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Donc, au grand château de Versailles, quand vous avez monté calier par où montait le grand Condé tout chargé de laurs, comme disait Louis XIV, quand vous avez traversé la salle gardes du roi, la salle des gardes de M. le Dauphin, la salle gardes de M. le duc de Bourgogne, la grande galerie, le salon ercule et la salle du conseil; quand vous avez passé, en vous linant, devant ces échos plaintifs qui ont répété tant de hautes oles; quand vous avez longé ces murailles, témoins de tant de res et de tant de misères, vous trouvez une petite chambre cure, toute remplie de vaisselle d'or et d'argent au temps où s parlons. Dans cette chambre est renfermée toute la vaisselle ale. Coupes antiques, vases précieux, riches aiguières, comndées par François Ier à son orfévre Cellini. Et tout au coin de riche réduit, dans une vaste cheminée, voyez-vous ce feu de Ɔts tout allumé, et sur les deux chenets dorés voyez-vous cette le à frire qui chante son chant de victoire? Près de là, un bel lescent délaie et remue, dans une écuelle de porcelaine, une e blanche, liquide et sucrée, dont il admire la transparence; t auprès de cet enfant, une jeune fille bouclée et poudrée, à oux devant la cheminée, suit d'un œil inquiet et curieux tous mouvements de la pâte qui se crispe en cuisant dans la poële -ire. Il est impossible d'y mettre plus d'âme et d'attention des x parts, surtout la jeune fille. Pour être plus entière à sa frie, elle a quitté sa robe de gros de Tours et elle est restée en ple jupe de basin blanc, dont les basques retroussées dans les hes laissent entrevoir un bas de soie, enveloppe rose d'une be blanche et fine. Cependant, dans le coin du même apparent, et assise dans un fauteuil, une vieille dame semble lire entivement, dans un superbe livre d'Heures, la messe du Saintrit.

Quand les beignets sont bien cuits, bien dorés; quand cette fine r de farine bien sèche et bien rôtie est tout entière saupoue de sucre, mademoiselle d'Humières en remplit un vaste plat

de cette friande pyramide. On se met à table, mademoiselle d'Humières et le roi; et les beignets d'entrer en jeu. Mademoiselle d'Humières les faisait si bien! Et puis elle était si belle, et si blanche, et si mignonne dans son simple basin ! Le roi mangeait des beignets, et il regardait mademoiselle d'Humières! Et elle aussi, de son côté, elle regardait le jeune roi, et bientôt ces beignets si bons furent oubliés, et ces deux regards tout bleus se confondirent; c'en est fait, le roi Louis XV est entré sans le savoir dans l'amour, la troisième passion de son aïeul Louis XIV.

En ce moment, une heure de l'après-midi sonna à l'horloge du château, et l'on entendit gratter doucement à la porte. C'était le valet de chambre du roi, l'honnête Lebel, Lebel, que Louis XV envoya en courrier au-devant de toutes ses amours. Lebel, qui s'éleva en même temps que Louis XV, qui jamais n'a précédé son maître que d'une heure, mais à qui cette heure fatale suffisait pour causer bien des ravages; Lebel, qui comprit le roi beaucoup mieux que n'avait fait le cardinal de Fleury, son précepteur; il venait annoncer au jeune Louis que la cour était là, et que M. le duc de Mailly allait entrer. - Mon Dieu! dit le roi, tout troublé, mon Dieu! Lebel, qu'allons-nous devenir?

Lebel, sans regarder mademoiselle d'Humières, sans regarder le roi ni personne, montra, d'un geste qu'il ne fit pas, le dressoir sur lequel était étalée la vaisselle. Il n'y avait pas à balancer, mademoiselle d'Humières était en simple casaquin, la robe retroussée, le regard troublé et la joue ardente; elle comprit, elle aussi, le geste invisible de Lebel, et la voici derrière le dressoir, l'enfant!

Alors le roi, un instant troublé, redevient tout de suite un roi. Cela lui était si facile avec le peuple qu'il avait et les maîtres qu'il avait eus! Il s'avança donc en présence de toute la cour vers madame la maréchale d'Humières, qui était tout interdite; et, comme s'il eût achevé avec la bonne dame une conversation commencée, il la congédia avec une grâce toute royale. Jamais aux yeux des courtisans le roi n'avait été plus beau. Cependant le roi était mécontent, son sourcil était froncé et il s'apprêta à écouter M. de Mailly avec un air fort visible de mauvaise humeur.

M. le duc de Mailly, vieux courtisan et vieux soldat, avait obtenu du roi cette audience pour lui raconter ses travaux, ses bles

sures, et pour lui exposer ses droits incontestables au ruban bleu. qui était l'auréole de l'ancienne monarchie; le jeune Louis, tout entier à mademoiselle d'Humières, et qui la savait là, en petite robe, derrière le dressoir, répondit fort mal à M. de Mailly'; il sonna Lebel et le duc se retira fort mécontent. Mais comme M. de Mailly était venu tout botté et éperonné pour la chasse, il trouva en son chemin la belle robe bleue de mademoiselle d'Humières, et il sortit entraînant à sonéperon la guirlande de cette belle robe oubliée sur un fauteuil. C'était le premier oubli de ce genre chez le roi Louis XV, aussi fit-il sensation à la cour.

Voilà donc le jeune roi resté seul avec mademoiselle d'Humières, car madame sa mère était dans les grands appartements; Lebel était à la recherche d'une autre robe, et décemment mademoiselle d'Humières ne pouvait pas sortir du château de Versailles en jupon blanc, le sein et les bras nus. Cette fois, il ne fut plus question, entre ces deux enfants, de beignets et de friture. Ils baissaient les yeux l'un et l'autre, car l'un et l'autre ils avaient été élevés dans tous les saints préceptes de l'éducation chrétienne; Louis, disciple soumis d'un cardinal; mademoiselle d'Humières, un ange venu de l'abbaye de Chelles, où, en fait de leçons profanes, elle n'avait appris que l'art de faire des beignets, cet art immense qui la perdit. Cependant Louis portait du bon sang de Bourbon dans les veines, tout prêt à brûler à la moindre étincelle, et quant à mademoiselle d'Humières, elle avait beau être l'honneur de la sainte abbaye de Chelles, elle avait beau appartenir à une mère chrétienne et à des parents rigides, n'était-elle pas plongée jusqu'à l'âme dans les tièdes et délirantes exhalaisons du siècle qui couvait déjà l'Héloïse et Candide?

Mademoiselle d'Humières allait à la messe tous les jours, il est vrai, mais en son chemin elle rencontrait des danseuses et des filles demi-nues, étalant leurs vices effrontés dans les carrosses de la cour. De toutes parts, le luxe et l'amour parlaient à cette âme innocente. Boucher étalait sur chaque panneau ses voluptés sans voiles; les vieillards racontaient à chaque instant l'amour et le repentir de Lavallière, l'amour et le repentir de Sainte-Montespan; toute la régence soufflait son venin dans ce jeune cœur de seize ans, qui battait si vite sous l'ardent regard d'un jeune roi qui en avait quatorze. Pauvre fille! enfermée là par Lebel! Et puis, com

ment se serait elle défendue? elle n'avait ni sa robe, ni son fichu, ni sa mère !

Enfin Lebel revint fort tard avec la marquise, et Dieu sait si la marquise était inquiète! Elle avait reconnu à l'éperon de M. de Mailly une frange de la robe de sa fille. Ce jour-là le roi fut malade; on ne sut pas à la cour qu'il avait mangé les beignets de mademoiselle d'Humières.

Trois mois après, on lut la nouvelle suivante dans le Mercure de France : « M. le comte de Mailly a épousé hier à Saint-Louis de Versailles mademoiselle d'Humières, petite-fille de M. le maréchal d'Humières. Sa Majesté a accordé, à l'occasion de ce mariage, à M. de Mailly, le brevet de chevalier de ses Ordres, et l'a élevé à la dignité de maréchal de France! »>

De la première maîtresse à la dernière maîtresse, de mademoiselle d'Humières à madame Dubarry, quel abîme!... Il n'y avait guère qu'un pas ou deux pour le vaudeville. Il hache et confond tous les temps, tous les âges; vingt fois de suite, il s'attaque au même personnage, et tantôt dans l'apothéose, et tantôt dans la satire, il va sans frein, sans éperons! C'est un sauve qui peut général! · Madame Dubarry! Elle a fourni autant de drames et de chansons que M. de Richelieu lui-même, ou le roi Louis XV ! Jeanne de Vaubernier, un mélodrame. - La Com

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tesse du Tonneau, un vaudeville! Et je prenais galamment la défense de cette belle impure.

On est si facile à vingt-cinq ans !

LA COMTESSE DU TONNEAU.

Jusques à quand donc poursuivra-t-on cette pauvre courtisane royale? On l'a traitée de nos jours avec un acharnement sans exemple. On l'a mise en drame, on l'a mise en vaudeville, on lui a jeté à la tête toutes les déclamations de l'autre siècle. Nos grands moralistes se sont voilé la face devant elle; on les a vus rougir rien qu'à prononcer son nom. On a crié: A la prostitution! à l'adultère! à la dilapidation des deniers publics! C'est madame Dubarry qui a corrompu le roi Louis XV ! C'est madame Dubarry qui a perdu la France! Pauvre femme, elle ne s'attendait guère à tant d'honneurs, non plus qu'à tant d'indignités. Elle était jeune et belle, elle avait les plus beaux yeux du monde, la taille d'une

abeille, le sourire d'une duchesse, et elle faisait tranquillement son métier de femme jeune et belle et facile, quand un beau jour on vint lui dire : Quittez vos amours commencés, renoncez aux hasards de votre vie heureuse, prenez les habits, l'air et la démarche d'une princesse ; ma jolie fille, dites adieu à vos folies de chaque jour et à ces belles nuits d'intrigues et d'amour, nous allons dans une autre région où le plaisir ressemble à l'ennui, ой l'amour n'est plus que de la fatigue. Jeanne (elle s'appelait Jeanne et elle était née à Vaucouleurs!), brise ton verre rempli du vin d'Aï qui pétille contre ta lèvre éclatante, il faut maintenant que tu portes à tes lèvres une coupe d'or remplie d'absinthe et de fiel; Jeanne, laisse là les mousquetaires qui t'embrassent et qui te battent, il faut que tu te laisses aimer d'un vieux roi égoïste qui n'a vu de l'amour que le côté sensuel, comme il n'a pris de la royauté que l'éclat et la toute-puissance; allons, la belle, tenez-vous droite, et retenez ce franc sourire, baissez-nous ces jolis yeux, resserrez cette ceinture relâchée, rattachez ces beaux cheveux épars; il nous faut une comtesse: Madame, soyez comtesse !

Et sans lui donner le temps de répondre, ils l'ont traînée au Parc-aux-Cerfs, et la pauvre femme, d'abord elle a eu peur de cet homme ennuyé et blasé sur toutes choses; elle a reculé d'effroi devant cette ruine d'un roi de France autrefois si vaillant et si beau; elle n'a pas voulu reconnaître, dans ce vieillard vieux avant l'heure, l'amant de madame de Pompadour et des plus belles femmes du siècle de Voltaire; elle a pensé qu'on la jetait dans les bras de quelque faux Louis XV, et elle a voulu s'enfuir; et qu'elle eût bien mieux fait de s'enfuir, juste ciel! Car, sans tant de dangers, tant de contrainte et tant d'ennuis, les amants ne lui manquaient pas, les plus beaux et les plus jeunes! Mais, hélas! elle eut pitié de ce roi perdu d'ennui et de débauche. Elle consentit, horrible tâche, à être la dernière maitresse du Bien-aimé de la France. Que pouvait-elle faire de plus pour le roi, sinon lui prêter pour un jour ses grâces, sa beauté, sa jeunesse, cette gaieté vive et facile, cet esprit simple et borné, ce vice admirablement naturel qui était venu au monde avec elle et qui devait mourir avec elle?

Vous autres grands moralistes, qui reprochez à la comtesse Dubarry d'être une courtisane, avez-vous jamais entendu dire

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