Immagini della pagina
PDF
ePub

et Racine, donna le modèle de la plus parfaite plaisanterie comme du raisonnement le plus fort; enfin qui, dans les courts intervalles de ses maux, résolut par abstraction un des plus hauts problèmes de géométrie, et jeta sur le papier des Pensées qui tiennent autant de Dieu que de l'homme. Cet effrayant génie se nommait BLAISE PASCAL 1! >>

ART. Ier.

[ocr errors]

EXTRAIT DES PENSÉES DE PASCAL.

De la manière de prouver la vérité et de l'exposer aux yeux des hommes.

I. Je ne puis mieux faire entendre la conduite qu'on doit garder pour rendre les démonstrations convaincantes, qu'en expliquant celles que la géométrie observe.

Mais il faut auparavant que je donne l'idée d'une méthode encore plus éminente et plus accomplie, mais où les hommes ne sauraient jamais arriver. Car ce qui passe la géométrie nous surpasse, et néanmoins il est nécessaire d'en dire quelque chose, quoiqu'il soit impossible de le pratiquer.

Cette véritable méthode, qui formerait les démonstrations dans la plus haute excellence, s'il était possible d'y arriver, consisterait en deux choses principales : l'une, de n'employer jamais aucun 1 Raison du christianisme, t. 1, p. 121.

Sans vouloir diminuer la renommée de ce grand homme, je crois cependant qu'il est juste de faire observer que certaines circonstances extraordinaires de sa vie, et certaines découvertes qui lui étaient attribuées, ont été contestées. Voici comment s'exprime une biographie généralement estimée :

« Lorsqu'on dit que, dès l'âge le plus tendre, Pascal, sans le secours d'aucun livre, et par les seules forces de son génie, parvint à découvrir et à démontrer toutes les propositions du 1er livre d'Euclide, jusqu'à la 32o, on répond qu'un homme de ce mérite n'a pas besoin de panégyriques fondés sur des fables inventées à plaisir; lorsqu'on veut faire regarder Pascal comme l'auteur du sentiment de la gravité de l'air, parce qu'il a fait faire à M. Perrier, son beaufrère, cette expérience sur le Puy-de-Dôme, on répond que cette expérience est de Descartes, qui, deux ans auparavant, le pria de la vouloir faire (comme il est marqué dans la lettre LXXVIIo, t. 3, de ce philosophe), et que, d'ailleurs, cette expérience n'est qu'une suite de celle de Toricelli; lorsqu'enfin on raconte que Pascal, dès l'âge de seize ans, composa un Traité des sections coniques, qui fut admiré de tous les savants géomètres, on répond avec Descartes, dans sa XXXVIe lettre au P. Mersenne, t. 2, que c'était le traité de M. Des Argues. J'ai aussi reçu, dit Descartes, dans cette lettre, l'Essai touchant les coniques du fils de M. Pascal; et, avant que d'en avoir reçu la moitié, j'ai jugé qu'il avait pris presque tout de M. Des Argues, ce qui m'a été confirmé incontinent après par la confession qu'il en fit lui-même. » (Feller, Dict. histor., art. Pascal.)

La Biographie universelle, article Pascal, se montre plus favorable à ce grand homme, surtout au sujet de la découverte des principes de géométrie. Voici ses paroles qui me semblent d'une grande justesse : « Nous répétons avec Bossut et Montuela, qu'il n'y a aucun motif fondé de douter d'une circonstance attestée par des témoignages irrécusables. »

l'au

terme dont on n'eût auparavant expliqué nettement le sens; tre, de n'avancer jamais aucune proposition qu'on ne démontrât par des vérités déjà connues; en un mot, à définir tous les termes, et à prouver toutes les propositions. Mais, pour suivre l'ordre même que j'explique, il faut que je déclare ce que j'entends par définition.

On ne reconnaît en géométrie que les définitions de nom, c'està-dire que les seules impositions de nom aux choses qu'on a clairement désignées en termes parfaitement connus, et je ne parle que de celles-là seulement.

Leur utilité et leur usage est d'éclaircir et d'abréger le discours, en exprimant par le seul nom qu'on expose ce qui ne se pourrait dire qu'en plusieurs termes; en sorte néanmoins que le nom imposé demeure dénué de tout autre sens, s'il en a, pour n'avoir plus que celui auquel on le destine uniquement; en voici un exemple :

Si l'on a besoin de distinguer dans les nombres ceux qui sont divisibles en deux également, d'avec ceux qui ne le sont pas, pour éviter de répéter souvent cette condition, on lui donne un nom en cette sorte. J'appelle tout nombre divisible en deux également nombre pair.

Voilà une définition géométrique, parce qu'après avoir clairement désigné une chose, savoir, tout nombre divisible en deux également, on lui donne un nom que l'on destitne de tout autre sens, s'il en a, pour lui donner celui de la chose désignée.

D'où il paraît que les définitions sont très-libres, et qu'elles ne sont jamais sujettes à être contredites; car il n'y a rien de plus permis que de donner à une chose qu'on a clairement désignée un nom tel qu'on voudra; il faut seulement prendre garde qu'on abuse de la liberté qu'on a d'imposer des noms en donnant le même à deux choses différentes. Ce n'est pas que cela ne soit permis, pourvu qu'on n'en confonde pas les conséquences, et qu'on ne les étende pas de l'une à l'autre.

Mais, si l'on tombe dans ce vice, on peut lui opposer un remède très-sûr et très-infaillible; c'est de substituer mentalement la définition à la place du défini, et d'avoir toujours la définition si présente, que, toutes les fois qu'on parle par exemple de nombre pair, on entende précisément que c'est celui qui est divisible en deux parties égales, et que ces deux choses soient tellement jointes et inséparables dans la pensée, qu'aussitôt que le discours exprime l'une, l'esprit y attache immédiatement l'autre; car les géomètres, et tous ceux qui agissent méthodiquement, n'imposent des noms aux choses que pour abréger le discours, et non pour diminuer ou

changer l'idée des choses dont ils discourent; car ils prétendent que l'esprit supplée toujours la définition entière aux termes courts, qu'ils n'emploient que pour éviter la confusion que la multitude des paroles apporte.

Rien n'éloigne plus promptement et plus puissamment les surprises captieuses des sophistes que cette méthode, qu'il faut toujours avoir présente, et qui suffit pour bannir toutes sortes de difficultés et d'équivoques.

Ces choses étant bien entendues, je reviens à l'explication du véritable ordre qui consiste, comme je disais, à tout définir et à tout prouver. Certainement, cette méthode serait belle, mais elle est absolument impossible; car il est évident que les premiers termes qu'on voudrait définir en supposeraient de précédents pour servir à leur explication, et que de même les premières propositions qu'on voudrait prouver en supposeraient d'autres qui les précédassent; et ainsi il est clair qu'on n'arriverait jamais aux premières. Aussi, en poussant les recherches de plus en plus, on arrive nécessairement à des mots primitifs qu'on ne peut plus définir, ou à des principes si clairs qu'on n'en trouve plus qui le soient davantage pour servir à leur preuve.

D'où il paraît que les hommes sont dans une impuissance naturelle et immuable de traiter quelque science que ce soit dans un ordre absolument accompli; mais il ne s'ensuit pas de là qu'on doive abandonner toute sorte d'ordre.

Car il y en a un, et c'est celui de la géométrie, qui est à la vérité inférieur, en ce qu'il est moins convaincant, mais non pas en ce qu'il est moins certain. Il ne définit pas tout et ne prouve pas tout, et c'est en cela qu'il est inférieur; mais il ne suppose que des choses claires et constantes par la lumière naturelle; c'est pour quoi il est parfaitement véritable, la nature le soutenant au défaut du raisonnement.

Cet ordre le plus parfait entre les hommes consiste, non pas à tout définir ou à ne rien démontrer, ni aussi à ne rien définir ou à ne rien démontrer, mais à se tenir dans ce milieu, de ne point définir les choses claires et entendues de tous les hommes, et de définir toutes les autres, et de ne point prouver toutes les choses connues des hommes, et de prouver toutes les autres. Contre cet ordre pèchent également ceux qui entreprennent de tout définir et de tout prouver, et ceux qui négligent de le faire dans les choses qui ne sont pas évidentes d'elles-mêmes.

C'est ce que la géométrie enseigne parfaitement. Elle ne définit

aucune des choses, espace, temps, mouvement, nombre, égalité, ni les semblables qui sont en grand nombre, parce que ces termeslà désignent si naturellement les choses qu'ils signifient à ceux qui entendent la langue, que l'éclaircissement qu'on en voudrait faire apporterait plus d'obscurité que d'instruction.

On voit assez de là qu'il y a des mots incapables d'être définis ; et, si la nature n'avait suppléé à ce défaut par une idée pareille qu'elle a donnée à tous les hommes, toutes nos expressions seraient confuses; au lieu qu'on en use avec la même assurance et la même certitude que s'ils étaient expliqués d'une manière parfaitement exempte d'équivoques; parce que la nature nous en a elle-même donné, sans paroles, une intelligence plus nette que celle que l'art nous acquiert par nos explications.

Pourquoi, par exemple, entreprendre de définir le temps, puisque tous les hommes conçoivent ce qu'on veut dire en parlant du temps, sans qu'on le désigne davantage? Cependant il y a bien des opinions différentes touchant l'essence du temps. Les uns disent que c'est le mouvement d'une chose créée, les autres la mesure du mouvement, etc. Aussi ce n'est pas la nature de ces choses que je dis qui est commune à tous, ce n'est simplement que le rapport entre le nom et la chose; en sorte qu'à cette expression temps tous portent la pensée vers le même objet, ce qui suffit pour faire que ce terme n'ait pas besoin d'être défini, quoique ensuite, en examinant ce que c'est que le temps, on vienne à différer de sentiment après s'être mis à y penser; car les définitions ne sont faites que pour désigner les choses que l'on nomme, et non pas pour en montrer la nature.

Ce n'est pas qu'il ne soit permis d'appeler du nom de temps le mouvement d'une chose créée; car, comme j'ai dit tantôt, rien n'est plus libre que les définitions. Mais ensuite de cette définition il y aura deux choses qu'on appellera du nom de temps : l'une est celle que tout le monde entend naturellement par ce mot, et que tous ceux qui parlent notre langue nomment par ce terme; l'autre sera le mouvement d'une chose créée, car on l'appellera aussi de ce nom, suivant cette nouvelle définition.

Il faudra donc éviter les équivoques et ne pas confondre les conséquences. Il ne s'ensuivra pas de là que la chose qu'on entend naturellement par le mot de temps soit en effet le mouvement d'une chose créée. Il a été libre de nommer ces deux choses de même, mais il ne le sera pas de les faire convenir de nature aussi bien que de nom.

Ainsi, si l'on avance ce discours, le temps est le mouvement d'une chose créée, il faut demander ce qu'on entend par ce mot de temps, c'est-à-dire si on lui laisse le sens ordinaire et reçu de tous, ou si on l'en dépouille pour lui donner en cette occasion celui de mouvement d'une chose créée; que, si on le destitue de tout autre sens, on ne peut contredire, et ce sera une définition libre, ensuite de laquelle, comme j'ai dit, il y aura deux choses qui auront ce même nom; mais si on lui laisse son sens ordinaire, et qu'on prétende néanmoins que ce qu'on entend par ce mot soit le mouvement d'une chose créée, on peut contredire. Ce n'est plus une définition libre, c'est une proposition qu'il faut prouver, si ce n'est qu'elle ne soit très-évidente d'elle-même; et alors ce sera un principe et un axiome, mais jamais une définition, parce que dans cette énonciation on n'entend pas que le mot de temps signifie la même chose que ceux-ci, le mouvement d'une chose créée; mais on entend que ce que l'on conçoit par le terme de temps soit ce mouvement supposé.

Si je ne savais combien il est nécessaire d'entendre ceci parfaitement, et combien il arrive à toute heure dans les discours familiers, et dans les discours de science, des occasions pareilles à celle-ci que j'ai donnée en exemple, je ne m'y serais pas arrêté; mais il me semble, par l'expérience que j'ai de la confusion des disputes, qu'on ne peut trop entrer dans cet esprit de netteté.

Combien y a-t-il de personnes qui croient avoir défini le temps, quand ils ont dit que c'est la mesure du mouvement, en lui laissant cependant son sens ordinaire! et néanmoins ils ont fait une proposition, et non pas une définition. Combien y en a-t-il de même qui croient avoir défini le mouvement, quand ils ont dit : Motus nec simpliciter motus, numera potentia est, sed actus entis in potentia? Et cependant, s'ils laissent au mot de mouvement son sens ordinaire, comme ils font, ce n'est pas une définition, mais une proposition; et ainsi, confondant les définitions qu'ils appellent définitions du nom, qui sont les véritables définitions libres, permises et géométriques, avec celles qu'ils appellent définitions de choses, qui sont proprement des propositions nullement libres, mais sujettes à contradiction, ils s'y donnent la liberté d'en former aussi bien que des autres; et chacun définissant les mêmes choses à sa manière par une liberté qui est aussi défendue dans ces sortes de définitions que permises dans les premières, ils embrouillent toutes choses, et, perdant tout ordre et toute lumière, ils se perdent eux-mêmes, et s'égarent dans des embarras inextricables.

« IndietroContinua »