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catholique. Ce n'est pas par une vaine affectation. Tout ce que nous disons de l'intolérance religieuse est également vrai dans toutes les religions. L'absurde religion de la Grèce était coupable de la pire intolérance le jour où elle fit boire le poison à Socrate. Calvin, faisant brûler Michel Servet à Genève, ne diffère en rien de l'inquisition condamnant un juif relaps à la torture et au bûcher. On parlait, il y a quelques mois, d'un sujet italien condamné au bagne pour s'être converti au protestantisme; mais l'Europe a appris, il y a un an, que, dans un État du nord, la loi frappe de mort le citoyen qui, de luthérien, se fait catholique. Entre les auto-da-fé d'Espagne et les persécutions récemment infligées à l'Église ruthénienne dans le nord de l'Europe, il n'y a d'autre différence que celle qui sépare le génie des deux peuples et des deux siècles. Le dogme n'y fait rien. Quel qu'il soit d'ailleurs, c'est la même passion et la même faute. Il est si vrai que l'intolérance civile n'est pas attachée au dogme, et ne découle pas naturellement du principe religieux, que la philosophie elle-même a été quelquefois intolérante. Elle l'a été sous Julien, qui condamnait les chrétiens au feu parce qu'ils refusaient d'adorer les dieux de l'empire. Elle l'a été sous la république française, lorsqu'au nom de la Raison le pouvoir civil a modifié la constitution spirituelle de l'Église et finalement supprimé l'exercice du culte et proscrit les prêtres. Elle l'est encore tous les jours, lorsque,

par le souvenir d'anciennes guerres qui devraient être oubliées, ou par un vain esprit de représailles, elle reproche aux Églises de pratiquer l'intolérance ecclésiastique, et s'efforce de mettre obstacle, soit directement par des lois, soit indirectement par un appel à l'opinion publique, aux libres manifestations de l'esprit religieux. Cette intolérance dans les philosophes est un contre-sens véritable; elle ressemble à une abdication. Ils sont dans le monde les théoriciens et les apôtres de la liberté; il est deux fois odieux de gêner la liberté dans autrui quand on la revendique pour soi-même, et qu'on fait profession d'en proclamer la fécondité et la douceur.

Nous concluons des réflexions qui précèdent :

Que l'intolérance civile, celle qui emploie la violence pour contraindre les hommes à faire profession extérieure d'une doctrine à laquelle ils ne croient pas, n'est jamais que le crime d'un homme ou d'une corporation, et que rien, dans la nature des religions positives, ne peut ni l'expliquer, ni l'excuser;

Qu'au contraire le principe même des religions positives, qui est de reposer sur une révélation directe, les oblige à l'intolérance ecclésiastique, c'està-dire à cette espèce d'intolérance qui consiste à retrancher tout dissident de la communion des fidèles ;

Et qu'enfin la philosophie étant fondée sur la raison, et conséquemment sur la liberté, elle ne doit ni ne peut pratiquer aucune sorte d'intolérance.

Poursuivons maintenant notre parallèle en comparant, non plus les origines, mais les dogmes, et demandons-nous successivement quels sont les problèmes propres aux religions positives et à la religion naturelle, et de quelle façon ces problèmes doivent être résolus dans l'Église et dans l'école.

Les religions positives et la religion naturelle répondant aux mêmes besoins ont les mêmes questions à résoudre. Pour toute religion, il s'agit toujours de savoir quelle est l'origine de l'homme, quelle est la règle, quel est le but de sa vie, et quel avenir il doit espérer après la mort. Seulement, les religions positives, et en cela une religion vraie ne différerait point d'une religion fausse, doivent à chacun de ces problèmes une solution claire, précise, détaillée. La religion naturelle, qui n'est au fond qu'une partie de la philosophie, ne donne que ce qu'elle peut donner. Ses obligations ne se mesurent pas aux besoins de la société, mais à la force de l'esprit humain.

que

Ainsi, par exemple, il est de la nature d'une religion positive, qui parle au nom de Dieu lors même Dieu ne l'inspire pas, de donner des règles précises et indiscutables pour toutes les actions un peu importantes, de dire de quelle façon, par quels actes, par quelles paroles Dieu veut être honoré, de déterminer la condition du salut et le caractère de la vie future. La religion naturelle, en ce qui concerne les

règles, doit faire une plus large part à la liberté; elle ne peut imposer un culte uniforme à des âmes dont la capacité, les besoins et les ressources diffèrent; elle n'a parfois que des espérances à donner au lieu d'une certitude. Elle manque de criterium dépour terminer avec infaillibilité les conditions indispensables du salut. Elle guide la raison en la respectant, tandis qu'une religion positive dédaigne la raison et la remplace.

Pour les solutions, il va sans dire que la différence est grande entre les diverses religions positives. Elles diffèrent entre elles comme les écoles de philosophie, ni plus ni moins; et la raison en est qu'en les supposant humaines, supposition qui ne peut, dans tous les cas, être fausse que pour une seule d'entre elles, elles sortent de la même source que les philosophies. Ainsi, il y a des religions panthéistes, matérialistes, fatalistes. Dans quelques-unes, le dogme même de la vie future manque. Au milieu de cette diversité, l'histoire permet pourtant d'indiquer des tendances plus générales; et l'on peut dire, par exemple, que la plupart des religions admettent l'intervention directe de la Divinité dans les affaires humaines, l'efficacité des pratiques religieuses, principalement pour le salut, et un avenir de peines et de récom

penses.

En réfléchissant sur les conditions d'une religion positive, on trouve en effet qu'elle n'est bien dans

son rôle, qu'elle ne répond bien à sa définition qu'à cette triple condition. Les religions panthéistes, ou disons pour plus de généralité les religions fatalistes, n'ont pas, pour ainsi dire, le droit de prescrire un culte, puisque le culte sous un Dieu indifférent devient inutile. Plus la Divinité interviendra dans les affaires humaines, plus il sera utile et nécessaire de lui adresser des prières, et du même coup, plus il deviendra nécessaire d'établir un corps sacerdotal. Les prêtres sont, à proprement parler, les ministres de la Providence, interprètes tour à tour de ses volontés vis-à-vis de nous et de nos désirs auprès d'elle. Il est naturel qu'ils s'efforcent, d'avoir seuls le droit d'enseigner et de commenter le dogme, et qu'ils fondent des cérémonies propitiatoires et s'en attribuent la direction, « à peu près comme dans une cour les ministres et les familiers du prince multiplient les formalités de l'étiquette1. » Enfin, le dogme de la Providence et l'usage des cérémonies propitiatoires impliquent la croyance à la vie future, car ni les menaces, ni les promesses ne s'accomplissent ici-bas.

Non-seulement il y a solidarité entre le dogme de la Providence, l'établissement d'une Église, et le dogme de la vie future; mais cet établissement et ces deux dogmes découlent naturellement du principe de la révélation. Pourquoi Dieu se révèle-t-il? Parce

1. Kant, Critique de la religion, IV partie, chap. v.

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