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leur accorder. Ainsi le d continua d'être pris pour un B, quoiqu'il y eût déjà un B dans l'alphabet, et quoique Bourguet eût démontré que c'était une sifflante. Il fallut qu'Otfried Müller prouvât de nouveau le même fait1.

Parmi les savants italiens, les uns, comme Olivieri et Gori, admirent, ou du moins parurent admettre ces résultats. Ainsi Olivieri traduisit les lettres de Bourguet dans les mémoires de l'académie de Cortone; Gori les reproduisit dans son Museum etruscum 2, en ajoutant seulement la découverte qu'il avait faite de son côté, que les litanies étaient en vers hexamètres. D'autres savants proposèrent des interprétations différentes. Maffei, guidé par son tact naturel, avait émis sur le contenu probable des inscriptions une vue qui n'avait rien que de raisonnable. « Mihi visum est tractari ibi de rebus sacris atque sacrificiis.... Ceterum hoc velim extra dubium accipiatur laminas illas, quas dixi, Eugubinas nihil aliud continere posse quam documenta sive publica, veluti pacta inter gentes inita, pacis aut fœderum formulas; sive privata, venditiones puta, donationes, testamenta3.

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L'abbé Passeri, qui avait écrit à l'âge de quatorze ans une dissertation sur les Tables Eugubines, et qui revint encore par deux fois sur le même sujet dans le cours de sa longue vie, publia en 1739, dans un recueil philologique édité à Venise, une série de lettres qu'il intitula Lettere Roncagliesi, du nom de sa maison de campagne de Roncaglia. Les lettres étaient adressées à Olivieri. Ce dernier avait eu le mérite de faire une découverte qui fut un trait de lumière au milieu des ténèbres où l'on avait tâtonné jusque-là. Il avait reconnu que le nom, si fréquemment répété, de Ikuvina, Iiouina, ne désignait pas la jeunesse, comme le supposait Bourguet, mais que c'était le nom même des Iguviens; on commença dès lors

1. Nous ne savons trop pourquoi Lepsius, qui rend justice aux services rendus par Bourguet, l'accuse de jactance et de vanité. Nous n'avons rien trouvé de semblable dans les lettres de Philalèthe.

2. Trois vol. in-fol. 1737-43.

3. Scipionis Maffei origines etruscæ et latinæ, sive de priscis ac primis ante Urbem conditam Italiæ incolis commentatio. Ex italico sermone in latinum convertit I. G. Lotterus. Lipsia, 1731, p. 66, 73.

4. Raccolta d'opuscoli scientifici e filologici édités par D. Angiolo Calogerà. T. XXII, XXIII, XXVI, XXVII.

5. Sopra alcuni monumenti pelasgi. Pesaro, 1735. Il reconnut aussi le nom des Tadinates, peuple de l'Ombrie cité par Pline.

à se douter que ces tables se rapportaient au passé de la ville où elles avaient été découvertes. Guidé par cette indication, Passeri écrit : «< Sapete voi in che lingua son esse scritte? In lingua gubina antica. » Voici un passage de ces lettres où, avec un certain art de mise en scène et en une langue toute colorée des idées philosophiques de Vico, il fait ressortir le caractère national de ces recherches : « Ce sont là, dit-il, nos vrais et légitimes monuments, et tout bon citoyen doit considérer cette étude comme une étude nationale. Ce que nous avons de romain nous est aussi étranger qu'il peut l'être aux Daces et aux Sicambres. Ce peuple qui a tout foulé aux pieds n'a d'autre relation avec nous, que de nous avoir opprimés. Ces inscriptions contiennent les noms et les prérogatives de nos ancêtres; ici sont renfermées les traditions et les coutumes de notre peuple; et si l'envie romaine a fait sentir sa furie même à l'innocence de notre antique idiome, les germes qui vivent encore dans les puissances de notre âme sont emportés par le tourbillon des choses humaines. Il ne se peut que ce circuit universel qui agite les idées de toutes choses ne vienne déposer un jour ou l'autre, soit à dessein, soit par hasard, des principes qui, accueillis et nourris, permettront de réparer en quelque manière cette perte.» Il est intéressant de voir comment le patriotisme italien, qui, à cette époque, ne dépassait point encore l'amour de la province, avait trouvé un aliment dans ces études : il n'est pas moins curieux de comparer ces sentiments pour Rome avec les idées qui devaient remplir l'Italie un siècle plus tard.

Malheureusement Passeri ne s'en tint pas à ces déclarations. Il voulut interpréter les tables. Oubliant ce qu'il avait dit sur la langue des inscriptions, il les explique, tout comme Bourguet, à l'aide du grec et de l'hébreu. Vingt-cinq ans plus tard il en donna une traduction nouvelle1, prouvant au moins de cette manière son ardeur pour un problème que sans doute le voisinage de Gubbio, qui lui éleva un monument, l'empêchait d'oublier.

La vie fertile en loisirs des ecclésiastiques italiens au dixhuitième siècle trouvait dans ce genre de travaux une noble et élégante occupation. Un autre abbé, esprit enjoué et fin, I. Lami, publia en 1742, sous le pseudonyme de Cle

1. Io. Baptistæ Passerii In Thomæ Dempsteri libros de Etruria Regali Para lipomena. Lucæ, 1767.

mente Bini, et probablement en réponse aux Lettere Roncagliesi, des Lettere Gualfondiane où il se moque avec esprit des interprétations qu'on avait proposées. Il montre qu'il faut chercher dans le latin vulgaire l'explication de la langue des tables, et il donne à ce sujet d'excellentes indications. Mais, lui aussi, il aurait dû se borner à la théorie, car la traduction qu'après un long et judicieux préambule il donne de la table III, ressemble à un pur roman. «< C'est, dit-il, un fragment de l'histoire ancienne eugubine, racontant la fuite des citoyens de Gubbio, de leur cité mise à sac et dévastée par les ennemis. Ce sont les lamentations des fugitifs qui, considérant le mal qu'ils ont souffert, se retournent vers Jupiter, et l'excitent à les venger, en lui représentant le massacre de leurs proches, la ruine de leurs biens et de leur patrie. » Les ennemis, ajoute Lami, venaient probablement du côté de Tivoli. On ne sait pas toujours si l'abbé florentin plaisante ou s'il prend sa traduction au sérieux 2.

Pour finir l'histoire de ces efforts infructueux, il faut encore mentionner un ouvrage qui parut en 1772 à Modène, et qui est peut-être le plus faible de tous. Il a pour titre Della lingua de' primi abitatori dell' Italia. C'est l'œuvre posthume du jésuite Stanislas Bardetti. L'auteur explique la même inscription que Lami, et, lui aussi, il suppose un récit historique parlant de guerre et d'exil. Mais ce qui le distingue de ses prédécesseurs, c'est qu'il interprète principalement l'ombrien à l'aide de l'anglo-saxon, du vieux haut-allemand et du celtique.

En présence de ces divagations, on apprécie d'autant mieux la réserve d'un savant tel que Fréret, qui jugeait de cette façon, en 1753, les tentatives faites jusqu'alors :

« Les inscriptions étrusques en caractères latins ne sont

1. Lettere Gualfondiane del signor Gius. Clemente Bini sacerdote fiorentino sopra qualche parte dell'antichità etrusca all'illustrissimo signor Drake, cavaliere inglese. 1744. Firenze, in-12.

2. Bini traduit (p. CCLXXXV): Exeunt [Iguvini], fuga ter summa [seu quam citissima], ustis sex in thesauro urnis [rerum scilicet preciosarum, ne in hostium manus devenirent]. Tum quidem vocem promunt, petunt, invocant, ultorem fortem [adversus hostes], euntes. Frater ostentat purum [sceleris] fratrem, [qui] mersus [malis et funere] fuit. Mulieres invocant ultorem fervidum mulieres sistunt sacras oves ultori [ut exaudiat]. Viri puncti [acri dolore] certant [sacrificaturi] innumeris sacris ovibus; et fortes [quidem] puncti ob summa fratrum [mala] innumera, in via [dum essent, atque vadentes lamentabantur]. Mersa [ac perdita] ovis, arva et tota; eradicata pyrus [et omnis arbos].

pas plus intelligibles que les autres, quoiqu'on y rencontre des mots latins défigurés. Les interprétations que quelques savants en ont prétendu donner ne sont que des divinations absolument hasardées; des alliages de mots latins, grecs, hébreux, altérés et rendus méconnaissables. Avec de pareilles licences on rapportera ces inscriptions à toutes les langues du monde, au bas-breton, au basque, au mexicain. On peut même observer que les auteurs de ces interprétations ne font aucun usage des mots étrusques dont les anciens nous ont transmis le sens. Remarquons enfin qu'il n'est rien moins que prouvé que ces monuments aient la grande antiquité qu'on leur attribue. Ceux qui sont en caractères latins, à n'en juger que par la forme de ces caractères, doivent être postérieurs à la conquête de l'Étrurie par les Romains et remonter tout au plus au temps de la première guerre punique1.

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Le premier qui ait ouvert les voies à une interprétation méthodique est L. Lanzi (1732-1810), dans son Saggio di lingua etrusca e di altre antiche d'Italia, publié à Rome en 1789 2. S'inspirant de la prudence de Fréret dont il rappelle les paroles, il annonce qu'il ne tentera pas une traduction intégrale des textes, mais qu'il imitera ceux qui expliquent une inscription à demi effacée, et qui, là où ils ne peuvent lire, se taisent ou se contentent d'une conjecture présentée avec doute. Il ne saurait considérer les Iguviens comme des Étrusques, puisque sur les tables Eugubines les Étrusques sont nommés en toutes lettres à côté des Iguviens. Toutefois il doit y avoir, vu le voisinage, une certaine parenté entre les deux langues. La syntaxe est pour la plupart du temps identique à la syntaxe latine. Quelquefois elle a l'air barbare : mais le lecteur, en ajoutant ici un S, là un M, comme il faut faire aussi dans les inscriptions romaines, ou en opérant quelque autre changement non moins régulier, n'aura pas de peine à mettre habituellement le texte d'accord avec les règles des grammairiens; c'est une sorte de latin rustique. La date de ces tables ne peut guère être antérieure au septième siècle de Rome. Pourquoi deux écritures? Passeri suppose que les incriptions en caractères latins appartenaient à un âge où le latin avait prévalu dans le pays. Lanzi lui-même avait autrefois partagé cette opinion mais il est convaincu

1. Hist. de l'Acad. des Ins., t. XVIII, p. 107,

2. Réimprimé à Florence en 1824.

aujourd'hui qu'il ne peut y avoir entre les deux sortes d'inscriptions une grande différence d'âge. Ce sont probablement deux dialectes; un caractère du dialecte le plus moderne, c'est le rhotacisme et le changement de ¶ en RS. Quant au contenu, il n'était pas difficile de le deviner: tant de noms de divinités et de sacrifices nous annoncent un rituel. Les tables VI et VII sont le plus grand monument de liturgie païenne qui nous ait été conservé1.

On voit comme Lanzi touche déjà du doigt la vérité. Mais quand il en vient à la traduction, un instrument essentiel lui fait défaut. Son côté faible, c'est la grammaire : quand il traduit tio esu bue (te hoc bove) par toμEVOS EGO, quand il rend fa kust ap itek (postquam ita fecerit) par «< ite, facessite », quand il fait du participe pesnis (precatus) le substantif pesnis « la coda », quand il interprète peturpursus (quadrupedibus) par étépots puris, quand il prend Hertei, Appei, Capir, Dirsas pour des noms propres, on découvre les lacunes de la science grammaticale d'alors.

Trente ans plus tard, Otfried Müller, dans son ouvrage sur les Étrusques (1828), s'occupa des Tables Eugubines, et il le fit en philologue supérieur2. Il établit d'une façon irréfutable le point capital, déjà entrevu par Fréret et Bonaruoti, que ces inscriptions ne sont pas en étrusque, mais en ombrien, et il nie qu'il y ait aucune parenté entre ces deux idiomes. Ses vues sur les prétendus deux dialectes ne sont pas moins justes. Les différences d'orthographe qu'on aperçoit entre les tables en écriture étrusque et les tables en écriture latine viennent de la différence des alphabets: mais si la voyelle o, par exemple, est marquée V dans l'écriture étrusque, cela ne prouve pas que le son o n'existât point dans la prononciation; on en peut dire autant pour les consonnes d et g, qui n'ont point de signe spécial, et qui sont représentées par T et K. Ces considérations ont été un peu perdues de vue par les successeurs d'Otfried Müller. Mais où il montre surtout son tact grammatical, c'est quand il s'agit de reconnaître les flexions. Il établit les désinences du génitif et du datif singulier, celles du nominatif et de l'accusatif pluriel. Dans la conjugaison, il distingue la forme de l'impératif et celle du futur antérieur. D'autre part, ses recherches sur le rituel étrusque

1. Saggio (2 édition), I, 37, 122, 220 s. III, 582 ss. 2. Die Etrusker. 2 vol. Voy. surtout!

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