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» Ces diverses philosophies, qui ne descendaient point dans le peuple, décomposaient la société; elles ne guérissaient point la superstition des esclaves, et ôtaient la crainte des dieux aux maîtres. Les arts magiques, plus ou moins mêlés aux dogmes scolastiques, la théurgie et la géotie, ramenaient des erreurs tout aussi déplorables que la mythologie.

» Les philosophes, tantôt chassés de Rome, tantôt rappelés, devenaient des personnages importants ou ridicules qui se prêtaient complaisamment aux idolâtries, aux mœurs et aux crimes de leurs siècles. On en remarque auprès de tous les tyrans; on en trouve au milieu des débauches d'Elagabale; il est vrai que, pour l'honneur de la vertu, ceux-ci se voilaient la tête conime Agamemnon se couvrait le visage au sacrifice de sa fille '; Plotin même assistait aux désordres de Gratien.

>> Ces sages s'attribuaient des dons surnaturels. Depuis Apollonius, qui se transportait par l'air où il voulait, jusqu'à Proclus, qui conversait avec Pan, Esculape et Minerve, il n'y a pas de miracles dont ils ne fussent capables. L'affectation des allures de leur vie rendait suspect le naturel de leurs principes: Ménédus de Lampsaque paraissait en public vêtu d'une robe noire, coiffé d'un chapeau d'écorce, où se voyaient gravées les douze figures du zodiaque; une longue barbe lui descendait à la ceinture, et, monté sur le cothurne, il tenait un bâton de frêne à la main; il se prétendait un esprit revenu des enfers pour prêcher la sagesse aux hommes 2.

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Anaxarque, maître de Pyrrhon, étant tombé dans une ravine, Pyrrhon refusa de l'en retirer, parce que toute chose est indifférente de soi, et qu'autant valait demeurer dans un trou que sur la terre 3.

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Lorsque Zénon marchait dans les villes, ses amis l'accompa gnaient, de peur qu'il ne fût écrasé par les chars: il ne se donnait pas la peine d'échapper à la fatalité. Diogène faisait le chien dans un tonneau; Démocrite s'enfermait dans un sépulcre 5; Héraclite broutait l'herbe de la montagne. Empédocle, voulant passer pour une divinité, se précipita dans l'Etna: le volcan rejeta

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les sandales d'airain de l'impie, et la fourbe fut découverte. » Ces sophistes, de même que les hérésiarques, se livraient à toutes sortes de folies; des Platoniciens se tuaient comme les Circoncellions, et des Cyniques bravaient la pudeur comme les Priscillians. Dans les deux écoles d'Athènes et d'Alexandrie, les maîtres mêlaient le peuple à leurs factions; leurs disciples couraient au-devant des nouveaux venus pour les attirer à leurs doctrines, criant, sautant, frappant, à l'iristar des furieux.

» Lucien représente Ménippe affublé d'une massue, d'une lyre et d'une peau de lion, et s'écriant: «Je te salue, portique superbe, >> entrée de mon palais! » Ensuite Ménippe raconte à Philonide que, fatigué de l'incertitude des doctrines, il s'adressa à un disciple de Zoroastre. Ce magicien par excellence, appelé Mithrobarzanes, avait de longs cheveux et une longue barbe. Il prit Ménippe, le lava trois mois entiers dans l'Euphrate, en suivant le cours de la lune, et marmottant une longue prière; il lui cracha trois fois au nez, le plongea de l'Euphrate dans le Tigre, le purifia avec de l'ognon marin, le ramena chez lui à reculons, l'arma de la massue, de la lyre et de la peau de lion, et lui recommanda de se nommer à tout venant, Ulysse, Hercule ou Orphée. L'initiation achevée, Ménippe descendit aux enfers, conduit par Mithrobarzanes. Là, Tirésias lui conseilla de quitter les chimères philosophiques, en lui disant : « La meilleure vie est la plus commune. »...........

» Ainsi se montraient flétris et vaincus du temps ces philosophes, jadis l'honneur de l'humanité, ces sages qui, au milieu des nations souillées et matérialisées, avaient conservé les vérités de la science, de la morale et de la religion naturelle, jusqu'à ce qu'ils se corrompissent avec la foule, et par l'infirmité même de la sagesse 2.

>>

ARTICLE III. De la philosophie moderne.

Après que le christianisme eut brillé dans les ténèbres du monde, trois classes d'hommes cultivèrent encore la philosophie. Les uns, prenant pour règle de leurs jugements les dogmes et la morale de l'Evangile, choisirent dans le domaine philosophique les pensées les plus nobles qui pouvaient se concilier avec ces dogmes et ces croyances, et s'en firent une arme défensive dans le combat qu'ils

Laërt., lib. VIII. Lucian. Strab., lib. VI.

Etudes historiques, t. И, p. 255

soutenaient contre l'idolàtrie. C'étaient les Pères de l'Eglise. D'autres, tels que Ebion, Cérinthe, Marcion, Valentin, Manès, etc., voulurent faire un mélange, un syncrétisme grossier, des croyances chrétiennes avec les systèmes de la philosophie grecque et orientale : c'étaient les hérésiarques. D'autres enfin, restant fidèles à l'idolâtrie expirante, s'efforcèrent de justifier les rêveries mythologiques, en les présentant à leurs contemporains comme les formules populaires et variables des vérités fondamentales: c'étaient les philosophes païens ou les hellénistes, dont les derniers efforts expirè rent avec la puissance de Julien l'Apostat. Le christianisme était resté maître du monde, et bientôt après, l'inondation des Barbares acheva de ruiner les mœurs, les usages, les lois, les temples du paganisme. Tout ce bagage de la superstition fut englouti dans l'abîme du passé. Dieu effaça l'empire romain pour écrire la chrétienté sur le globe. Nous avons déjà vu, en peu de mots, quelles furent les destinées de la philosophie durant ce grand travail de régénération, qui eut pour résultat la société moderne.

Nous avons vu aussi comment l'esprit philosophique se reproduisit dans Bacon, Descartes et Leibnitz. Pour me servir des expressions de Bossuet, la foi et la science compatirent ensemble dans ces entendements. Enrichies des trésors que la religion chrétienne avait versés sur le monde, la raison humaine se soutint à une hauteur admirable pendant le xvIIe siècle. Philosophes, poëtes, orateurs, publicistes, jurisconsultes, tous joignaient la science à la foi. Ils croyaient, et ils savaient en même temps pourquoi ils croyaient. Leur vaste intelligence, en s'exerçant sur l'explication de toutes choses, concluait qu'il faut croire les vérités d'une religion qui ne peut s'expliquer sans l'intervention de la Divinité. Quel siècle que celui qui a produit Descartes, Newton, Leibnitz, Malebranche, Pascal, Bossuet, Fénelon, Grotius, Huet, Pothier, Bourdaloue, Massillon, d'Aguesseau, Corneille et Racine!

Mais un siècle renferme toujours le germe du siècle suivant. Déjà quelques voix isolées troublaient ce concert de la philosophie chrétienne; nous avons vu Montaigne et Bayle jeter des semences de scepticisme. D'un autre côté, la réforme protestante, née en Allemagne, et importée en Angleterre, continuait son œuvre de négation en appliquant le principe du libre examen à chaque dogme du christianisme. De plus, les Pays-Bas et la France étaient devenus le théâtre des subtilités interminables du jansénisme. Enfin, la corruption des mœurs publiques se produisit sous la régence, et un essor immense fut donné aux désirs de fortune par les spécula

tions financières de Law; telles furent les causes diverses qui déterminèrent l'apparition et les développements de la philosophie du XVIIIe siècle.

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Cette période de l'esprit humain nous offre un spectacle unique dans l'histoire, celui d'une multitude d'hommes décorés du nom de philosophes, s'acharnant à tout détruire en religion, en morale, en politique, sans s'inquiéter de ce qu'ils établiraient à la place des croyances fondamentales du genre humain. Cette philosophie fut une entreprise générale de démolition. Pour nous livrer à l'étude approfondie de ce terrible phénomène, nous aurions à examiner : 1o l'origine de la philosophie du xvIII° siècle; 2o comment elle se constitua en école; 3° quels furent son chef et ses disciples; 4o quel fut son but principal; 5° quels moyens elle employa pour l'atteindre; 6°.quels furent ses écrits; 7° quels furent les rapports de ses doctrines avec le principe des connaissances humaines, avec la religion, avec la morale, avec la politique, avec les sciences et les lettres; 8o quels furent les suites de cette philosophie.

Il y a peu de sujets sur lesquels autant d'écrivains se soient exercés. Les uns, passionnés enthousiastes, ont exalté le xvIIIe siècle comme le siècle des lumières ; les autres, esprits calmes et solides, ont flétri la philosophie de cette époque; dans l'ensemble de sés travaux, dans les systèmes antiques qu'elle exhuma simultanément, dans son caractère frondeur, dans le genre de vie et les correspondances de ses adeptes, ces écrivains n'ont vu que les saturnales de la raison humaine. Ils ont donc donné à la philosophie de ce siècle le nom de matérialisme, de scepticisme, de voltairianisme, d'impiété.

Je n'entrerai point dans le détail historique des questions que je viens d'indiquer. Il faudrait tout un livre pour les examiner et les résoudre. D'ailleurs, cette tâche, déjà souvent remplie, l'a été dernièrement encore avec une exactitude et une précision remarquables par notre laborieux et savant ami, M. le baron Henrion, dans l'Histoire générale de l'Eglise, qui fait partie de la Bibliothèque ecclésiastique'.

'T. X, p. 8, 10, 53, 56, 329, 335, 376, 414, 455, 467. — T. XI, p. 147, 87, 199, 216, 307, 311, 360, 371, 388, 451, 489, 544, 573, 608, 634, 644.

Le résumé historique de tous les livres et mémoires publiés sur la philosophie du XVIIIe siècle se trouve présenté dans ces deux volumes.

Je me contenterai de dire à tous les hommes de bonne foi : Pressurez les livres sortis de la secte philosophique du xvIIe siècle, vous y trouverez le dessein conçu et constamment suivi de constituer la raison de telle manière que, désormais,

L'univers fût sans Dieu,
L'homme sans âme,

La religion sans croyances,
La morale sans règle,
Le pouvoir sans inviolabilité,
Le mariage sans fixité,

La magistrature sans dignité,
L'armée sans discipline,
La vie sans frein,

La mort sans espoir.

C'est-à-dire, qu'un matérialisme abject et un scepticisme désolant sont le fond de toutes ses théories, dont la réalisation serait le tombeau de l'humanité.

L'Eglise catholique étant le seul principe de stabilité, le seul point d'arrêt au milieu des opinions humaines, on comprend facilement que les sophistes du XVIIIe siècle durent en faire le principal point de mire de leurs attaques; aussi déployèrent-ils contre elle tout ce que l'enfer put leur donner de génie et de méchanceté. L'Eglise fut travestie et bafouée dans son histoire, dans ses dogmes, dans sa morale et dans sa discipline, dans son sacerdoce et dans tous les établissements. Une haine, je dirai mieux, une rage sans exemple dans les annales du monde, anima le chef et les disciples d'une méprisable secte, qui prit pour devise cette maxime : « Mentons, il en restera toujours quelque chose; » et cette autre : << Ecrasez l'infâme. » Le code de l'impiété ne fit qu'un avec celui de l'imposture. Un instinct invincible avait révélé à ces hommes que la vérité les condamnait. Ils mentirent donc, ils mentirent beaucoup, ils mentirent impudemment à la face d'un siècle ébloui des prestiges de leur esprit, et qui semblait leur crier: «< Dites-nous des choses qui nous plaisent, voyez pour nous des erreurs 1.» Dans cette période de dissolution universelle, on ne sait ce qu'il faut admirer le plus, ou le cynisme de l'imposture ou le cynisme de la crédulité.

Aussi les sophistes se hâtèrent-ils de proclamer leur triomphe. A les entendre, le monde, débarrassé de tout frein religieux et mo

Isaïe. XXX, 10.

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