Par aucuns lieux de soye enveloppez, La bende des archiers de la garde du roy. La bende des cent gentilhommes du roy. Sur grans chevaulx leurs pages les suyvoyent, Curieux et amusant tableau, où perce, en face des Italiens étonnés sans cesser d'être narquois, la vanité un peu fanfaronne de notre caractère national, le penchant du Français à étonner le monde ! Brief on disoit tout veu et regardé : Quoeste my pare oune grande merveille!... Quand il eut reçu les clefs de la ville, le roi, à cheval et couvert d'une riche armure, se mit en marche sous un dais de drap d'or porté par quatre patriciens. Le peuple contemplait avec une admiration mêlée d'effroi la formidable armée, le long cortège de seigneurs, d'officiers et de valets précédant et suivant le monarque. Le galant Charles ne paraissait pas moins attentif à un autre spectacle. Car, Les Florentines à faces angeliques De voir Françoys en leurs terres marcher 1. Le palais de la Via Larga avait été réparé à la hâte pour recevoir le roi. A peine y fut-il installé que les négociations recommencèrent. Les magistrats demandaient l'exécution du traité conclu par Pierre, pacte annulé, répondait Charles, par l'expulsion de Médicis : la ville était sa conquête; à lui seul de décider de son sort. Bientôt il fit savoir à quel prix elle obtiendrait grâce : suzeraineté de Florence pour lui-même, rappel de Pierre avec tous ses honneurs. Ces exigences réveillèrent l'énergie des citoyens. La Seigneurie repoussa, par ses délégués, des conditions déshonorantes. Au roi qui parlait « de faire sonner ses trompettes », Capponi répondit : « Nous sonnerons nos cloches. >> Cette mâle réplique intimida les conseillers de Charles. Ils décidèrent leur maître à se relâcher de sa rigueur les Pisans rentreraient sous le joug, mais 1. Le Vergier d'Honneur. Petit in-folio gothique, avec figures. imprimé à Paris, sans date. amnistiés pour leur révolte; la Seigneurie payerait au roi cent vingt mille florins en trois termes. C'est encore un poète qui nous rendra la vive impression d'orgueil patriotique ressentie par les Florentins dans cette crise. Dans ses Decennali, chronique rimée au style lapidaire, Machiavel tient du Dante, sinon pour l'inspiration souveraine, du moins pour la magistrale concision, pour la vigueur ramassée du tercet: 1. Vous avez vu la cité en grand péril Et il n'y eut pas lieu pour sortir de la serre De montrer peu de cœur ou moins de conseil. Le fracas des armes et des chevaux Ne put faire que ne fût point ouïe Tant que le roi superbe se départit, Vedeste la cittade in gran periglio; Di un tanto re, e non esser vassalli, Lo strepito dell' arme e de' cavalli Non potè far che non fosse sentita Per mantener sua libertate unita. (Nic. MACHIAVELLI, Decenn. primo, v. 29-39.) Dans cette revue des mœurs et des idées, les faits matériels ne nous intéressent que par les échos qu'ils réveillent dans les âmes, répétés par les poètes, ces échos, eux aussi, qui multiplient et activent les retentissements et les émotions. Du nord au midi, du Phare aux Alpes, à l'Apennin, la Muse les répercute. « Quelle haine, s'écrie le Napolitain Cariteo, quelle fureur, quelle ire cruelle, quelles planètes malignes, à cette heure, ont divisé vos volontés unies! Quelle cruauté vous meut, âmes italiennes, à livrer le sang latin à des peuples jaloux!... Et toi, sainte immortelle, terre de Saturne, mère des hommes et des dieux, reporte contre les barbares la guerre impie qui t'arme contre toi-même1. » A l'histoire politique de suivre le jeune vainqueur dans sa triomphante épopée. Que glaner à cet égard après Commines et Guichardin? 1. Qual odio, qual furor, qual ire immane, Han vostre voglie unite hor si divise? A dare il Latin sangue a genti invise? Et tu, santa immortal, saturnia terra, Madre d'uomini et dei, Nei barbari converti hor l'impia guerra. CHAPITRE XXIII. CRISE RELIGIEUSE. SAVONAROLE. Cette expédition d'Italie est comme un roman de chevalerie, sorte de geste, renouvelée du Moyen-Age au début d'une période très positive, où s'assit la politique d'équilibre appelée à régler pour longtemps les rapports des peuples européens. Mais l'histoire intellectuelle est, elle aussi, en ce moment même en face d'un autre roman, d'une utopie en action poursuivie par un moine, au nom d'un principe, qui, pour mystique qu'il soit, ne s'en traduisit pas moins dans une moitié de notre Occident par des résultats effectifs et temporels d'une capitale importance. Je veux parler de l'idée religieuse étroite représentée en Italie par Savonarole en opposition avec la Renaissance. Si, sous la forme dans laquelle celui-ci la contint, cette idée ne menaçait pas directement l'Église hiérarchique, comme elle le fit avec Luther, elle était pourtant en contradiction réelle avec l'esprit et les tendances de l'autorité cléricale. L'Europe occidentale touchait à une nouvelle crise théologique. |