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très-réelle sans doute, mais qui, én philosophie, ne peut jamais être que secondaire. Ici même son prestige a été dangereux; car c'est surtout l'attrait du style de Buffon qui donna d'abord de la vogue et de l'autorité à cette physique mensongère, qui avait déjà pour le scepticisme irréligieux un autre attrait, celui de démentir la seule cosmogonie véritable, parce qu'elle est la seule inspirée celle des livres saints. J'ai vu le temps où l'ignorance du vulgaire même, croyant Buffon sur parole, sans être à portée de l'entendre, rejetait hautement la création par ce seul mot, devenu le refrain des écoliers et des professeurs de matérialisme et d'athéisme: Le monde est bien vieux. Il mondo è molto vecchio. Mais qu'est-il arrivé? C'est ici que s'est confirmée avec éclat cette parole d'un si grand sens, et qui est celle d'un grand philosophe : Un peu de philosophie fait l'incrédule, et beaucoup de philosophie fait le chrétien. Après que les premiers aperçus de la chimie géologique eurent fait répéter si inconsidérément que l'histoire de la terre contredisait la révélation, et que la nature réfutait Moïse et la Genèse, il s'est trouvé que la terre et la nature, mieux examinées, non-seulement confirment en tout le récit de la création et du déluge dans la Bible, mais prouvent même que ce récit n'a pu être qu'inspiré. C'est ce qu'un savant du premier ordre, M. Deluc, connu dans l'Europe pour avoir consacré sa vie à ce genre de recherches, a démontré dans deux ouvrages', que la philosophie des incrédules n'a pas même osé contredire, quoique dans toute la puissance de son règne actuel; et MM. de Saussure et de Blumenbach, et d'autres savants non moins distingués, ont appuyé ces démonstrations en attestant la réalité des mêmes faits. Mais ce beau triomphe de la science observatrice, d'accord avec la vérité révélée, n'a pas eu encore l'éclat qu'il devait avoir, et qu'il ne peut manquer d'obtenir bientôt. Il est venu au moment où l'impiété, couronnée par les crimes de la révolution française, et retranché derrière les canons et les baïonnettes, a cru pouvoir se passer de l'opinion à la faveur de la force, n'a plus songé à répondre aux écrits, mais à les anéantir avec les auteurs, et à suppléer à la faiblesse insolente de ses plumes mercenaires par la violence atroce de ses proscriptions. Aussi, n'est-ce pas elle qui comptera de pareils ouvrages parmi les titres de ce qu'on appelle le siècle philosophe; et, si je dois ici en tenir compte, c'est parce qu'il entre dans mon plan de considérer d'un côté la philosophie en elle-même, et ceux dont les ouvrages lui font hon

1 ́L'Histoire de la terre et des hommes, et les Lettres géologiques.

neur; et de l'autre, le fantôme ou plutôt le monstre imposteur que ce siècle a décoré du nom de Philosophie. Il en est de même de la critique historique, de l'érudition, qui, en étudiant les monuments de l'antiquité, y cherche ce qui peut éclairer et fortifier les preuves du plus grand événement qui puisse intéresser les hommes, celui de la révélation divine, d'abord dans la mission de Moïse, et ensuite dans celle de Jésus-Christ, dont la seconde est l'accomplissement et la fin des promesses et des figures de la première, et qui, toutes deux réunies, remontent à l'origine du monde et au premier homme, et contiennent l'histoire entière du genre humain. La philosophie religieuse du dernier siècle avait rassemblé savamment toutes ces preuves éparses de la divinité de notre religion, et y avait joint tous les nerfs de la logique et toutes les couleurs de l'éloquence. Le philosophisme de nos jours a étalé une critique, une érudition toute différente: on verra qu'elle n'a été, même dans des écrivains d'ailleurs fort renommés, qu'ignorance et mauvaise foi. C'est pourtant celle-là qui a fait le plus de bruit et qui a été le plus généralement accréditée; ce qui caractérise encore la frivolité et la corruption de l'esprit général de ce siècle, et autorise l'arrêt de réprobation déjà porté contre lui dans toute l'Europe, et qui sera bien plus solennel encore dans la génération naissante, instruite par le terrible exemple de la révolution française. Il n'en résulte donc qu'une grande et amère confusion pour ceux qui ont donné à cette démence le nom d'esprit philosophique du siècle. Mais le véritable esprit philosophique, quoique longtemps moins avoué et moins reconnu par l'opinion qu'on avait égarée, ne se montre pas moins aux yeux d'un public impartial, dans les écrits de Guénée, de Bergier et de quelques autres des plus dignes adversaires de l'irréligion. Je dois cependant ajouter, par respect pour la justice, qui doit l'emporter sur l'amour-propre national, qu'en ce genre l'Angleterre a surpassé de beaucoup la France. L'étendue des connaissances dans Warburton ne l'a pas garanti, il est vrai, de quelques erreurs que ses compatriotes eux-mêmes ont pris soin de relever. Mais la solidité et l'énergie des écrits de Sherlock2 et de Lardner, et surtout le chef-d'œuvre de Leland, la

1 Je continuerai de l'appeler encore souvent Philosophie, parce que c'est son nom de guerre; mais alors il sera toujours en italique, afin qu'on ne puisse pas s'y méprendre de bonne foi.

2 Voyez l'ouvrage intitulé: Des Témoins de la Résurrection, par Sherlock; un autre qui a pour titre : De l'Usage et des fins de la prophétie. Les Anglais ont une foule de livres très-estimables dans le même genre, et tous de ce siècle. Ceux de Lardner sont un peu diffus, et celui qu'il a fait sur la Genèse est de

Nouvelle Démonstration évangélique, supérieure à toutes les productions que le même zèle a enfantées dans ce siècle, et l'une de celles où les profondeurs de la science et du jugement n'ôtent rien à l'agrément du style, ont assuré jusqu'ici à l'esprit anglais la palme en cette espèce de lutte du christianisme contre l'incrédulité. Cet esprit pourtant n'avait pu d'abord que rester faible quand il défendait l'hérésie contre le catholicisme; car il ne saurait y avoir de vraie force dans l'erreur contre la vérité; et les thèses et les conclusions de Bossuet sont demeurées inaccessibles à tous les efforts de ceux qui ont voulu infirmer ce grand argument de l'unité, à jamais inébranlable, comme l'Eglise dont il est la base. Mais ces mêmes protestants ont été forts contre l'esprit commun ; et n'est-il pas permis de penser que la Providence nous offre peut-être, dans leurs honorables combats en faveur de la révélation, un présage de leur prochain retour à cette unité précieuse dont ils ne sont pas séparés par leur choix, mais par la faute de leurs pères?

Serait-ce dans le Nord que ce siècle irait chercher les titres de sa prééminence philosophique? Les sciences naturelles mises à part, l'irrécusable histoire ne montrera dans l'Allemagne que la démence de vingt sectes d'illuminés, que les rêveries de Swedenborg et de Kant, et de leurs disciples, opprobre de l'esprit humain, et les noirs mystères des hautes classes de la franc-maçonnerie occulte, assez dévoilés cependant depuis leur union avec la philosophie révolutionnaire pour être à jamais l'horreur de la nature humaine.

De cet aperçu préliminaire, qui n'est encore qu'un avertissement pour les lecteurs curieux de la vérité, je passe aux deux objets principaux et actuels, la métaphysique et la morale, c'est-àdire cette partie de la philosophie qui, réduisant en méthode les actes de l'entendement et de la volonté, et les conséquences qui en dérivent pour la conduite de la vie, rentre dans toute la théorie de l'ordre social et politique. Sous ce point de vue, je trouve dans la première moitié de ce siècle des titres vraiment honorables pour la philosophie, pour celle qui mérite vraiment ce nom, et à laquelle personne ne rend justice plus volontiers que moi. Il n'y a que des hommes intéressés à la confondre avec celle qui n'en a que le masque, il n'y a qu'eux seuls qui puissent me supposer contre elle aucune espèce de prévention : ici toute prévention serait de ma part

peu de fruit; mais sa Crédibilité de l'Evangile, ct surtout le Témoignage des anciens Juifs et Paiens en faveur de la religion chrétienne, sont d'un travail et d'une érudition qui ne demanderaient qu'une main habile qui les abrégeåt.

bien gratuite; et j'ose attester à tous ceux qui m'écoutent et qui m'ont lu que la partialité n'a jamais été le caractère de mes opinions et de mes jugements. C'est un témoignage que m'ont rendù assez souvent en littérature mes ennemis mêmes; et, quand je me suis égaré en fait de religion et de politique, j'ai du moins eu cet avantage, qu'il n'y avait de ma part ni mauvaise foi ni intérêt personnel. C'était tout simplement la vanité et l'étourderie naturelle à cette prétendue philosophie que j'avais embrassée sans examen, au lieu qu'aujourd'hui c'est un examen très-réfléchi, très-désintéressé, tout au moins appuyé de l'expérience, qui, en me faisant renoncer à des erreurs funestès, m'a fait un devoir de les combattre dans leurs premiers auteurs et dans leurs derniers disciples.

J'aperçois donc d'abord, en commençant par le bien qui doit faire ensuite mieux sentir le mal, cinq écrivains illustres qui, en différentes manières, ont rendu plus ou moins de services à la philosophie : Fontenelle, qui l'a réconciliée avec les grâces; Buffon, qui, comme Platon et Pline, lui a prêté le langage de l'imagination; Montesquieu, qui a su appliquer l'un et l'autre aux spéculations politiques; d'Alembert, qui a rangé dans un ordre méthodique et lumineux toutes les acquisitions de l'esprit humain; et Condillac, qui a fait briller sur la métaphysique de Locke tous les rayons de l'évidence. Voilà ceux qui forment parmi nous la première classe, celle des hommes supérieurs qui ont été à la fois philosophes et écrivains. La seconde se compose de quelques moralistes d'un mérite plus ou moins distingué; mais la troisième, et malheureusement celle qui a eu le plus d'influence, n'offre que des sophistes, qui, avec plus ou moins de talent pour écrire, et quelquefois avec des titres de célébrité, aussi étrangers à la philosophie que les caractères de leur esprit, ont été, sous le faux nom de philosophes, d'abord les ennemis de la religion, et ensuite, par une conséquence infaillible, ceux de tout ordre moral, social et politique, et pour tout dire, en un mot, les pères de la révolution française.

N. B. Une partie de cet ouvrage, c'est-à-dire tout le premier livre, et les premiers chapitres du second jusqu'à Diderot inclusivement, a été prononcée au Lycée de Paris dans les commencements de 1797, sauf quelques changements et additions que j'y ai faits depuis que j'ai repris l'ouvrage, dans ma retraite actuelle (1799), pour le revoir et l'achever, si la Providence m'en laisse le loisir et les moyens. On pourra donc juger ici quel chemin avait fait l'opinion, qui était mon unique force, lorsque je faisais enten

dre, deux fois la semaine, devant trois ou quatre cents personnes, tout ce qui pouvait inspirer l'horreur et le mépris de la philosophie révolutionnaire, sans restriction ni exception. Je dois dire, pour la chose publique et non pas pour moi, que la presque totalité de l'auditoire, quoique souvent renouvelée en partie d'une se maine à l'autre, m'était constamment favorable, et que les acclamations étaient d'autant plus vives, que les vérités étaient plus poignantes. Mais pourtant ce n'était plus, comme avant la révolution, un sentiment et une expression à peu près unanime. Le parti de l'opposition s'y faisait toujours sentir : il était très-faible par lui-même, et comme étouffé par la voix publique pendant les séances; mais il murmurait tout bas, et avait une physionomie marquée par la violence des souffrances intérieures. De plus, toujours rassuré par une de ces habitudes inouïes et propres à notre révolution, où le petit nombre, même sans force réelle, a toujours fait la loi au grand nombre, il ne cédait ni ne rougissait; et lorsqu'à la fin des séances le public quittait le Lycée, ce parti, rassemblé aussitôt dans le salon attenant, se soulageait par des invectives et des menaces. C'est là que l'astronome Lalande se glorifiait d'être athée, et criait de toute sa force qu'il n'y avait de vrais philosophes que les athées. C'est au sortir de là qu'il imprimait, dans le Journal de Paris, cette lettre qui lui attira tant de brocards en prose et en vers, où il s'indignait que j'eusse osé dire que l'athéisme était une doctrine perverse, ennemie de tout ordre social et du gouvernement. Il voulait bien ne pas croire que ce fût par scélératesse que j'eusse parlé ainsi; d'où il concluait que ce ne pouvait être que par imbécillité. Ce trait unique était trop précieux pour n'être pas rappelé : il contient en substance l'esprit et le langage de la révolution française. Cherchez dans l'histoire du monde ou dans votre imagination un état de choses où un homme qui n'était pas reconnu fou, un savant, un académicien, eût pu imprimer et signer qu'on ne pouvait pas regarder l'athéisme comme antisocial et antipolitique, sans être un scélérat ou un imbécile '.

L'INCREDULITÉ JUGÉE PAR LE CARDINAL DE LA LUZERNE.

Il y a environ dix-huit cents ans qu'il s'est opéré dans l'univers une révolution telle qu'aucune histoire n'en peut présenter de semblable, et que l'esprit humain, ne pouvant la révoquer en doute, a

De la Philosophie du XVIIIe siècle, introduction.

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