sages consiste à s'approcher toujours, dans les différents genres de conceptions, de la connaissance des lois de la nature, qui ne sont autre chose que la vérité mise en action dans l'univers. C'est pourquoi tout change incessamment dans les sciences, dans les arts, dans la législation; et, il faut le dire, le changement n'est pas toujours un progrès, parce que l'homme quitte souvent le bien qu'il possède pour un mieux chimérique dont l'expérience bientôt le désabuse. Ceci expliquerait, du moins en partie, pourquoi les chefs des nations se sont montrés constamment conservateurs de ce qui était, pourquoi ils ne sont entrés qu'à regret dans les routes nouvelles où les poussait l'effervescente multitude, pourquoi, enfin, les changements les plus justes et les plus nécessaires n'ont presque jamais été effectués que par la force majeure. Il serait facile de montrer que cet instinct d'immobilité, inné au pouvoir, cette persistance dans le statu quo a souvent préservé le monde des plus grandes calamités.

Toutefois, il est des époques où des principes nouveaux se font jour indépendamment de tous les obstacles. Quelquefois c'est un génie puissant qui ébranle le monde par la force de sa parole. Quelquefois c'est un législateur sublime qui replace la société souffrante dans ses rapports naturels. Quelquefois c'est une grande diffusion de lumières qui descend jusque dans les profondeurs de la société, et pénétrant peu à peu les esprits, les dispose à une complète régénération. Il serait bien intéressant d'observer, à cet égard, et de raconter l'influence prodigieuse que le christianisme a exercée relativement aux objets même qui lui paraissent le plus étrangers. Mais tel n'est pas mon but quant à présent, et d'ailleurs cette noble tâche a été souvent remplie mieux que je ne pourrais le faire. Il me suffit de remarquer, sans craindre d'être contredit par aucun homme sage, que cette religion divine est une lumière bienfaisante, et pour la vie présente, et pour la vie future. C'est depuis l'ère chrétienne que la raison a été véritablement émancipée par la foi, et les peuples affranchis par la doctrine de l'obéis

Il faut rapporter à ceci le chapitre où Pascal traite de la morale, et s'exprime ainsi : « On ne voit presque rien de juste ou d'injuste qui ne change de qualité en changeant de climat. Trois degrés d'élévation du pôle renversent toute la jurisprudence. Un méridien décide de la vérité. Les lois fondamentales changent. Le droit a ses époques. Plaisante justice qu'une rivière ou une montagne borne! Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au delà........... »

sance. Les plus beaux progrès dans les sciences, dans les arts, dans les mœurs et dans les lois, sont dus à ce principe civilisateur qui a pénétré dans les entrailles de l'humanité, et qui s'est infiltré à travers les siècles. Cependant, le domaine de la foi ne s'étendant point à ces questions de détail qui préoccupent la vie présente, il est vrai de dire que dans tout ce qui est principe hypothétique ou de convention, l'humanité marchera à tâtons jusqu'à la fin des siè、 cles, quelquefois avançant, quelquefois reculant, et toujours en guerre, soit pour attaquer, soit pour défendre. C'est dans ce sens que Dieu a livré le monde à la dispute des hommes 1.

Immuable au milieu des révolutions, calme au milieu des orages, l'Eglise, dépositaire des vérités éternelles, traverse les siècles, fournissant à toutes les époques les principes généraux de solution pour toutes les difficultés importantes. Lorsque l'obstination de l'erreur ou l'effervescence des passions s'efforce de lui barrer le passage, elle s'élève comme un navire majestueux par-dessus les flots qui semblaient devoir l'engloutir.

On comprendra sans peine que dans un cours de controverse catholique, je dois poser d'abord les principes généraux sur lesquels repose toute conviction inébranlable, pour en déduire ensuite une série de conséquences rigoureuses qui aboutissent à la foi catholique. L'erreur a suivi une direction inverse: allant du composé au simple, elle a nié d'abord le principe d'autorité qui constitue l'Eglise; puis, pressée par la force du témoignage évangélique, elle s'en est débarrassée en niant l'Evangile et la divinité de la religion chrétienne; forcée de nouveau dans ce retranchement par la pensée de Dieu et de ses attributs, elle a rejeté cette idée importune, elle a nié Dieu et sa providence. Enfin, comme l'évidence l'accablait dans cette question fondamentale, elle a nié l'évidence, la raison, la vérité, et s'est réfugiée dans les antres profonds du scepticisme pour s'y reposer à son aise, et contempler avec une joie satanique les ravages de l'incendie qu'elle avait allumé.

C'est là, c'est dans cet impasse, qu'il faut aller chercher une multitude d'intelligences brisées par tant de chutes, et qui souffrent, loin de la vérité, d'inénarrables douleurs. C'est là qu'il faut les saisir pour les ramener par degrés au point de départ; ou, si nous n'espérons point réveiller des âmes trop profondément assoupies, il faut du moins prémunir les autres contre les dangers d'une incrédulité

'Tradidit mundum disputationi corum. (Eccles., III, 11.)

fatale, qui aboutit forcément à la destruction de l'intelligence hu

maine.

Dans ce premier livre, je me propose de traiter : 1o de la vérité; 2o de la raison; 3° de la certitude; 4o de la philosophie.

Dans des questions si importantes, et dont la solution doit servir de base à l'édifice que je me propose d'élever, j'ai compris tout d'abord que je ne devais m'appuyer sur aucune théorie systématique, parce que les systèmes sont toujours plus ou moins contestables, quoiqu'ils soient souvent le fruit de profondes et sublimes méditations. S'emparer des faits, tels qu'ils se présentent à nous; constater, d'après ces faits, les lois universelles de l'intelligence e de la nature, c'est ce qui m'a toujours paru être la véritable philosophie. Quand on sort de ces considérations pratiques, de ces réalités accessibles aux esprits même vulgaires, pour s'élever dans une sphère supérieure, et contempler à priori la raison intime des choses, on s'expose d'abord à s'écarter du vrai, et puis ensuite, on parvient rarement à accréditer ses conceptions, de manière qu'elles deviennent des principes incontestables. Ceci est vrai, surtout dans l'ordre purement intellectuel et dans l'ordre religieux. Cependant ce travail, lorsqu'il n'est pas entrepris en haine des principes universellement reconnus, lorsqu'il est sagement dirigé et pur de toute folle présomption, fait honneur à l'esprit humain, et révèle une tendance qui lui est innée à rompre les barrières qui le retiennent dans le monde phénoménal, pour contempler la vérité au sein de Dieu. C'est comme l'intuition prophétique de la vie future, où l'on voit face à face ce qu'on ne peut voir ici-bas, qu'à travers les formes sensibles dans le vaste miroir de la création.

J'ai compris encore que je devais reproduire les pensées des hommes célèbres qui nous ont précédés, plutôt que d'exposer les miennes. Quand toutes les questions ont été traitées et approfondies habilement par tant d'esprits supérieurs, il y aurait trop de présomption à vouloir mieux dire qu'ils n'ont dit. Je citerai donc, soi au long, soit en partie, soit en résumé, ce qui me paraîtra le plus propre à satisfaire l'attente des lecteurs, et à produire la conviction dans les esprits de bonne foi, les seuls auxquels s'adresse tout homme qui veut faire triompher la cause de la religion.

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PREMIÈRE PARTIE.

DE LA VÉRITÉ.

CHAPITRE PREMIER.

NOTION DE LA VÉRITÉ.

Il est des choses qu'on entreprendrait vainement de définir; on ne ferait que rendre obscur ce qui de soi-même se présente clairement à l'esprit sous l'enveloppe de l'expression. La raison en est simple : définir, c'est analyser, c'est-à-dire décomposer l'objet dont on s'occupe pour en trouver les parties ou notions élémentaires, comme en chimie on décompose la matière jusqu'à ce qu'on arrive à la découverte des corps simples qui la constituent.. Dès qu'on est parvenu à ce point, la définition, ou analyse, devient aussi impossible qu'elle est inutile. Ainsi, quand je prononce le mot vérité, tout le monde me comprend; mais c'est en vain que je voudrais entamer et disséquer cette notion si simple, les mots que je pourrais prononcer ne formeraient qu'une enveloppe grossière autour du flambeau qui luit à mon intelligence. Les métaphysiciens n'ont pas toujours su s'arrêter aux limites du possible en fait de définition; oubliant que définir c'est décomposer, ils se sont épuisés en efforts pour rendre obscur ce qui était clair. Ils ont dit: la vérité, c'est l'être l'être, c'est ce qui est : l'essence, c'est ce qui fait qu'un être est tel qu'il est. La notion même de l'ordre, quoiqu'elle soit complexe, me paraît plutôt obscurcie qu'éclaircie par cette définition : <«< La disposition mise entre des parties différentes d'un tout, laquelle est propre pour atteindre à la fin qu'une intelligence s'est proposée. » Si nous voulons voir les choses telles qu'elles sont en réalité, il faut avouer que les trois quarts du genre humain sont incapables de comprendre cette docte circonlocution, tandis que tout homme raisonnable dira au premier coup d'œil, si l'ordre existe ou n'existe pas, dans tel et tel objet soumis à son observation.

:

Mais, sans vouloir m'écarter de mon sujet, je dis que la vérité et l'être sont les deux notions les plus simples, les deux éléments générateurs de la vie intellectuelle, et qu'elles sont d'autant plus intelligibles, qu'elles sont plus indéfinissables.

CHAPITRE II.

IL Y A DES VÉRITÉS.

Qual y ait des vérités, c'est là une proposition évidente par ellemême, et dont la négation serait l'anéantissement de notre intelligence. En effet, tous les efforts que fait cette intelligence à mesure qu'elle se développe, soit dans l'individu, soit dans la généralité des hommes, tendent irrésistiblement à saisir la vérité en toutes choses, et à la démêler d'avec l'erreur : comme tous les efforts de l'œil qui s'ouvre tendent à chercher la lumière avec laquelle il doit se mettre en rapport. C'est, de part et d'autre, une loi de la nature. Tous les jugements des hommes se dirigent d'après une règle antérieure, d'après un type primitif déposé dans leur esprit, et auquel ils comparent chacun des objets qui le frappent. En conséquence de l'application de cette règle, nous disons: ceci est vrai, cela est faux; nous admettons l'un, nous rejetons l'autre, et toujours notre détermination est un hommage rendu à la suprématie de la vérité. La question n'est pas de savoir si l'homme peut faire une fausse application de ce principe, ou s'il a des moyens d'éviter l'erreur en poursuivant la vérité. Cette question se présentera en son temps, et nous chercherons à la résoudre d'une manière indépendante de tout système. Il suffit, pour le moment, de convenir avec tout le monde que nul ne possède l'infaillibilité individuelle, et que néanmoins nul ne peut penser, juger, raisonner, sans subir le mystérieux et irrésistible empire de la vérité.

«Quand on demande s'il y a des vérités, cela ne fait aucune difficulté par rapport aux vérités internes. Tous les livres en sont pleins. Il n'y a pas jusqu'à ceux qui se proposent pour but d'anéantir toutes les vérités, tant internes qu'externes. Accordez une fois à Sextus Empiricus que toute certitude doit être accompagnée d'une démonstration, il est évident qu'on ne peut être sûr de rien, puisque, dans un progrès à l'infini de démonstrations, on ne peut se fixer à rien 1. » Aussi le système qui détruit toute vérité, et qui étouffe

1 Dictionnaire encyclopédique, art. Verile.

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