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cartes ou tourner les dés d'une manière avantageuse pour le joueur? D'ailleurs, comme toute la terre n'est qu'un point, par rapport à l'étendue immense des cieux, comment les influences distinguent-elles deux joueurs qui sont si près l'un de l'autre? Si le bonheur ou le malheur était l'effet des impressions que l'enfant reçoit des astres à l'instant où il vient au monde, la fortune, qui est si variable, devrait toujours être la même : on ne verrait point un homme, après avoir été heureux pendant plusieurs années, devenir ensuite malheureux.

Boëce, Simplicius et les autres philosophes qui admettent le hasard, en sorte que, selon leur système, certains évènemens n'ont aucune cause prochaine, sont obligés, en reconnaissant une cause première, de retomber dans quelqu'un des sentimens développés ci-dessus. Ils ne disputent que sur les termes, puisque le hasard, qu'ils placent dans les choses fortuites entre la cause première et l'effet, n'a rien de réel à leur avis même.

Cette cause du bonheur et du malheur, inconnue à tous les hommes, ne saurait être physique ou naturelle. Les évènemens qui nous paraissent fortuits, ne peuvent être attribués qu'à la providence divine; et ce qu'on appelle fortune, n'est autre chose que les décrets de cette providence. L'Écriture nous apprend (in lib. Job, et in Genes., vers. 30) que la providence a été la source des malheurs de Job et des richesses de Laban. Saint Augustin se repent d'avoir fait abus du mot fortune, non pas en y attachant une idée d'idolâtrie, mais en se laissant entraîner par l'opinion commune, qui attribue au hasard un pouvoir chimérique. « Non mihi placet toties me appellasse fortunam, quamvis non aliquam deam voluerim hoc nomine intelligi, sed fortuitum rerum eventum, vel in corporis nostri, vel in externis bonis aut malis. Unde et illa verba sunt, quæ nulla religio prohibet, forte, forsan, forsitan, fortasse, fortuito. Quod tamen totum ad divinam revocandum est providentiam. (S. AUGUST., Retract., lib. 1, cap. 1.) Faisons le même aveu, et reconnaissons que l'idée de la fortune et du hasard est une idée que nous n'entendons pas nous-mêmes, et que nous ne pouvons pas expliquer; que la raison, dépourvue même des vérités révélées, ne peut être satisfaite de rapporter à des êtres imaginaires un pouvoir qui ne dépend que de la volonté de Dieu et de sa providence. Néanmoins ne blâmons

pas l'expression vulgaire, pourvu qu'on rejette l'abus que Saint Augustin a signalé. Les termes de l'inconstance, de l'instabilité de la fortune, peuvent servir à exprimer et à représenter les vicissitudes des choses humaines, et la vanité de tous les biens fragiles et périssables.

Il paraît que le destin a été connu dans l'antiquité profane la plus reculée, avant qu'on ait eu aucune idée de la fortune; et Macrobe (Saturnal., lib. v, cap. 16) a fait observer que le mot fortune ne se trouve nulle part dans les deux poëmes d'Homère.

Un philosophe chrétien ne peut entendre par le destin que cette disposition souveraine et impénétrable de l'être tout-puissant, qui laisse agir les causes contingentes, subordonnées à sa providence, conformément aux lois naturelles qu'elle a établies. « Quid aliud est fatum, quam id quod de unoquoque nostrum fatus est Deus? » (MINUT. FELIC. Octav.)

Hanc igitur seriem caussarum dicimus esse

Fatum: quod deus ipse semel quasi fatus, ut ista

Omnia sic fierent, decrevit lege perenni.

MARCELL. Paling. Zodiac. in Scorp., lib. vi, v. 37.

Les philosophes ont eu, comme c'est leur habitude, des opinions fort opposées sur le destin. Empedocle, Aristote, Apollonius de Thyane, établissaient dans l'univers une fatalité générale à laquelle ils attribuaient toute chose : Pythagore et Leucippe disaient que le destin est la puissance insurmontable de la nécessité. La plupart des poètes ont suivi ce sentiment: Eschyle exhorte les hommes à supporter patiemment leurs destinées, dont la force est invincible :

Τὴν πεπρωμένην δὲ χρὴ

Αἶσαν φέρειν ὡς ῥᾷστα, γινώσκονθ' ὅτι

Τὸ τῆς ἀνάγκης ἔστ ̓ ἀδήριτον σθένος.

In Prometh. vincto.

Homère dit qu'aucun homme, bon ou méchant, ne peut éviter sa destinée, dès le moment de sa naissance :

Μοίραν δ' οὔ τινα φημὶ πεφυγμένον ἀνδρῶν,

Οὐ κακὸν, οὐδὲ μὲν ἐσθλὸν, ἐπὴν τὰ πρῶτα γένηται.

Horace dépeint la nécessité comme une déesse impitoyable qui porte des coins et des clous énormes dans sa main de fer :

Te (fortunam) semper anteit sæva necessitas,

Clavos trabales, et cuneos manu

Gestans ahena; nec severus

Uncus abest, liquidumque plumbum.

Od., lib. 1, 35.

Pindare exprime le pouvoir de la destinée en disant que ni le feu, ni les murs d'airain ne peuvent l'arrêter :

Τὸ πεπρωμένον οὐ πῦρ, οὐ σιδαροῦν σχήσει τεῖχος.

Ap. Plutarch. in Marcel.

Homère nous montre Jupiter se plaignant de ne pouvoir fléchir le destin ni garantir de la mort son fils Sarpédon. Ovide a imité cette pensée d'Homère, en faisant dire à Jupiter qu'il est soumis à la loi du destin, et que, s'il pouvait la changer, Éaque, Minos et Rhadamanthe ne resteraient pas accablés sous le poids de leur vieillesse :

Me quoque fata regunt: quæ si mutare valerem,
Nec nostrum seri curvarent Æacon anni;
Perpetuumque ævi florem Rhadamanthus haberet
Cum Minoe meo qui propter amara senectæ
Pondera despicitur; nec, quo prius, ordine regnat.

Metam., lib. ix, v. 433.

Zénon, Panétius et tous les stoïciens soutenaient que Dieu et le destin sont une seule et même chose.

Εν τι εἶναι θεὸν, καὶ νοῦν, καὶ εἰμαρμένην, καὶ Δία, πολλαῖς τε ἑτέραις ovoμacíais роoоvouálεabat. (DIOG. LAERT., lib. VII.)

« Eumdem et fatum vocari, et deum, et animum Jovis, et necessitatem omnium rerum. » (TERTULL., Apologet., cap. xxI.) « Natura, providentia, fatum, fortuna, nomina sunt unius et ejusdem dei, varie agentis in rebus humanis. » (Sen.)

Sénèque ajoute que Dieu a fait les destinées, et que lui-même ne peut s'écarter des règles qu'il a prescrites. « Scripsit quidem fata, sed sequitur; semper paret, semel jussit. »

Les stoïciens avaient une opinion singulière ; ils croyaient qu'a

près un certain nombre de siècles, on voyait revenir les mêmes évènemens dans les mêmes circonstances, en sorte que non-seulement cette révolution uniforme ramenait les faits les plus illustres, comme la prise de Troie, la fondation de Rome par des héros entièrement semblables, mais même tout ce qui se passe dans le particulier, et entre les gens les plus obscurs.

Alexandre d'Aphrodisée, dans le traité qu'il a composé sur cette matière, explique le destin par le cours ordinaire et immuable de la nature. Dans le système absurde de Spinosa, tout est l'effet d'une nécessité produite par l'arrangement de la matière. Quinte-Curce attribue les évènemens à des décrets éternels et à l'enchaînement des causes métaphysiques. « Et eludant licet, quibus forte ac temere humana negotia volvi agique persuasum est, equidem æterna constitutione crediderim, nexuque caussarum latentium et multo ante destinatarum, suum quæque ordinem inmutabili lege percurrere. » (Lib. v.)

Héraclite entendait par le destin la force de l'air qui s'insinue dans toute la nature. Possidonius a établi trois souveraines puissances: la première, de Jupiter; la seconde, de la nature; la troisième, de la destinée. Platon s'explique plutôt en poète qu'en philosophe, lorsque, dans le Phédon, il appelle le destin la loi d'Adrastée, et qu'il le nomme, dans les livres de la République, la raison de Lachésis, fille de la nécessité. Plutarque (de Placit. philosophor., lib. 1, cap. 27) attribue à Platon une autre explication du destin, savoir que c'est l'enchaînement des évènemens joints à notre volonté.

Boëce soumet le destin à la volonté de Dieu. Épicure et Anaxagore supprimaient totalement le destin. Carnéade et plusieurs autres, apercevant les conséquences du pouvoir du destin, qui renverse tous les fondemens de la morale en nous ôtant la liberté, ont affranchi les hommes de cette dépendance. Ceux qui ôtent à l'homme la liberté, ne peuvent éviter de faire Dieu l'auteur de tous les crimes; opinion (GROT., de Dogmatib. reipubl. noxiis) qui, au jugement de Platon, ne doit point être tolérée dans la république, et que Grotius regarde comme la plus pernicieuse de toutes les erreurs, parce qu'elle anéantit les vertus, et qu'elle autorise les crimes.

L'esclave de Zénon prétendait s'assurer l'impunité d'un vol par

la doctrine de son maître; il disait que le destin l'avait forcé d'être larron: son maître lui répondit que sa destinée était aussi de recevoir le châtiment que l'on infligeait d'ordinaire aux larcins des esclaves. Suétone représente Tibère comme un prince qui avait peu de religion, à cause de la prévention où il était que tout dépend d'une destinée inévitable. « Circa deos ac religiones neglegentior Tiberius, quippe addictus mathematicæ, persuasionisque plenus cuncta fato agi. (SUET., in Tiber., cap. 69.)

Mahomet persuadait à ses soldats qu'en s'exposant à tous les dangers, ou en prenant toutes les précautions possibles pour éviter les périls, ils ne mourraient ni plus tôt ni plus tard qu'il avait été réglé par le destin.

Joinville, dans la Vie de saint Louis, page 49, parle ainsi de cette opinion: « Sont aucuns qui disent que nul ne peut mourir qu'à ung jour déterminé sans aucune faille; qui est une chose faulce car autant je estime telle créance, comme s'ils voulaient dire que Dieu n'eût point de puissance de nous mal faire, ou aider, et de nous eslonger ou abrégier les vies; qui est une chose hérétique. »>

Plutarque a eu une opinion subtile (in Coriol.) : il prétend que c'est Dieu qui nous détermine à toutes nos actions, et que nous sommes réellement forcés d'agir, en sorte néanmoins que nos actions nous paraissent libres, et nous semblent des effets de notre volonté. C'est réduire la liberté de l'homme à une imagination séduite par la divinité même, bien que la plus certaine de toutes les maximes, et le principe de toute vérité, soit que Dieu ne peut nous tromper.

Sénèque dit (Epist. 66) que ce qui est fait par contrainte ne saurait être vertueux; et qu'il n'y a point de vertu là où il n'existe pas de liberté.

Corneille, dans sa tragédie d'OEdipe, fait raisonner ainsi Thésée :

Quoi? la nécessité des vertus et des vices
D'un astre impérieux doit suivre les caprices;
Et Delphes malgré nous conduit nos actions
Au plus bizarre effet de ses prédictions!
L'âme est donc tout esclave? une loi souveraine
Vers le bien ou le mal incessamment l'entraîne,

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