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gens les plus robustes et donnez-leur des armes, et exercez-les à les manier, et ils combattront pour vous contre leurs pères et leurs frères; car je leur persuaderai que c'est une action glorieuse.

<Je leur ferai deux idoles qui s'appelleront Honneur et Fidélité, et une loi qui s'appellera Obéissance passive.

«Et ils adoreront ces idoles, et ils se soumettront à cette loi aveuglément, parce que je séduirai leur esprit, et vous n'aurez plus rien à craindre.

Et les oppresseurs des nations firent ce que Satan leur avait dit, et Satan aussi accomplit ce qu'il avait promis aux oppresseurs des nations.

Et l'on vit les enfans du peuple lever le bras contre le peuple, égorger leurs frères, enchaîner leurs pères, et oublier jusqu'aux entrailles qui les avaient portés.

« Quand on leur disait: Au nom de tout ce qui est sacré, pensez à l'injustice, à l'atrocité de ce qu'on vous ordonne; ils répondaient : Nous ne pensons point, nous obéissons.

« Et quand on leur disait : N'y a-t-il plus en vous aucun amour pour vos pères, vos mères, vos frères et vos sœurs? ils répondaient: Nous n'aimons point, nous obéissons.

Et quand on leur montrait les autels du Dieu qui a créé l'homme et du Christ qui l'a sauvé, ils s'écriaient : Ce sont là les dieux de la patrie; nos dieux à nous sont les dieux de ses maîtres, la Fidélité et l'Honneur.

< Je vous le dis en vérité, depuis la séduction de la première femme par le serpent, il n'y a point eu de séduction plus effrayante que celle-là.

<< Mais elle touche à sa fin. Lorsque l'esprit mauvais fascine des ames droites, ce n'est que pour un temps. Elles passent comme à travers un rêve affreux, et au réveil elles bénissent Dieu qui les .a délivrées de ce tourment. ›

Et suit alors l'hymne de départ du jeune soldat de l'avenir, du soldat qui s'en ira combattre une dernière fois pour la justice, pour la cause du genre humain, pour l'affranchissement de ses frères :

Que tes armes soient bénies, jeune soldat!» Il y a dans ce chant et dans celui de l'Exilé qui vient après, un retentissement profond

des Pélerins Polonais, par le poète Mickiewicz; mais ce qui, chez Mickiewicz, était demeuré restreint à une acception trop nationale et trop exclusive, se trouve généralisé selon un esprit plus évangélique par M. de La Mennais, et rapporté à la vraie patrie, à la patrie universelle.

Littérairement, par cette œuvre, M. de La Mennais conquiert, à bon droit, le titre de poète. Le ton général, le mouvement est rhythmique à la fois et inspiré. L'imprévu se rencontre plutôt dans l'allure de la pensée que dans le détail de l'expression. Celleci est toujours correcte, propre, énergique, quelquefois un peu crue; il y manque un certain éclat nouveau, et, si j'ose le dire, une sorte de flagrance. Ardet plus quàm lucet; cela brûle plutôt que cela ne luit. En comparant le style des Paroles d'un Croyant avec celui de la Vision d'Hébal, on comprendra mieux la double nuance que je distingue. A la rigueur, et à ne s'en tenir qu'au détail de l'expression et à l'ensemble du vocabulaire employé, quelqu'un de Port-Royal aurait pu écrire en cette manière et peindre avec ces images. Mais la jeunesse, la nouveauté vive triomphe à tout moment par la pensée même; la franchise du sentiment crée la beauté ainsi, dans le chapitre de l'Éxilé, j'ai vu des jeunes < hommes, poitrine contre poitrine, s'étreindre comme s'ils avaient < voulu de deux vies ne faire qu'une vie, mais pas un ne m'a serré « la main : l'Exilé partout est seul. »

Socialement, la signification de semblables œuvres est grande, et tant pis pour qui la méconnaît! Nous donnions, il y a quinze jours, un mémorable fragment de M. de Chateaubriand sur l'Avenir du monde, où tous les mêmes importans problêmes sont soulevés, et où la solution s'entrevoit assez clairement dans un sens très analogue. M. de Lamartine a publié, il y a deux ans à peu près, une brochure sur la Politique rationnelle, dans laquelle des perspectives approchantes sont assignées à l'àge futur de l'humanité, et, bien qu'il semble y apporter, pour le détail, une moins confiante ardeur, ce n'est que dans le plus ou moins de hâte, et non dans le but, que ce noble esprit diffère d'avec M. de La Mennais. Béranger est, dès long-temps, l'homme de cette cause et des populaires promesses. Ainsi, symptôme remarquable! tous les vrais cœurs de poètes, tous les esprits rapides et de haut vol, de quel

que côté de l'horizon qu'ils arrivent, se rencontrent dans une prophétique pensée, et signalent aux yeux l'approche inévitable des rivages. Ne sont-ce pas là aussi des augures? - Mais nos grands hommes d'état régnans vivent en esprits forts; ils tiennent et dévorent le présent; à d'autres, à d'autres qu'eux les augures et l'avenir !

SAINTE-BEUVE.

CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.

30 avril 1834.

Le drame politique de la révolution de juillet approche du dénouement. Encore quelques actes sanglans comme ceux qui viennent de se jouer, et la France saura à quoi s'en tenir sur les intentions de ce ministère. La convention avait assis son pouvoir sur la terreur qu'elle inspirait; le directoire, le consulat, l'empire, avaient fondé le leur sur les victoires, sur la prépondérance que ces gouvernemens donnaient à la France en Europe; la restauration avait rallié à elle les idées religieuses et les intérêts des grands propriétaires : la terreur cessa et tourna contre ceux qui cherchaient à la répandre; puis un beau jour le pays se réveilla de ses rêves de gloire et redemanda la liberté qu'on lui avait dérobée pendant son sommeil; plus tard il vit que la religion dont on lui parlait sans cesse n'était qu'une affaire et une intrigue; et pour la troisième fois, le lion secouant sa crinière, laissa tomber à terre ceux qui avaient essayé de l'engourdir et de le museler. Le gouvernement de la peur sera-t-il plus heureux que tous les gouvernemens réduits en poussière au moment où ils se croyaient arrivés à l'accomplissement de leurs desseins? Nous savons que ce gouvernement est terriblement avisé, ainsi que le disait M. RoyerCollard; ceux qui le composent se vantent d'être plus habiles que les ministres de la restauration, et rient beaucoup des gens qui les supposent

assez fous pour recourir aux ordonnances qui firent choir le malheureux Charles X. Les fautes de Charles X ont été maintes fois discutées et pesées dans le conseil, et là il a été dit bien souvent que le roi déchu, dont on tient la place, avait frappé à la fois trop fort et trop mollement. Charles X pouvait facilement obtenir les résultats qu'il se promettait par ses ordonnances, sans publier ces ordonnances fatales; il ignorait que les hommes qui s'entendent à manquer de parole, choisissent toujours l'heure où ils faussent tous leurs engagemens, pour proclamer leur bonne foi et leur fidélité à les remplir. Le gouvernement de juillet ne périra jamais par cet excès de naïveté et de franchise. Si la charte, si les lois qui en dérivent, si les libertés qu'elle consacre et qu'elle maintient le gênent dans sa marche et sont un obstacle à ses projets, c'est aux chambres qu'il s'adressera pour se procurer les moyens de poursuivre sa route. Les chambres n'ont rien à refuser au pouvoir la veille ou le lendemain d'une émeute, et le pouvoir n'est-il pas toujours à la veille ou au lendemain d'un de ces jours-là? Napoléon en usait ainsi avec la victoire. Le lendemain d'une bataille gagnée, le sénat et le corps législatif lui votaient des millions et des hommes pour qu'il pût continuer de battre les ennemis de la France; et si la bataille était perdue, les représentans de la nation votaient encore des hommes et des millions afin qu'on pût se défendre. Les émeutes sont plus profitables au pouvoir actuel que ne l'ont jamais été au trône impérial Austerlitz, Wagram et Friedland. Après les journées de juin, il se confia à lui-même la dictature militaire à laquelle il aspire tant; les premiers troubles de Lyon lui valurent son budget et des crédits extraordinaires; le coup de pistolet anonyme le tira de nouveau de ses embarras financiers, et maintenant il demande à escompter sa dernière victoire de Lyon et de la rue Transnonain pour la faible somme de 14,044,000 fr. qui allaient échapper au maréchal Soult sans ces malheureuses affaires.

Il est fâcheux que la France ne puisse assister un jour tout entière, mais en secret, à une séance du conseil des ministres. Elle y puiserait plus d'instruction véritable et d'expérience politique que dans la lecture de dix sessions législatives, rapportées par le Moniteur. Le conseil qui suivit les affreux massacres de la rue Transnonain et les meurtres non moins affreux commis par les insurgés républicains, ne serait pas le moins curieux à connaître. M. Thiers avait retrouvé sa voix qui était si tremblante et si éteinte le jour où il annonça à la chambre les événemens de Lyon. Il avait heureusement cessé de souffrir de cet étrange enrouement et de cette visible strangulation que lui causaient les dépêches inquiétantes qu'il lisait à la tribune ; en un mot le danger était passé et déja loin.

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