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V

La marine bretonne est loin d'être aussi développée, aussi fortement organisée, que l'est l'armée de terre. Le duc peut moins facilement la manier, constituée qu'elle est surtout par les vaisseaux des particuliers; cependant, les forces dont ceux-ci disposent, Jean V réussit encore à les régler et à les diriger à peu près.

Un pays entouré, comme la Bretagne, de trois côtés par la mer, un pays qui, à plusieurs reprises doit subir les descentes des Anglais et entend ne pas les laisser impunies (1), est obligé d'avoir recours aux forces navales. Mais le duc laisse agir bien souvent l'initiative privée : l'évêque de St-Malo, avec quelques seigneurs ses voisins, arme librement une flotte contre l'Angleterre(2) toutefois, cette liberté qu'il laisse, il sait au besoin, la régler. Accordant ou refusant des lettres de marque (3),

(1) En 1403, les Anglais ayant fait une descente en Bretagne, une armée navale s'organise, les poursuit à leur départ, et leur inflige une sanglante défaite. La même année, les Bretons font une descente en Angleterre et les Anglais une nouvelle descente en Bretagne, ravageant et brûlant tout, de Penmarc'h à St-Mahé. Dès les premiers mois de 1404, les Bretons essaient de se venger par une nouvelle descente assez désastreuse sur les côtes d'Angleterre; mais ils prennent leurs revanche en août, quand, la flotte anglaise ayant débarqué à Guérande, ils remportent, conduits par Jean V en personne, une glorieuse victoire sur leurs ennemis. Cf. D'ARGENTRÉ, op. cit., p. 555. LA NICOLLIÈRE. La Marine bretonne au XVe siècle. Rev. hist. de l'Ouest, t. I, p. 225 sqq.; t. II, p. 15 sqq, et surtout LA BORDERIE. La Jeunesse de Jean V. Revue de Bret., de Vendée et d'Anjou, mars 1900.

(2) L'expédition préparée à l'instigation de l'évêque de St-Malo contre les Anglais, compte parmi les principaux membres, les sires de Combourg, de Montauban, de Coëtquen, Brient de Chasteaubrient; ce dernier est nommé « chef et admiral » de leur petite flotte. LA NICOLLIÈRE, La Marine, etc., Revue hist. de l'Ouest, t. II, p. 15-16.

(3) Mand. de Jean V, no 2068, loc. cit., t. VII, p. 46-47; no 1196, loc. cit., t. V, p. 191. «En 1433, Jean V ordonne de s'informer des pilleries et vexations qui se font sur la mer sur les Anglais par ses subjetz et punir et corriger criminellement ou civilement comme infracteurs et violateurs de paix et desobéissans, en manière que tous autres y prennent exemple et mesmes qu'ils ayent à faire prester le serment à tous mariniers de se porter loyaument, sur peine de saisie et confiscation de biens. » lbid., no 2084, loc. cit., t. VII, p. 54.

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faisant surveiller par ses officiers le partage du butin (1), punissant les Bretons violateurs des trêves, c'est lui qui reste l'arbitre de la paix ou de la guerre : en 1407 « Michel Abraham, sergent d'armes de Mgr » reçoit l'ordre de « se transporter par les pors et havres de Bretagne » et « fait deffense à tous de non faire armée ne guerre par mer jucques à autrement en soit ordenné(2). >> Parfois, le duc prend part, directement, à la lutte sur mer (3). Toutefois, alors même, il n'a point à sa disposition des forces tout organisées. Il a et l'institution est antérieure à son règne (4) un amiral qui perçoit, en vertu de ce titre même, le « disme des profitz des armes que on fait sur la mer (5). » Mais il n'a point de budget pour les dépenses maritimes: pour parer aux frais d'une expédition, l'amiral est chargé de percevoir, extraordinairement, au profit de la flotte, les revenus de tous les ports et havres de Bretagne (6). Il n'a pas davantage de navires de guerre, pas de matelots classés et désignés en vue des luttes navales il faut, en cas de besoin, réquisitionner les uns et les autres (7) sauf à indemniser les gros armateurs par l'anoblis

(1) Mand. de Jean V, no 678, loc. cit., t. V, p. 47 « A l'admiral de Bretagne... de contraindre un nommé Bretonné Bouchart, Bouzenc et autres qui ont acheté certain navire qui a esté prins sur les Anglais à poier la somme de II IX LXXV escus ou environ, affin que led. supplient, a cause de ses gens et ballinier, qui y ont esté, en aint leur porcion. » Cf. Ibid., no 622, loc. cit., t. V, p. 38.

(2) Mand. de Jean V, no 781, loc. cit., t. V, p. 65.

(3) C'est ainsi que, au commencement de son règne, il fait réunir à St-Pol de Léon « une armée... pour aller sur la mer à l'encontre des Anglais. » Ibid., n° 120, loc. cit., t. IV, p. 61, Cf., ibid., no 365, loc. cit., t. IV, p. 115.

(4) Mand. de Jean V, no 278, loc. cit., t. IV, p. 93.

(5) Ibid., no 771, loc. cit., t. V, p. 63. Il a aussi quelques autres revenus, mais ils sont contestés. Cf. n° 772, loc. cit., t. V, p. 63. « Il dit qu'il doit joir des debaz dessus la mer entre mariniers et autres genz et des debatz de la vendicion des vaisseaux; et mesmes qu'il doit avoir les vins sallez (?) et celx qui seront senz (?) barre, les cordages rompuz, de futailles vuidez, des pièces de matz et vergnes. Aux deux premiers articles, que on l'en lesse joir en la maniere accoustumée ; et de l'autre de se enquerir deument... et de tout envoier enclos par devers Mgr. pour en ordonner. »

(6) lbid., no 378, t. IV, p. 117. Cf. lbid., no 365, loc. cit., t. IV, p. 115 « Imposition de deboirs sur certaines espèces de marchandises pour entrée et issue pour durer jusques à ung an. »

(7) Ainsi, en 1406, lorsque le duc « meet le convoy sus,» le gouverneur de Batz requisitionne à cet effet « navires et mariniers. » Mand. de Jean V, no 365 loc. cit., t. IV, p. 115; n° 402, loc. cit., t. IV.

sement(1), les gens du commun par l'exemption d'impôts (2) — ou bien avoir recours à l'aide de seigneurs possesseurs de navires et habitués à la course (3).

Mais, sur leurs navires, ces seigneurs semblent recouvrer une partie de leur ancienne indépendance, même en présence de l'Amiral celui-ci n'est pas nécessairement et de droit, dans tous les cas, le chef des expéditions maritimes (4). Aussi on voit les flottes s'en aller, chaque capitaine conduisant son navire un peu à sa guise, et ne tenant, parfois, qu'un compte très imparfait des avis ou des ordres de l'Amiral, le représentant du duc(). Pourtant, dans une circonstance importante une descente sur les côtes d'Angleterre, en 1404, — l'Amiral exerce une autorité suffisante pour se faire obéir de l'armée presque tout entière (6). Plus tard, en 1431, c'est bien à lui que semble exclusivement confiée par le duc la direction de la flotte qui se rend à Marans au secours des alliés de Richemont

(1) Mand. de Jean V, no 1810, loc. cit., t. VI, p. 229. (2) Ibid., n° 469, loc. cit., t. V, p. 10.

(3) Comme Guillaume du Chastel, Ector de Pontbriant, le sire de Beaufort, etc.

(4) Ainsi pour poursuivre les Anglais qui rôdent non loin de St-Mahé en 1403, les seigneurs « choisissent » pour chefs « le sire de Penhoët, Jean, son fils, amiral de Bretagne, et Guillaume du Chastel. » LA NICOLLIÈRE. La Marine Bretonne. Rev. hist. de l'Ouest, t. I, p. 227. De même, en 1404, (d'après le Relig. de St-Denis cité par LA BORDERIE. La Jeunesse de Jean V, Rev. de Bret., de Vendée et d'Anjou, mars 1900), « ducem cui obtemperaretur in cunctis et qui ad nutum educeret pugnatores et reduceret minime prefecerunt. >> Pourtant l'Amiral est présent.

(5) Cf. D. LOBINEAU. Hist. p. 505. La flotte bretonne rencontre un convoi espagnol, les uns veulent le piller, d'autres, rappelant que la Bretagne est en paix avec l'Espagne, veulent le respecter et continuer leur marche; « on se dit des injures », et le convoi attaqué et pillé malgré les avis des plus sages, on se sépare; chacun se rend comme il lui plaît à la côte anglaise. Cf. LA BORDERIE. La Jeunesse de Jean V, ibid. « Solutis navibus...; unusquisque quod liceret sibi auctoritatem assumpsit. >>

(6) Sur l'avis de l'Amiral, d'accord il est vrai avec la majorité des chefs, l'armée, qui songeait à débarquer, reste sur une réserve prudente, qui n'est guère dans le caractère habituel des gens d'armes et chevaliers bretons. Le corps entier comprenait 2,000 écuyers et chevaliers soutenus d'arbalétriers, d'archers, de troupes légères; et « il n'y eut à débarquer que La Jaille et du Chastel avec 200 hommes d'armes et quelques archers. LA BORDERIE. Jeunesse de Jean V, ibid., p. 173.

et qui protège utilement les Bretons trafiquant dans ces parages (1).

On peut croire que l'autorité de l'Amiral, encore un peu incertaine et mal définie, s'affermissait et s'accroissait peu à peu, comme on a vu s'affermir et s'accroître à tous autres égards le pouvoir du duc et de ses représentants.

Dans l'organisation militaire bretonne, la marine n'est donc encore, malgré tout, qu'assez imparfaitement constituée. L'armée de terre, en revanche, se forme d'une façon assez solide et presque moderne elle cesse d'être purement féodale, en effet; le duc a bien recours encore au ban et à l'arrière-ban de sa noblesse, mais ce n'est plus sur le service féodal qu'il compte. Aux plus grands seigneurs, comme aux plus humbles chevaliers, il donne une solde et commence à réunir sous les ordres des capitaines parfois permanents, des compagnies analogues aux compagnies d'ordonnance françaises. Il essaie même, non sans succès, de créer une véritable armée nationale avec des « gens du commun »> pris dans chaque paroisse : il réalise ainsi une idée heureuse que la France va bientôt lui emprunter. Enfin, avec des chefs dont il est bien le maître, avec un budget largement suffisant pour parer aux dépenses militaires, il possède une force armée qui n'a rien à envier, ce semble, à celle des pays voisins et qui, surtout, est bien à lui.

(A suivre).

(1) Compte de Guinot, trésor. de Bret. de 1430-1432, art. 142, 143, 146, 149, Bibl. Nat. ms. fr. 11542. f. 15 et 16. J'emprunte ce renseignement à l'une des bonnes feuilles du troisième volume actuellement sous presse de l'Histoire de Bretegne de M. de la Borderie. Après la publication des premiers chapitres de la présente étude, M. de la Borderie, en me témoignant, spontanément, l'intérêt qu'il y prenait, m'a fait le grand honneur de me communiquer quelques-unes des pages auxquelles il donne la dernière main. Je le prie de vouloir bien agréer ici mes très sincères remerciements pour cette obligeante communication, si honorable d'ailleurs pour moi.

Une Exploration musicale en Basse-Bretagne!

LES AIRS DES GWERZIOU DE LUZEL RETROUVÉS ET PHONOGRAPHIES

M. F. Vallée, dont on connaît le dévouement aussi ardent que desintéressé à tous les intérêts bretons, m'avait exprimé l'espoir qu'il serait possible de retrouver les airs des Gwerziou de Luzel. J'entrai dans ses vues et je lui confiai, à cet effet, le phonographe de notre laboratoire de psychologie et linguistique expérimentale. Le succès a dépassé nos espérances. Je laisse la parole à M. Vallée. Je dois ajouter que personnellement j'ai recueilli depuis trois ans bon nombre d'airs remarquables par leur originalité et souvent d'un charme indicible. Les Bretons ont perdu la suprématie musicale dont ils jouissaient au MoyenAge, mais on rencontre encore fréquemment parmi leurs artistes inconnus d'incomparables mélodistes.

Quand notre moisson sera terminée ou suffisamment avancée, quand nous aurons pu transcrire avec une absolue fidélité nos mélodies, nous les publierons par souscription, sûrs d'avance du succès.

J. LOTH.

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