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vers qui de temps en temps s'échappaient de sa bouche expirante, lui donneront aussi des larmes.

Le pape Clément VIII l'avait, peu de temps auparavant, favorisé d'une bonne pension. Ce pontife souverain ne put s'empêcher de gémir sur la perte de ce grand poëte, lorsqu'il lui fit demander sa bénédiction, en lui accordant une indulgence plénière. La cause de sa maladie est venue de ce qu'il avait l'imagination frappée d'une mort prochaine. Tourmenté par des idées lugubres, il croyait pouvoir s'en préserver en se médicamentant lui-même ; il prenait tantôt de la thériaque, tantôt de l'aloès, de la casse, de la rhubarbe ou de l'antimoine, qui lui avaient consume les intestins, et qui le conduisirent enfin à la mort.

Pendant tout le temps de sa maladie, l'illustrissime cardinal Saint-George, neveu de S. S., comme un autre Mécène, lai rendit ces soins officieux qu'on devait attendre d'un prince aussi libéral; il le visitait, il le consolait, il lui envoyait non-seulement ses médecins, mais ceux du pape. Il avait également soin qu'il ne manquât jamais de serviteurs diligens et fidèles; il le faisait pourvoir abondamment de toutes les choses qu'on croyait devoir lui être profitables pour recouvrer sa santé, désirée, attendue avec impatience de tout le monde.

Lorsque le Tasse fut mort, il lui fit rendre les mêmes honneurs qu'il aurait fait décerner à quelqu'un de sa famille. Son corps fut porté dans Rome, accompagné de beaucoup de nobles et de gens de

lettres. Chacun courait au-devant du cercueil, et voulait le voir pour la dernière fois, tandis que plusieurs peintres, entre autres Frédéric Zuccheri, faisaient son portrait, que l'on voit dans le lieu public où ces artistes l'ont fait placer; il fut ensuite reporté dans l'église de Saint-Onuphre, où il fut enseveli. Mgr. le cardinal de Saint-George va lui faire rendre les honneurs les plus solennels. Lelio Pelegrini est chargé de faire son oraison funèbre; son éminence veut aussi lui faire ériger un beau monument en marbre, en témoignage de l'amour et du respect qu'il avait pour ce beau génie.

Le Tasse a laissé dans les mains du cardinal SaintGeorge deux ouvrages à imprimer : l'un est la Création du Monde, tel que Moïse l'a décrite; l'autre est le jugement qu'il a porté lui-même sur ses deux poëmes de la Jérusalem délivrée et conquise. On assure que Mgr. le cardinal veut livrer à l'impression ces deux écrits, attendus du public avec un grand empressement.

Je sais que vous serez accablé de douleur en apprenant une aussi grande perte. Mais il faut se soumettre à la volonté divine. Je sens que le révérend père Licino ne se consolera jamais d'avoir perdu son ami intime. Il faudra recueillir les lettres du Tasse et en faire un choix, parce que tout ce qui est sorti de sa plume est précieux à conserver; j'attendrai là-dessus votre sentiment. Je vous baise les mains. MAURICE CATANEO.

NOTE DU TRADUCTEUR. Le magnifique tombeau qu'on devait élever au Tasse ne l'est pas encore. L'auteur de la Jérusalem délivrée n'a, dans l'église où il repose, qu'un misérable et petit monument placé près de la porte. Le voyageur, empressé de rendre à la mémoire du grand poëte ses hommages respectueux, est obligé de le chercher ; et, lorsqu'il l'aperçoit, il gémit de voir que Rome, insensible à sa propre gloire, n'a pas encore érigé un monument honorable au Tasse. Rempli d'admiration pour les grands hommes, il se demande quels sont les honneurs rendus aux Molière, aux Racine, aux La Fontaine, aux Corneille, à cette foule d'hommes illustres qui ont illustré leur patrie? It voit que presque partout le génie n'a rien à espérer que de ses talens. et de son courage; et que, pour vivre dans les siècles à venir, il ne doit mettre sa confiance, ni dans la reconnaissance, ni dans la justice des hommes.

Nous nous plaisons à trouver une exception honorable dans la personne du P. Jean-Baptiste Licino, homme de lettres, de Bergame, que' la ville de Bologne invita', par un décret public, à se rendre auprès du duc de Ferrare pour lui demander que le Tasse fût tiré de la prison de Sainte-Anne, où ce duc le retenait depuis long-temps. Licino, non moins habile négociateur qu'ardent ami, obtint cette grâce, que la patrie de ce grand poëte, sensible à ses prières, allait aussi réclamer, mais peut-être inutilement.

A M. DE MERA, célèbre peintre flamand.

1595.

VOTRE talent, dont j'ai eu des rapports certains; outre ce que j'en ai vu moi-même, m'engage à vous prier avec beaucoup d'instance de mettre de suite la main au tableau de Saint-François. J'espère que non-seulement vous répondrez à la réputation que vous vous êtes déjà acquise parmi les peintres les plus distingués, mais encore à l'attente dans laquelle je suis de posséder une chose rare de vos mains. Ce sera ensuite à moi à vous montrer,

par les effets de ma gratitude, combien votre ouvrage me sera cher. Que Dieu vous conserve.

Votre LOUIS, cardinal d'Est.

NOTE DU TRADUCTEUR. Le ton de dignité et de bonté qui règne dans cette lettre serait très-remarquable, si l'on ne se reportait pas au temps où elle a été écrite ; si l'on pouvait oublier l'éminente protection que les princes de la maison d'Est accordèrent toujours aux sciences et aux arts. N'en doutons point: les talens extraordinaires n'ont brillé d'un si grand éclat, dans ces temps heureux, que parce qu'ils recevaient, de tous les souverains et des grands, un accueil aussi flatteur que magnanime. Ces princes avaient senti qu'ils ne pouvaient arriver à une véri→ table gloire qu'en ne la séparant jamais de celle que les grands poëtes et les grands artistes faisaient rejaillir sur eux. Aussi, quels honneurs, quelles récompenses ne leur prodiguaient-ils pas, certains qu'ils étaient d'enflammer leur génie en les excitant à se surpasser eux-mêmes? Telle est l'origine de ces chefs-d'œuvre qu'on admire toujours sans pouvoir les égaler la médiocrité dans les talens était aussi rare qu'elle est devenue commune aujourd'hui, on dirait qu'il existe une barrière qu'ils ne peuvent pas dépasser; et qu'il faut répéter avec Voltaire :

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:

La médiocrité couvre la terre entière.

Les effets sont toujours produits par leurs causes. Celles-ci demanderaient un plus long développement, qu'on ne peut se permettre dans une notice. Souvent une esquisse suffit pour donner l'idée du tableau.

A M. FRÉDÉRIC BAROCHE.

Rome, le 10 octobre 1595.1

Le tableau que vous m'avez envoyé a un seul défaut, c'est qu'étant divin, les éloges des homimes ne sauraient le louer assez dignement. Il excite à la fois le silence et un étonnement qui tient du merveilleux. Le Christ sur la croix paraît mort; cependant il respire, et semble n'avoir souffert une mort volontaire que pour le salut de tous. L'expres

sion de sa mère divine est telle, qu'un de ses regards porte l'attendrissement dans l'âme et la console; on ne sait, en la voyant, si elle est plus afflic gée des plaies de son fils bien-aimé, ou si le salut du genre humain ne lui cause pas cette joie intérieure dont elle semble aussi pénétrée : suspendue entre ces sentimens divers, remplie d'étonnement, et dévouée dans sa piété, elle s'abandonne sur son nouveau fils, qui la soutient et partage ses douleurs. Saint-Sébastien offre toutes les richesses de l'art, où n'arrivèrent jamais les anciens ni les modernes. Que dirai-je de ces beaux anges qui vous émeuvent de compassion? Je vous répète de nouveau, et je vous avoue que votre ouvrage est ravissant, et transporté comme une chose divine. Je m'en remets à notre M. Ventura, pour vous exprimer toute ma reconnaissance des fatigues que vous vous êtes données. MM. Giustiniani ont ordre de vous payer ce qui vous est encore dû : ma detté envers vous ne sera pas éteinte pour cela; j'entends la conserver le reste de mes jours, et la reconnaître à la première occasion qui s'offrira de vous rendre service.

MATTHIEU SANAREGA.

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A M. PIERRE DE MÉRA, peintre flamand.

Fabriano, 1596.

Ce n'est point m'apprendre une chose nouvelle, mon cher de Méra, en me disant que vous m'aimez, et que vous vous rappelez souvent de moi,

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