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Mais il vaut mieux laisser parler les auteurs versés dans cette matière, que de nous livrer à nos propres considérations. Il est juste de commencer par celui qui m'a fourni le plus de matériaux, quoique j'aie été plusieurs fois obligé de m'écarter de ses senti

ments.

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M. DEGÉRANDO.

La première impression qui s'emparc de nous en reconnaissant nos propres erreurs, est celle du découragement; ce découragement s'accroît encore en considérant cette longue suite d'erreurs qui se sont succédé même dans les régions les plus élevées de la science, le spectacle des controverses qui ont partagé les esprits les plus distingués, la destinée des systèmes qui ont semblé jouir de la vénération des siècles. Y a-t-il donc quelque chose de certain? Les maximes dont nous croyons avoir les convictions les plus profondes sont-elles autre chose que de simples opinions? Qui nous donnera un signe régulateur, un criterium, pour discerner le vrai du faux, une mesure pour apprécier les divers degrés de certitude! La philosophie encore est appelée à nous prêter ce secours, et à nous sauver de l'abîme qui semblait nous attendre au dernier terme de nos efforts 1.» On voit que, d'après M. Degérando, la science n'a fait qu'ajouter ses controverses et ses systèmes chancelants à nos propres erreurs ; ce qui n'empêche pas le savant auteur d'espérer que la philosophie nous guérira des maux de la philosophie.

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M. DE BONALD.

Ainsi, l'Histoire comparée des systèmes de philosophie n'est en dernière analyse qu'une autre histoire des variations des écoles philosophiques, qui ne laisse pour tout résultat qu'un découragement absolu, un dégoût insurmontable de toutes recherches philosophiques, et l'impossibilité démontrée d'élever désormais aucun édifice, que dis-je ? de hasarder aucune construction sur ces terres sans consistance, pour me servir d'une belle expression de Bossuet, et qui ne laissent voir partout que d'effroyables précipices. Sur quoi donc sont d'accord les philosophes? Sur rien. Quel point a-t-on mis hors de dispute? Quel établissement, comme dit Leibnitz,

Hist. comparée, t. I'', ch. 1.

a-t-on - formé? aucun. Platon et Aristote se demandaient : Qu'estce que la science? Qu'est-ce que connaître ? Et nous, tant de siècles après ces pères de la philosophie, après tant d'observations et d'expériences, après tant de systèmes et de disputes, de philosophies et de philosophes, nous, si fiers des progrès de la raison hu maine, nous demandons encore: Qu'est-ce que la science? qu'estce que connaitre? et l'on peut dire de nous que nous cherchons encore la science et la sagesse, que les Grecs cherchaient il y a deux mille ans.

Aussi, lorsque l'auteur de l'Histoire › comparée, qui a étudié le fort et le faible de tous les systèmes, qui ne donne pas d'éloges à un philosophe ou à une opinion, qu'il ne soit aussitôt forcé de les reprendre en détail; lorsque, dis-je, cet auteur, observateur impartial de la mobilité de tous les systèmes, de l'incertitude de toutes les opinions, de l'incohérence de toutes les doctrines, invoque pour dernier moyen de salut, et comme le système le seul raisonnable, le mieux prouvé et le plus conséquent, la philosophie de l'expé rience, j'ose le rappeler, et rappeler tous les bons esprits, à l'expérience de la philosophie.

C'est encore ce qui fait que l'histoire de la philosophie forme aujourd'hui un cours spécial, et même une partie intéressante de l'instruction philosophique, parce que cette histoire, comme celle des états populaires, n'est qu'une histoire de guerres et de révolutions; et s'il n'y avait jamais eu qu'une philosophie dans le monde, nous pourrions avoir les vies des philosophes, mais nous n'aurions pas l'histoire de la philosophie'. »

ROLLIN.

Le bon et sage Rollin a passé en revue les écoles philosophi ques dans le dernier volume de son histoire ancienne; puis il a réuni les sentiments des divers philosophes sous les points principaux qui furent l'objet de leurs investigations. Voici comment il s'exprime au débuť de ce travail :

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Presque dans tous les temps et dans toutes les nations policées, il y a eu des hommes studieux et d'un esprit élevé qui ont cultivé cette science avec un grand soin: les prêtres en Egypte, les Mages dans la Perse, les Chaldéens à Babylone, les Brachmanes ou Gymnosophistes chez les Indiens, les Druides chez les Gaulois. Quoique la philosophie doive son origine à plusieurs de ceux que

Recherches philosoph., ch. 1o.

je viens de nommer, je ne la considérerai ici qu'autant qu'elle a paru dans: la Grèce qui lui a donné un nouvel éclat, et qui en est devenue comme l'école générale. Ce ne sont pas seulement quelques particuliers épars çà et là en différentes régions, qui fassent de temps en temps d'heureux efforts, et qui jettent par leurs écrits et par leur réputation une lumière brillante, mais courte et passagère; la Grèce, par un privilége singulier, a nourri et formé dans son sein, pendant une longue suite de siècles non interrompue, une foule, ou pour mieux dire, un peuple de philosophes, uniquement occupés à chercher la vérité, dont plusieurs, dans cette vue, renonçaient à leurs biens, quittaient leur patrie, entreprenaient de longs et pénibles voyages, et passaient toute leur vie dans l'étude jusqu'à

une extrême vieillesse.

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Peut-on croire que ce concours d'hommes savants et studieux, si persévérant, et d'une si longue durée dans un seul et même pays, n'ait été que l'effet du hasard, et non d'une providence particulière, qui a suscité cette nombreuse suite de philosophes pour maintenir et perpétuer l'ancienne tradition sur certaines vérités essentielles et capitales ? Combien leurs préceptes sur la morale, sur les vertus, sur les devoirs, ont-ils été utiles pour empêcher le débordement des vices! quél affreux désordre, par exemple, auraiton vu, si la secte épicurienne eût été seule ét dominante! Combien leurs disputes ont-elles servi pour conserver les dogmes importants de la distinction de la matière et de l'esprit, de l'immortalité de l'âine, de l'existence d'un être souverain! Il n'est pas douteux que Dieu leur avait découvert sur tous ces points d'admirables principes, préférablement à tant d'autres peuples que la barbarie tenait dans une profonde ignorance.

Il est vrai que parmi ces philosophes, plusieurs ont avancé d'étranges absurdités. Tous même, selon saint Paul, ont retenu la vérité de Dieu dans l'injustice,...... ne l'ayant point glorifié comme Dieu, et ne lui ayant point rendu graces. Aucune école n'a jamais osé soutenir ni prouver l'unité d'un Dieu, quoique les plus habiles philosophes fussent tous pleinement convaincus de cette vérité. Dieu a voulu nous apprendre par leur exemple ce qu'est et ce que peut l'homme abandonné à lui-même. Pendant quatre cents ans et plus, tous ces beaux esprits si subtils, si pénétrants, si profonds, n'ont cessé de disputer, d'examiner, de dogmatiser, sans

1

Quod notum est Dei, manifestum est in illis : Deus enim illis manifestavit. (Rom., I, 19.)

2 Rom., I, 19, 21.

pouvoir convenir de rien entre eux, et sans rien finir. Ce n'étaient pas eux que Dieu avait destinés pour être la lumière du monde'.» Malgré notre estime pour le docte historien, nous ne pouvons nous empêcher de faire observer la contradiction où il tombe dans ce peu de paroles. En effet, il est difficile de concevoir comment des hommes qui n'ont cessé de disputer, sans rien finir, des hommes que Dieu n'avait point destinés pour être la lumière du monde, ont été cependant suscités par une providence particulière pour maintenir et perpétuer l'ancienne tradition sur certaines vérités essentielles et capitales.

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finir

Après avoir tracé l'histoire de la philosophie, Rollin continue: « J'ai tâché d'exposer le plus clairement qu'il m'a été possible l'histoire des différentes sectes des philosophes païens. Avant que de quitter cette matière, et d'exposer les divers sentiments de ces sectes, je crois devoir avertir par avance le lecteur qu'il serait trompé s'il s'attendait à voir un grand changement, une grande réforme, dans les mœurs des hommes par les différentes instructions de tous les philosophes. La sagesse dont se vantaient les plus éclairés parmi tant de sectes qui partageaient l'univers, n'a pu aucune question, et a multiplié les erreurs. Toute la philosophie humaine n'a prétendu instruire les hommes qu'à marcher d'une manière digne de l'homme, parce qu'elle n'a reconnu dans les hommes que des qualités humaines, et qu'elle ne les a destinés qu'à la jouissance des biens humains. Et ses instructions ne sont pas inutiles en ce point, qu'elle détourne au moins les hommes de la vie brutale qui déshonore l'excellence de la nature humaine, et qui leur fait chercher le bonheur dans la plus vile portion de leur être, c'est-à-dire, dans le corps. Mais toute cette réforme se réduit à bien peu de chose. Quel progrès ont fait les sectes des philosophes, quoique revêtues de tant d'éloquence, et soutenues de tant de subtilité? Elles ont laissé les hommes dans l'état où elles les ont trouvés, dans les mêmes perplexités, les mêmes préventions, le même aveuglement.

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Et comment auraient-elles pu travailler à la réforme du cœur humain, ne sachant ni en quoi il était déréglé, ni quelle était la source de son déréglement? Sans la révélation du péché d'Adam, que connaissait-on de l'homme et de son véritable état? Depuis sa chute, il est plein de contrariétés étonnantes. Il retient de sa première origine des sentiments de grandeur et d'élévation que la

Hist. ancienne, t. X, p. 3. Paris, 1820.

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dégradation et sa bassesse n'ont pu étouffer. Il veut tout, il aspire à tout. Son désir pour la gloire, pour l'immortalité, pour le bonheur qui renferme tous les biens, est infini. Et d'un autre côté, il ́s'amuse à tout. Un néant l'occupe, un néant l'afflige ou le console. Il est un enfant en mille occasions, faible, découragé, abattu : sans parler de ses vices et de ses passions qui le déshonorent et l'avilissent, et qui le rendent quelquefois inférieur aux bêtes, dont il est plus voisin que de l'homme par ses indignes inclinations. L'ignorance de ces deux états a jeté les philosophes dans deux excèségalement absurdes. Les Stoïciens, qui s'étaient fait une idole de leur sagesse chimérique, inspiraient à l'homme des sentiments d'une grandeur pure : ce n'est pas là son état. Les Epicuriens, qui l'avaient dégradé en le réduisant à la matière, lui inspiraient des sentiments de bassesse pure: et c'est aussi peu son état. La philosophie n'était point capable de discerner des choses si voisines, et en même temps si éloignées : si voisines, puisque l'état de l'homme les réunit; et si éloignées, puisqu'elles appartiennent par leur nature à des états totalement différents. Un tel discernement n'a point été fait avant Jésus-Christ, ou indépendamment de JésusChrist. L'homme ne s'est point connu, ou n'a pu se connaître avant lui. Il s'est ou trop élevé, ou trop abaissé. Ses maîtres l'ont toujours trompé, ou en flattant un orgueil qu'il fallait abattre, ou en ajoutant à une bassesse qu'il fallait relever. Je comprends par là combien la révélation m'était nécessaire, et combien le don de la foi me doit paraître précieux 1.

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M. DE CHATEAUBRIANT.

La philosophie des Grecs, introduite à Rome, ébranla le culte national dans la ville la plus religieuse de la terre. Le poëte satirique Lucile, l'ami de Scipion, s'était moqué des dieux de Numa, et Lucrèce essaya de les remplacer par le voluptueux néant d'Epicure. César avait déclaré en plein sénat qu'après la mort rien n'était, et Cicéron, qui, cherchant la cause de la supériorité de Rome, ne la trouvait que dans sa piété, disait, contradictoirement, qu'à la tombe finit tout l'homme. L'épicurisme régna chez les Romains durant la majeure partie du 1er siècle de l'ère chrétienne; Pline, Sénèque, les poëtes et les historiens l'attestent par leurs écrits, leurs maximes et leurs vers, Le stoïcisme prit le dessus quand la vertu fut élevée à la pourpre.

Hist. ancienne, t. X, p. 105.

C. C.

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